24 mai 2020 Blog le Grand Soir
Le capitalisme ne va pas s’effondrer tout seul, il faut s’en préoccuper !
La crise sanitaire actuelle
pousse à interroger la régulation capitaliste du monde, par quelque
bout qu’on la prenne. La soi-disant « main invisible du marché », selon
laquelle les actes de chacun, guidés par son seul intérêt personnel,
conduisent au bien commun, apparaît comme une triste fable. En réalité,
cette « main invisible » n’est qu’un artifice idéologique qui masque les
intérêts d’une classe dominante qui ne cesse d’étendre son emprise sur
le monde, d’une manière qui devient chaque jour plus mortifère.
De quelque bout qu’on la prenne : l’origine de la crise actuelle est
liée à l’irruption dans la communauté humaine d’un virus jusqu’à présent
hébergé par un animal, le pangolin. Cette épidémie, comme d’autres qui
l’ont précédée, est liée à la raréfaction des ressources sauvages, au
rapprochement des humains et d’espèces animales. Ceci impose une gestion
rationnelle et solidaire des ressources naturelles, aux antipodes de la
« main invisible » qui conduit aux grands chantiers, aux grandes
exploitations qui doivent satisfaire les exigences de rentabilité sans
se préoccuper de considérations écologiques.
Au niveau de ses conséquences, on ne peut encore
prévoir l’impact des ondes de choc qui vont bouleverser toutes les
fragilités des constructions économiques et politiques qui assurent
jusqu’à présent la marche du monde. Tout ce que les pouvoirs en place
envoient comme message la poursuite de la même logique, en profitant de
la désorganisation généralisée, du confinement, pour en accélérer le
cours.
A l’étage de la vie quotidienne, la réponse aux
besoins des citoyens et de l’économie du pays requerrait une
intervention forte de l’Etat, pour faire face à l’immédiat et repartir.
En pleine acceptation des règles du jeu libérales, l’Etat a depuis
longtemps réduit ses ressources propres, s’est désengagé des services
publics, du soutien des citoyens, et d’une façon générale de la conduite
de politiques cohérentes avec la poursuite du bien commun. Depuis
longtemps cette cohérence est mise au service de la classe dominante,
dont il exécute soigneusement les tâches à l’agenda de
« libéralisation » du monde. Plus crispée que jamais, l’équipe politique
au pouvoir continue sans concession sa trajectoire antérieure, en se
préparant à faire payer la crise aux mêmes et à faire face à la colère
sociale qu’il anticipe par les méthodes musclées que l’on connaît.
Descendre dans la rue ne suffira pas. Outre que nous
pouvons anticiper une violence d’Etat qui n’aura rien à envier à celle
qui a précédé et accompagné le confinement, ne servira à rien si les
manifestations ne portent pas un projet global, à opposer à la course
folle du capitalisme.
Il ne s’agit plus de revendiquer. Revendiquer, c’est placer un autre
pouvoir, au-dessus de soi, qui possède les moyens et qui pourra céder,
sous la pression, des concessions plus ou moins importantes sur
lesquelles il n’aura de cesse de revenir. Le capitalisme n’existe que
traversé par une pulsion prédatrice ; il s’arrête devant l’obstacle,
recule parfois, mais pour mieux reprendre la main.
Le dernier recul important du capital date des lendemains de la
Deuxième Guerre mondiale. Un ensemble de facteurs historiques, au centre
duquel la rivalité Est-Ouest a joué un rôle, a conduit à l’instauration
d’un compromis entre le capital et travail. La mise en place d’une
protection sociale qui garantit à chacun la sécurité de ses moyens
d’existence tout au long de la vie, un meilleur partage de la plus-value
procurant de meilleurs salaires, l’avenir ouvert grâce à « l’ascenseur
social » ont formé la base de ce compromis. Mais le capital gardait en
main ses armes essentielles : la propriété du capital, d’une part ; et
de l’autre, découlant de cette propriété, les finalités et
l’organisation de la production.
Ce compromis a tenu tant que le capital y a trouvé son compte :
l’augmentation des salaires soutenait l’expansion économique et les
profits. Mais le mécanisme s’est grippé progressivement au cours des
années soixante-dix, et la « révolution libérale » s’est mise en marche.
Elle s’est mise en place concrètement grâce à des mesures mises en
place par les différents gouvernements, Etats-Unis et Grande-Bretagne en
tête, bientôt suivi de nombreux autres. La chute de l’URSS a accéléré
le processus. La Chine s’ouvre au monde capitaliste dès 1978 et intègre
l’OMC en 2001 devenant depuis une pièce maitresse de la mondialisation
capitaliste.
Cette mise en place de la révolution libérale s’est accompagnée d’un
intense discours idéologique destiné à faire accepter tous les reculs
sociaux et l’austérité pour les classes populaires. Ce discours tend à
faire de la réaction capitaliste une évolution en quelque sorte
naturelle de l’économie, face à laquelle on ne pourrait rien faire que
de s’adapter, au prix bien sûr de sacrifices imposés par la concurrence.
Ceux qui tirent leur épingle du jeu dans le monde actuel le sont parce
qu’ils sont les meilleurs, et les autres n’ont qu’à s’en prendre à
eux-mêmes.
Cette idéologie a d’autant mieux été intériorisée qu’elle ne s’est
pas heurtée à un autre discours qui aurait remis le monde sur ses pieds
et démonté les mécanismes de la domination capitaliste. La gauche de
« gouvernement », celle qui se prétend réaliste et raisonnable, a
enfourché tous les thèmes de l’idéologie libérale et l’a très largement
mise en œuvre. Les autres forces de gauche et les syndicats combatifs
ont certes mené une salutaire ligne de résistance, mais en prenant comme
repère les acquis (ou conquis) de la période du compromis historique,
compromis répudié depuis belle lurette par le capital qui s’est acharné à
détruire méthodiquement les bases de la force de résistance du monde
du travail.
Il est temps de prendre conscience de la façon dont le capital a
construit son emprise sur le monde, parce que c’est là que nous devons
porter notre attention pour construire notre offensive. Cette emprise du
capital repose sur des mesures politiques, prises par des
gouvernements, élus démocratiquement ou non, et qui ont sacrifié
l’intérêt de leurs peuples aux intérêts de la classe capitaliste. Le
mouvement du monde n’a rien d’inéluctable ou de naturel : il est dû à
des décisions conscientes de politiques un peu trop liés à la classe des
possédants.
Et ce que des hommes ont fait, d’autres hommes et femmes peuvent le
défaire. Les dénonciations des diktats du capitalisme existent déjà dans
la globalité et dans l’abstrait ; ou bien de manière concrète mais
éparpillée et sectorisée dans les différents domaines où ils s’exercent,
sans être reliée à tout l’échafaudage de pouvoir qui les rendent
possibles.
Entre la dénonciation globale et abstraite du capitalisme, qui ne
donne prise sur rien, et les luttes spécifiques qui ne permettent pas
d’aborder la cohérence d’ensemble et la racine des problèmes, il faut
dégager le cœur du pouvoir capitaliste.
Une des mesures initiales du libéralisme concerne la liberté de
circulation des capitaux. Les gros détenteurs de capitaux acquièrent de
ce fait la liberté de se désengager de l’activité économique dans les
pays où ils sont implantés et celle de s’installer là où ils veulent, en
fonction des profits escomptés. Donc une pression importante (pour ne
pas dire un chantage...) est exercée sur les gouvernements, qui n’ont
aucun intérêt à voir leurs entreprises mettre la clef sous la porte en
contrariant « les investisseurs » ; et de fait, dans le discours des
politiques, il n’est question que « d’attractivité » des territoires,
c’est-à-dire de dérouler le tapis rouge pour les multinationales qui
voudraient bien s’implanter. La libéralisation des échanges, qui ne met
aucune condition ni sociale ni écologique à la libre circulation des
marchandises, complète cette mise en concurrence.
Un autre angle d’attaque majeur du capitalisme est l’appauvrissement
de l’Etat, en le privant de ressources fiscales : il n’a qu’à se dégager
des politiques sociales et du financement des services publics, pour
laisser place à une marchandisation accessible à ceux qui auront les
moyens de payer.
La limitation du déficit des Etats et l’obligation de faire
re-financer ces déficits publics par des capitaux privés crée pour les
détenteurs de ces capitaux l’occasion de prélever une rente sur des
fonds publics déjà anémiés par l’évasion fiscale organisée. Mais elle met
ces mêmes Etats dans la dépendance de ces détenteurs de capitaux, qui
peuvent faire varier les taux de leurs prêts au gré de leurs intérêts. A
cet égard tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne : les
Etats-Unis profitent du statut de monnaie internationale du dollar pour
accumuler leurs déficits de manière vertigineuse.
Dépendance des Etats vis-à-vis de la finance et mise en concurrence
des travailleurs et des pays sur la base de leurs politiques plus ou
moins conciliantes sont les deux principales armes du capital pour
exercer sa domination, exploiter sans limites les hommes et la nature.
La crise sanitaire rend cette situation intenable et aiguise la
confrontation : l’heure est moins que jamais à la recherche
d’accommodements mais de faire face à un choix décisif : prendre les
problèmes à bras le corps en visant les causes du désordre actuel du
monde ou bien le voir étendre ses ravages : dans un premier temps, un
recul grave de nos droits économiques, sociaux, démocratiques ; et à
plus ou moins brève échéance subir les effets imprévisibles dans leurs
modalités mais certains dans leur survenue des futurs bouleversements
écologiques, accompagnés de drames humains qui mettront la sécurité de
la planète en péril.
Face à cette situation, des propositions sont émises, par le biais
d’articles, de pétitions... dont il importe de voir leur portée, et de
comparer afin de voir jusqu’à quel point elles se recoupent (ce qui fera
l’objet d’un autre article). La fameuse « convergence des luttes »
davantage prônée de manière incantatoire que mise en pratique, a besoin
d’un socle solide, qui ne peut se constituer qu’en s’attaquant aux
fondements de la domination capitaliste sur le monde. Cette convergence
passe au moins autant par la confrontation des analyses que par le
regroupement dans les mêmes cortèges.
On a du pain sur la planche...