Quand les libéraux se convertissent à l’État
mardi 16 juin 2020  
    par Francis Arzalier (ANC) 
 
 
   
Le credo affirmé du libéralisme qui
 est l’idéologie officielle, voire le dogme religieux de notre 
bourgeoisie française, toutes affinités partisanes confondues, du PS à 
la Droite, en passant par les Verts et les diverses nuances d’En Marche,
 est que le Marché doit décider de tout, et notamment du sort des 
hommes, producteurs et consommateurs. Et que dans cette optique, l’État 
n’a qu’à lui obéir, et se faire le serviteur dévoué de ses règles.
Les dirigeants français, 
et Macron le premier, n’ont eu depuis leur accès au pouvoir que mépris 
affirmé de l’État et ses fonctionnaires, jugés  incapables de gérer 
l’économie, et n’ont agi qu’au nom des vertus du Capital privé, 
privatisant tout ce qui pouvait l’être, et dénonçant pêle-mêle 
"l’assistance d’État", ou " "l’État-Providence", les "rêveries 
keynésiennes ", du nom de cet économiste des années 1930, idole de la 
Social-Démocratie, qui découvrit alors que seule une forte implication 
de l’État dans l’économie pouvait répondre à l’énorme crise économique 
des années 30 dans le monde capitaliste, aux USA et en Europe.
Ce sont les recettes étatiques prônées par Keynes qui permirent de 
sortir de la crise et ses millions de chômeurs aux USA avec Roosevelt, 
et en France avec le Front Populaire. Précisons pour la vérité 
historique que Keynes n’était en rien Socialiste, qu’il était un ferme 
partisan du système capitaliste, et que son choix de l’État pour sauver 
l’économie de la Crise économique fut appliquée aussi en Allemagne nazie
 (par des investissements massifs d’État dans les industries guerrières,
 alors que les gouvernements de gauche en France le faisaient par la 
relance de la consommation populaire). Dans les deux cas, d’ailleurs, 
cela donna une nouvelle jeunesse à l’économie capitaliste.
              Plus tard, après 1958, le Gaullisme au pouvoir, 
convaincu des vertus du Capitalisme occidental même s’il était 
nationaliste et anti-Étatsunien, fut aussi un adepte des théories de 
Keynes. Il a su beaucoup utiliser les sociétés nationalisées (Air- 
France, SNCF, etc…), sources de progrès technologiques (Concorde, trains
 rapides, etc…) au service du Capital privé. On parlait même alors de 
Capitalisme Monopoliste d’État.
           À partir des années 1975, le Capitalisme français s’est 
converti à la vulgate mondialiste, structurée par les sociétés 
transnationales, toujours en quête de profits plus abondants, grâce aux 
délocalisations vers les pays à bas salaires. Le Gaullisme politique a 
disparu peu à peu du paysage idéologique français, remplacé dans la 
bourgeoisie au pouvoir par ce qu’on a souvent qualifié 
d’ultra-libéralisme, acharné à démanteler les conquêtes sociales et les 
services publics, et à tout privatiser, sous des étiquettes changeantes 
(le PS Jospin privatisa plus que les Présidents RPR ou UMP successifs). 
Depuis 2017, le Président Macron et son équipe sont en quelque sorte 
l’apogée de cette évolution prédatrice du Capitalisme en France.
             La crise sanitaire de 2020 a évidemment créé un contexte
 nouveau, et initié une crise économique sans précédent, comparable à 
celle des années 1930, sur un laps de temps bien plus court. Il était 
donc logique que tous les défenseurs des entreprises en difficulté, 
français et Européens, s’adressent aux États et leurs subsides pour 
rétablir leur trésorerie asséchée, et survivre. Rien de neuf en cela, le
 Capitalisme libéral, n’en déplaise aux naïfs, n’est pas " contre l’État
 ", mais seulement contre un État au service des citoyens les plus 
démunis.
Les dirigeants Macroniens ont fait comme leurs congénères allemands, 
ou italiens, à la hauteur du désastre économique prévisible : presque 
500 milliards d’euros ont été engagés par l’État français depuis le 
début de la "crise sanitaire" et ses conséquences économiques et 
sociales. Ce qui a fait exploser dans les médias l’affirmation saugrenue
 que Macron et sa Cour libérale s’étaient subitement convertis, avaient 
découvert Keynes et les dérives du Capitalisme, etc... 
Une nouvelle légende rose, à l’usage des gogos !
               Car s’il est évident que personne ne conteste la 
nécessité de l’aide de l’État aux millions de chômeurs supplémentaires, 
aux hôpitaux, de l’injection de fonds d’État pour assurer la survie de 
certaines industries (aéronautique, automobile, tourisme, etc…), on sait
 bien que nos dirigeants n’ont pas changé de nature. Leur objectif est, 
grâce à l’aide financière de l’État, d’assurer au mieux la pérennité de 
l’économie Capitaliste. Cela commence par l’apport de milliards extraits des finances publiques aux Chefs d’Entreprises.
Non seulement leur possession du capital n’est en aucun cas mis en 
cause, mais les maîtres de l’État français distribuent ces prébendes 
publiques sans aucun engagement de leur part. Il a fallu une menace de 
grève pour que PSA, heureux bénéficiaire de "l’aide à l’automobile ", 
consente à ne pas importer des travailleurs polonais sous-payés pour 
remplacer les intérimaires valenciennois mis au chômage. 
Une réaction populaire moins naïve que celle d’un Brossat, porte-parole 
du PCF, se félicitant dans l’Humanité du "grand retour de l’État" du 
fait de nos gouvernants, et célébrant un imaginaire "monde d’après" d’où
 le Capitalisme serait absent, par la grâce du Saint Esprit, sans 
doute...
               Car la réalité est plus brutale : ces milliards qui 
vont aux entreprises en déshérence sont financés par la fiscalité.  En 
effaçant à l’occasion le dogme " européen " d’un maximum à ne pas 
dépasser de dépenses publiques, dont on nous expliquait depuis 20 ans 
l’impérieuse nécessité, pour justifier l’austérité !
Plus prosaïquement, ces milliards viennent de nos impôts, dont le 
moins que l’on puisse dire est qu’ils sont inégalitaires, puisque la 
plupart des grandes entreprises n’en paient guère, alors que le poids 
essentiel porte sur les moins riches, par le biais des taxes sur la 
consommation (TVA et autres).
Le moins qu’on puisse dire est que ces "efforts de l’État" 
exigeraient parallèlement une refonte démocratique de l’impôt, à 
commencer par le retour de celui sur les grosses fortunes (ISF), que 
Monsieur Macron supprima, et qu’il ne songe pas à rétablir...
            Certes, nos dirigeants, effrayés par la fronde fiscale 
qui émanait des Gilets Jaunes, promettent de ne pas augmenter les 
Impôts. Ce qui ne signifie rien, sinon en bon français que les milliards
 en question seront fournis par les emprunts d’État, qui devront être 
remboursés par les futurs contribuables, et accoucheront de juteux 
profits pour les banques prêteuses.
           Soyons clairs : l’intrusion de l’État au sein de 
l’économie n’est pas en soi synonyme d’un choix politique, et il ne se 
fera au service de ceux qui vivent de leur travail que si le Pouvoir 
politique est entre leurs mains, ou contraint par les luttes sociales de
 se plier à leurs désirs.
Ce n’est pas le cas dans la France actuelle, il nous incombe d’en changer.
           En attendant, il faut expliquer sans relâche qu’à l’issue 
d’une crise économique et sociale de l’ampleur de celle d’aujourd’hui, 
les divers " Plans de relance" doivent s’accompagner de réforme fiscale 
et de la taxation des Français les plus fortunés, ainsi que de la 
nationalisation des secteurs essentiels de l’économie.
Pour que les sacrifices ne soient pas toujours pour les mêmes.