Tout va très bien
Madame IRMA… Le capitalisme, Jupiter et la propagande feront le
reste !
11 Sep 2017
Notre camarade Philippe BELAIR de la CGT
Guadeloupe nous fait part de ses réflexions à propos de l’Ouragan
IRMA :
»
Quelle
sorte de vie publique est celle où la communication c’est-à-dire
la manipulation ou la propagande remplace la controverse ? »
Philippe MEYER
Nous aurons peine à les entendre
jubiler en secret de l’arrivée de l’ouragan IRMA sur
Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Pilepoil pour faire oublier la
grogne sociale qui monte contre l’arrogance et les prétentions de
la classe possédante via des élus soumis. La plus grande victoire
idéologique du néolibéralisme, jusqu’à nouvel ordre social, est
d’avoir réussi à « déprogrammer » les expériences
humaines pour les remplacer par le bourrage de crâne permanent
qu’est la propagande.
Mais d’abord et avant d’aller plus
loin posons nous la question : A qui veut-on faire
croire que les populations des Caraïbes ne connaissent pas ce qu’est
un ouragan ? Il fût une époque où, tout comme les
populations de l’hémisphère nord avant l’hiver, celles des
Caraïbes savaient se préparer dès le mois de juin à ce que nous
appelons l’hivernage – la saison des pluies qui est aussi celle
des cyclones devenus ouragans depuis peu.
Ouragan est plus « globish »
que cyclone puisqu’il dérive de l’anglais « Hurricane »
qui lui même est un emprunt à la langue des Calinago, les anciens
habitants éliminés par la « découverte » des
Amériques, « Ou Ri Can » qui était une divinité
sensée nettoyer la terre de ses impuretés… Drôle de coïncidence
dirait l’observateur.
A l’époque des cyclones, il y a
encore trois décennies, il y avait une échelle chiffrée d’alertes
nous préparant à l’arrivée certaine du phénomène. Mais les
familles étaient déjà prêtes en ayant déjà un stock d’aliments
et nettoyer les alentours immédiats des maisons. Il faut dire que
ces maisons étaient petites mais bien faites car construites sur
l’expérience et l’observation des ainés, elles étaient
bousculées mais résistaient car les clefs de charpentes, en acacia
pays, en étaient pour quelque chose en leur donnant souplesse et
endurance. Les petits secrets de construction résultaient,
singulièrement, de l’expérience du cyclone le plus dévastateur
qu’est connu la Caraïbe en 1928 : 1270 victimes rien
que pour la Guadeloupe.
La question « économique »
ne se posait pas car d’abord les Hommes devaient être sauvés.
Après le cyclone, la solidarité et le partage étaient les
maitre-mots et nul ne s’inquiétait du lendemain. C’est seulement
après s’être assuré que la famille et le quartier étaient en
sécurité, physique et alimentaire, que les travailleurs
rejoignaient leur lieu de travail pour en faire de même… Et le
patron ne perdait pourtant pas en journée de travail.
Ce temps est révolu, puisque le
néolibéralisme a tout modifié, de la sémantique aux postures en
passant par les constructions. Tout comme cette idéologie
mondialiste, tout doit désormais venir des Etats-Unis pour être
certifié de qualité et sûr. Et, parallèlement, il faut s’assurer
de la création ou du renouvellement de marchés (de préférence
juteux) et pour ce faire il faut imposer des normes prétendument
anticycloniques et parasismiques, histoire de faire vivre seules les
entreprises agréées par les assurances, tout en pratiquant
l’obsolescence programmée, histoire de pérenniser ces
entreprises.
L’expérience locale et la
méthodologie de l’époque gênaient, tout comme bon nombre
d’autres choses singulièrement d’émanation sociale, il fallait
déconstruire pour reconstruire. Les charpentes sont désormais sur
le modèle « fermette américaine » et la consommation a
remplacer les préparatifs du mois de juin. Ainsi, à quoi bon
stocker quand on a tout à portée de main et à tout moment ? A quoi
bon construire solide quand çà coute cher et qu’il faille
attendre alors que la fermette est réalisée en moins de deux à bon
prix ? Et c’est bien là, deux exemples de la responsabilité
systémique du néolibéralisme dans les conséquences (en aval)
d’IRMA, mais il y a aussi et bien-sûr sa responsabilité dans le
désordre climatique (en amont).
Déconstruire pour reconstruire,
changer de paradigme en martelant que l’individualisme est
l’expérience ultime face à toutes autres expériences sociales.
En consommant au jour le jour, on se libère de la contrainte de
« dépendre » de l’autre voire de partager avec lui.
Les pillages qui ont suivi ne sont que l’expression de ce
paradigme. Il est frustrant de perdre la capacité d’avoir alors
même qu’il est possible d’avoir sans payer. Il y a trente ans et
plus, ce n’était pas un comportement premier après une
catastrophe. Et ce n’est pas justifier ces actes mais en dénoncer
les véritables causes : l’individualisme et le consommationisme
glorifiés par ce système.
Mais toute la force de cette idéologie
est dans son culot. Non seulement, de par les normes qu’elle
impose, elle génère les conditions des catastrophes mais elle est
en capacité d’user du drame qui suit pour se remettre en selle.
C’est toujours de la faute des individus inconscients et/ou
indisciplinés ou mieux, on n’as jamais vu çà – on ne pouvait
le prévoir. La responsabilité systémique est balayée au profit
des responsabilités individuelle ou collective voire de la fatalité.
Mais comment se fait-il que Cuba, avec
moins de moyens parce qu’étranglée par le blocus capitaliste,
puisse avoir une gestion aussi humaine et complète de ce genre de
phénomène quelque soit leur puissance ? Non seulement c’est un
pays où le collectif prime sur l’individuel mais de surcroit elle
a fait de son malheur une force. L’écologie stricto sensu y est
développée et la connaissance scientifique est mise à la
disposition de tous. Ainsi, l’éducation – la connaissance et la
prévention pour tous- fait de Cuba un pays exemplaire en terme de
catastrophe cyclonique. Mais cela reste invisible car cela gène.
Il fallait entendre les inepties
médiatiques sur la pauvreté des pays de la Caraibe et la
« maitrise » des américains quant à la gestion de ce
genre de catastrophe. Si Catherina et Harvey n’étaient pas passés
par là pour infirmer ces inepties, les simples d’esprits que nous
sommes s’y laisseraient prendre. En vérité, les Etats-Unis, tout
comme la France, ont fanfaronné pour cacher leur impuissance n’ayant
plus aucune ressource empirique sur le sujet, néolibéralisme
oblige. Alors que Cuba et tous les autres Etats de la Caraïbe
avaient déjà circonscrit les événements (en amont) et porté les
réponses adéquates (en aval), avec les moyens du bord, les pays
« riches » étaient encore dans l’incantation du
catastrophisme (en amont) et la communication (en aval).
Il faut se rappeler le cyclone Hugo, en
Guadeloupe en 1989, où pendant plus de dix jours seules les îles
voisines ont été en mesure de venir en aide à l’ile. Les
collectivités locales ont rapidement pris l’affaire en main et le
gouvernement Français n’est apparu qu’après coup. Cela signifie
bien que nous avions la culture de ce risque et savions quoi faire
avant et après. Trente ans plus-tard c’est l’oubli organisé qui
fait paniquer le citoyen dès qu’il entend parler d’un cyclone.
L'île de Saint-Barthélémy a été
aussi détruite que celle de Saint-Martin mais toutes les
problématiques post catastrophes sont répertoriées seulement sur
la dernière. Cela mérite une petite explication de texte quant on
sait que la première est le fleuron de la défiscalisation et de la
présence milliardaire. Un Saint-bath de naissance n’a presque plus
la possibilité de jouir de son île et les travailleurs sont dans
une précarité telle qu’ils ne peuvent se loger convenablement.
Même les fonctionnaires ont du mal à trouver un logement correct au
vu du prix des loyers. Il est plus rentable pour certains
Saint-barths de mettre en location leur maison et d’aller louer une
chambrée. Cette catastrophe met à nu l’échec de cette dépendance
aux milliardaires mais pas question d’en parler.
Quant à Saint-Martin, son indécence
est peut-être dans son choix d’un système un peu plus social
(mais encore loin de l’être vraiment) avec un service public
s’occupant des personnes âgées et des personnes handicapées. A
Saint-Barthélemy, ce sont souvent les milliardaires qui financent à
leur bon cœur des infrastructures sanitaires. Les mauvaises langues
disent même que Saint-Barthélemy se « débarrasserait » des
individus douteux socialement en les déposant discrètement sur les
plages de Saint-Martin.
Cette façon de traiter l’information
au regard des intérêts idéologiques à défendre est incongrue
quant on sait, à quel point, les mêmes qui la font peuvent s’ériger
en donneurs de leçon d’objectivité journalistique lorsque
d’autres se font franchement partisans de ce qu’ils détestent.
Et ce qu’ils détestent le plus c’est qu’on leur fasse la
démonstration qu’ils ont tort. Mais IRMA a fait la démonstration
de l’impréparation systémique, pour des raisons financières et
idéologiques, et de la duperie des tenants du système.
Cette catastrophe est déjà et sera
encore une bonne occasion pour plus d’un de parader sur le malheur
d’autrui, de faire des promesses qui ne seront jamais tenues, de
faire croire que la responsabilité incombe à l’incivisme mais
surtout de tenter de renaître. Les visites politiciennes qui
viennent seront là pour la « com » et non pour engager
une véritable et nouvelle politique tenant compte de cette
expérience. Les mises à l’écart de la presse locale en disent
long.
La presse locale a eu un mal fou pour
avoir des informations de la préfecture de Guadeloupe, malgré la
présence de la ministre de l’outre-mer, alors que les presses
nationales et internationales en savaient déjà long. Il est vrai
que la presse nationale peut permettre à Jupiter de redorer son
blason puisqu’il doit être en Guadeloupe ce mardi 12, jour de
grève générale contre sa politique antisociale. Il a prévenu
qu’il ne cédera ni aux fainéants – ni aux extrêmes, alors ce
sera silence radio sur les grandes chaînes nationales, ou plutôt un
seul et unique sujet du jour : « Jupiter aux Antilles »
pour sauver ces français du bout du monde.
Jupiter ne vient pas sauver les quidams
qui souffrent le martyre mais, en faisant d’une pierre deux coups,
se refaire une santé médiatique et sauver le capitalisme. Ce sont
les entreprises de construction qui se frottent déjà les mains, des
réunions se tiennent quotidiennement en Guadeloupe, et le service de
communication de Jupiter qui voit là l’occasion ultime de
présenter au peuple un Jupiter à visage humain alors que les
fainéants et les extrêmes manifestent pour des « privilèges ».
Basse-Terre, le 10 Septembre 2017
BELAIR Philippe