Friedrich
est né à Kallstadt, dans le royaume de Bavière, le 14 mars 1869. À la
mort de son père, Johannes, alors qu’il n’a que 8 ans, c’est sa mère,
Katharina, et ses cinq frères et sœurs qui héritent des vignes
familiales et d’un bon paquet de dettes.
Katharina,
jugeant Friedrich trop chétif pour le dur labeur des champs, décide
d’en faire un barbier. Mais ce n’est pas à Kallstadt, modeste bourgade
de mille âmes, que le garçon pourra exercer son art et ce, d’autant plus
que l’âge de la conscription dans l’armée impériale allemande approche.
Friedrich, qui n’a alors que 16 ans, décide d’émigrer aux États-Unis.
1. DES MIGRANTS JEUNES, CÉLIBATAIRES ET PAUVRES
Nous
sommes en 1885. Après une traversée de 12 jours à bord du Eider, le
jeune Friedrich arrive au Castle Garden le 19 Octobre avec un bon
millier de ses compatriotes.
Comme
tous les migrants depuis la nuit des temps, ce sont majoritairement des
hommes, ils sont jeunes, célibataires et plutôt pauvres. Friedrich
n’échappe à aucune de ces règles mais il peut compter sur sa sœur et son
beau-frère, qui vivent à New-York depuis déjà deux ans : avoir des
contacts sur place, c’est une chance.
De
fait, quelques heures à peine après avoir débarqué, il rencontre un
barbier germanophone qui, coup de chance, cherche justement à embaucher.
Le lendemain, Friedrich est déjà à l’œuvre et le voilà qui taille des
barbes dans Little Germany, le quartier allemand de Manhattan.
2. SE REGROUPER POUR MIEUX S’INTÉGRER
Ça
aussi c’est une constante de l’histoire des migrants : de tout temps et
à chaque fois que ça a été possible, ils se sont regroupés entre eux le
temps d’adopter la langue, la culture et les codes de leur pays
d’acceuil.
Six
années plus tard, avec quelques centaines de dollars d’économies en
poche, Friedrich repart à l’aventure. Nous sommes en 1891 et le jeune
Allemand déménage de l’autre côté des États-Unis, à Seattle, et se lance
dans une nouvelle carrière : il sera désormais restaurateur. Il ouvre
un restaurant dans le quartier chaud de la capitale du tout nouvel État
de Washington ; restaurant qui, dans ses publicités, faisait état de ses
« chambres pour dames » c’est-à-dire qu’il faisait aussi office de
bordel.
3. L’HOSTILITÉ DES NATIVISTES
C’est
à Seattle que Friedrich devient officiellement citoyen des États-Unis
et, par la même occasion, se renomme Frederick pour essayer de faire
oublier ses origines allemandes qui, à l’époque, lui valaient les
foudres des « nativistes ». C’est, là encore, une constante de
l’histoire des migrations qui transcende les pays d’accueils et les pays
d’origines : parce qu’ils sont généralement pauvres raison pour
laquelle ils quittent leur terre natale et peu éduqués les immigrés sont
toujours, aux yeux d’une part incompressible de la population, la
source de tous les maux.
Toujours
est-il qu’en 1892, sept ans après avoir débarqué du Eider, notre
nouveau citoyen des États-Unis d’Amérique participe à l’élection de
Benjamin Harrison ; laquelle, d’ailleurs, fût quelque peu mouvementée
puisque son opposant Démocrate avait remporté le vote populaire mais
perdu celui du collège électoral ce qui n’est pas sans rappeler une
affaire plus récente.
4. ENFIN LE SUCCÈS
À
partir de 1894, Frederick modifie son business model : il restera
hôtelier, restaurateur et accessoirement tenancier de maison de joie,
mais tentera désormais de faire cela dans les villes minières qui se
développent un peu partout, à chaque ruée vers l’or. Après une première
tentative avortée à Monte Cristo et un bref retour à Seattle, il
participe à partir de 1898 à la ruée vers l’or du Klondike en ouvrant,
avec son associé Ernest Levin, l’hôtel-restaurant Arctic à Bennett, en
Colombie Britannique.
Cette
fois-ci c’est la bonne. Si l’Artic n’est, au tout début, qu’une modeste
tente, il va connaître un succès phénoménal qui permettra à Frederick
d’en ouvrir d’autres et de diversifier ses activités prostitution, jeux
d’argent et vente d’alcool jusqu’à constituer une véritable petite
fortune. Mais en 1901, les autorités ayant manifestement l’intention de
mettre fin à ce type d’activités, il décide de tout vendre… et de
rentrer à Kallstadt en homme riche.
5. L’INSTALLATION À NEW YORK
Ce
retour aux origines ne durera qu’un an, juste le temps d’épouser
Elisabeth Christ, la fille d’un voisin, avant de retourner s’installer à
New York, mais dans le sud du Bronx cette fois. C’est là que naîtra
leur fille aînée ; mais, Elisabeth ayant le mal du pays, la petite
famille tentera un retour en Allemagne en 1904 ; retour qui s’avèrera
impossible puisque Frederick y est désormais considéré comme un
déserteur. Bref, le 30 juin 1905, ils s’installent définitivement à
New-York où naissent leurs deux fils : Fred (1905) et John (1907).
Frederik
poursuivra sa carrière d’hôtelier dans la grande pomme, faisant au
passage l’acquisition de plusieurs biens immobiliers quand le sentiment
anti-allemand, cette fois-ci à cause de la première guerre mondiale, le
lui permettait jusqu’au 27 mai 1918, date à laquelle il succombe, comme
des millions d’autres, à la grippe espagnole. On estime aujourd’hui qu’à
sa mort, il avait accumulé une petite fortune immobilière de près d’un
demi-million de dollars actuels
Ce
que Frederik ne pouvait pas savoir, c’est que son fils Fred, aidé de sa
mère, reprendrait le flambeau paternel et développerait le petit
patrimoine immobilier familial jusqu’à en faire une fortune colossale.
Il
ne pouvait pas deviner, non plus, que 132 ans après qu’il ait débarqué
du Eider, le 45ème président des États-Unis serait élu sur un programme
visant, entre autres, à rejeter les émigrés comme lui à la mer. Et il
pouvait encore moins deviner que ledit président ne serait autre que son
petit-fils…
Donald Trump.
(Texte reçu de mon ami Aureilhanais François)