Le charme discret de la social-démocratie
6 Juillet 2022
,
Rédigé par Réveil Communiste
Publié dans
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La
plupart des gens veut la satisfaction des besoins de base, la sécurité
et la justice sociales, les principes du socialisme, mais les maîtres de
la société ne veulent pas du socialisme, et ils disposent de grands
moyens pour l’empêcher. Dans ces conditions, devant cette difficulté
majeure, pourquoi la social-démocratie (SD) ne serait-elle pas la bonne
solution ?
Pourquoi
en effet ne pas avoir le beurre et l’argent du beurre ? La sécurité
sociale généralisée offerte par le socialisme, et la liberté sans freins
et sans règles du consommateur approvisionné en biens alléchants par le
libre marché ? C’est en tout cas ce dont rêvaient les naïfs habitants
de l’Europe de l’Est, avant d’être ruinés par la transition des années
1990 !
Mais
ce n’était déjà plus le temps de rêver : l’État social était alors
raillé et ringardisé partout sous appellation d’État-providence, accusé
d’être à l’origine de la crise de productivité du capitalisme révélée
par les crises des années de 1968 à 1993, et traîné dans la boue par la
contre-culture "punk" diffusée parmi la jeunesse, encouragée massivement
au vandalisme et à la drogue. Pourtant ce compromis entre socialisme et
capitalisme quelques années auparavant était encore vanté comme la
preuve absolue de la supériorité du « monde libre » sur le bloc
soviétique ! Son application dans certains pays (Grande Bretagne,
Allemagne Fédérale, Pays Scandinaves) a connu des succès certains durant
la génération après guerre, qui ont été présentés comme une alternative
heureuse au socialisme est-européen.
Bien
distinguer la vraie SD (dont le représentant le plus illustre est sans
doute Olaf Palme, premier ministre suédois aux forts engagements
pacifistes et anti-impérialistes, assassiné en 1986) du
social-libéralisme de Tony Blair (dont une des lamentables figures
hexagonales est Lionel Jospin, premier ministre français de 1997 à
2002). Ce dernier n’est qu’une des escroqueries de la « deuxième
gauche », qui est plutôt la « troisième droite » ! A la droite
conservatrice et à la droite libérale s’ajoute sous ce nom une fausse
gauche moralisatrice qui confond le social et le caritatif et qui
redistribue aux plus pauvres des pauvres les ressources des autres
pauvres, accusés d'être des "nantis" et de se complaire dans la
fainéantise.
La
vraie SD consiste en la mise en œuvre, sans quitter l’économie
capitaliste, d’une politique sociale poussée qui implique le versement
de hauts salaires et une redistribution des revenus et - pas toujours -
de taxation des patrimoines, et qui aboutit à une société nettement plus
égalitaire, sans pour autant faire disparaître les classes sociales.
Les bourgeoisies allemande, britannique, suédoise ont très bien survécu à
ce régime. Mais elles auraient sans doute moins bien prospéré s’il
avait duré une génération de plus.
La SD
est une réalité complexe qui peut être envisagée (parfois par les mêmes
personnes selon leurs interlocuteurs) soit comme une politique de
compromis qui a pour but en définitive d’empêcher le socialisme en
coupant l’herbe sous les pieds à ses partisans, soit comme un passage
graduel et pacifique du capitalisme au socialisme (ce qui, jusqu’à
présent, ne s’est jamais vu, et qui lorsqu’il a été tenté, comme au
Chili de 1970 à 1973, a été empêché par la force). Un assez grand nombre
de politiciens a joué sur l’ambiguïté entre ces deux interprétations, à
commencer par François Mitterrand.
Elle
implique une politique économique où l’État exerce un fort contrôle,
notamment sur le secteur financier et sur les industries stratégiques.
En ce sens, la politique économique chinoise sous la conduite de Xi
Jinping se rapproche du modèle de la SD, à ceci près qu’en Chine
aujourd’hui, la classe capitaliste est soumise au pouvoir politique et
qu’en Europe occidentale de 1950 à 1980 environ, elle conservait ce
pouvoir, tout en ayant l’intelligence de faire d’importants compromis
avec la classe ouvrière pour préserver son existence à long terme.
La SD
est liée à une politique de plein emploi, et aux théories économiques
de Keynes, qui consistent à piloter l’économie à partir de la demande
populaire, et à la tolérance de l’inflation qui réduit progressivement
l’importance des rentiers dans la société. C’est d’ailleurs là que ça va
coincer, et c’est sur les thèmes des dangers de l’inflation et de la
réduction des impôts que s’est produit le coup d’arrêt contre les
politiques SD des années 1980 dans divers pays occidentaux.
Elle
suppose aussi une faible dépendance extérieure sur des importations
stratégiques (sinon la demande provoque un trop gros déficit commercial,
comme en France en 1982) et une forme de protectionnisme, ainsi que le
contrôle des flux internationaux de main d’œuvre qui sont alors
organisés par les États. On peut juger qu'une politique SD est tout à
fait incompatible avec l'Union européenne, telle qu'elle est devenue.
Les
pays qui appliquent une politique SD contrôlent leur immigration, qu’ils
utilisent , d’une part, comme lot de consolation pour leurs
capitalistes qui pourront embaucher un prolétariat interne plus exploité
et moins protégé que le prolétariat national, et d’autre part pour
éviter que la sécurité du lendemain, acquise par les autres ouvriers
bénéficiant de la sécurité sociale ne les rendent trop exigeants sur le
plan des salaires. Dans ces sociétés où les idéologies racistes sont
encore prégnantes, et non combattues officiellement, l’immigration est
pourtant mieux acceptée qu’aujourd’hui, parce que règne le plein-emploi,
et que la présence des immigrés ouvre la perspective de promotion
sociale aux autochtones (dans l’automobile, la plupart des ouvriers
français d’avant la crise a bénéficié d’importants avantages de
carrière, alors que les immigrés sont restés OS toute leur vie).
Les
candidats de gauche d’aujourd’hui (Mélenchon, Roussel, etc) proposent de
reprendre diverses formes de politique SD, des réformes de
redistribution. Les Gilets Jaunes ne demandaient pas autre chose !
Il
est juste de commencer par là et de proposer à la classe ouvrière et aux
classes populaires en général des avantages tangibles et concrets. Mais
au-delà de la victoire électorale ?
La SD
ne peut pas être une solution valable pour plus d’une génération, parce
que d’une part les profits actuels sur lesquels on compte prélever la
redistribution sont largement acquis à l’extérieur du pays – c’est le
cas des profits fabuleux distribués par les entreprises cotée au CAC 40.
Ce sont de prélèvements impérialistes.
Et
d’autre part la bourgeoisie ne défend des positions redistributives que
lorsqu’elle se sent en danger, et ce danger ne peut provenir que de
quelques situations historiques bien particulières :
Soit
l'existence d'une classe ouvrière révolutionnaire puissante, consciente
et bien organisée. mais cette menace est le plus souvent traitée par la
répression la plus impitoyable.
Soit
d’une rivalité interimpérialiste (auquel cas des concessions à la classe
ouvrière ont eu lieu pour garantir sa fidélité en cas de guerre
internationale).
Soit
parce qu’il existe une grande puissance d’économie socialiste faisant
jeu égal (trop forte pour être détruite, pas assez forte pour détruire
le capitalisme) et qui pourrait servir de modèle à suivre pour la classe
ouvrière, qu’il importe donc de séduire. En somme, la condition de
succès des politiques SD qui ne remettaient pas en cause le capital,
c’était l’existence d’un puissant camp socialiste, c’est l’existence de
l’URSS !
Ce
système a laissé en Europe de l’Ouest le souvenir des « jours heureux »
de 1950 à 1980, de nature à causer une certaine nostalgie qui inspire
peu ou prou tous les programmes électoraux de gauche, qui le proposent à
la place du socialisme comme si ça allait de soi. Mais nous pensons que
son retour tel-quel est impossible et que ce sera le socialisme sans
compromis qui s’imposera, c’est à dire celui qui repose sur le contrôle
social effectif des moyens de production et sur l’ostracisme imposé aux
représentants politiques du capitalisme!
GQ, 18 juin 2021