ZEMMOUR OU L’APOLOGIE DE LA TYRANNIE ANTISÉMITE
Hier sur BMTV, le candidat “patriote national” a dévoilé à quel point son projet serait celui de l’Europe “chrétienne” : “Moi,
je ferai basculer la majorité européenne en faveur du mur, qui sera
financé sur fonds européens […]. Et je pense que les pays qui ont fait
un mur comme la Hongrie, ce sont eux qui défendent la civilisation
européenne qui défendent beaucoup mieux que Madame Johansson”. de quelle civilisation européenne s’agit-il et en quoi l’anti-islamisme a besoin de l’antisémitisme ?
Il y a quelque chose de fascinant dans la manière dont ZEMMOUR paraît
avoir à cœur d’illustrer l’hystérie antisémite telle que l’a analysée
SARTRE (1). En gros, il s’agit d’un comportement GLOBAL et hystérique
qui place le dégout du juif au centre de sa vision du monde. C’est un
véritable choix existentiel,”une attitude globale que l’on adopte non
seulement vis à vis des Juifs, mais vis à vis des hommes en général, de
l’histoire et de la société ; c’est à la fois une passion et une
conception du monde”.
Je partage cette analyse de Sartre et je reconnais de ce fait un
antisémite même quand le juif ne parait plus être son obsession et bien
sûr quand il fait profession d’antisionisme en se moquant d’ailleurs
totalement de ce qu’il peut advenir du peuple palestinien. Je possède
une sorte de sens en éveil – et ce depuis l’enfance – quand je suis face
à un antisémite. Outre le fait qu’ils sont en général très collants, et
qu’ils ont un besoin passionné d’interlocuteurs juifs, cette obsession
me hérisse l’échine. On ne peut pas confondre l’antisémite avec le
matérialiste républicain laïque innocent qui s’obstine à m’expliquer que
je ne suis pas juive puisque je suis athée, mais parfois ils se
rejoignent dans la contrainte qu’ils exercent sur mon identité et leur
art de me remettre dans le droit chemin. ZEMMOUR n’en rate pas une et
donc me hérisse l’échine quand il prend l’ISLAM bille en tête tant je
mesure la manière perverse de son obsession.
L’antisémitisme même quand il parait faire référence à l’histoire a
une pensée a-historique, la détermination qui l’obsède est sous-jacente à
l’histoire et celle-ci n’est évoquée que pour justifier l’obsession. Ce
qui aboutit à des contresens et une ré-écriture autour de quelques
inventions manifestes comme celle qui veut que Pétain ait protégé les
juifs français, mais la ré-écriture concerne des portions entières de
l’histoire qui peuvent remonter jusqu’à la plus haute antiquité ou la
prise de Constantinople par les Turcs, tout doit être revu et corrigé,
le diable se nichant dans les détails. C’est une pensée mythique dont
l’individu est la proie qui ignore ce qu’est l’HISTOIRE et de ce point
de vue elle rejoint certaines déformations indigénistes, celle-ci est
utilisée pour créer une caution intellectuelle. Ce qui rend l’affaire
explosive c’est quand cette pensée mythique, cette hystérie
psychologique rencontre le financement des barons de la Rhur, Hitler
rencontre IG.FARBEN et peut-être ZEMMOUR, BOLLORÉ, mais ilne faudrait
pas croire qu’elle n’a pas une certaine autonomie qui la rend justement
intéressante pour le CAPITAL à la recherche d’une maîtrise des masses.
Parce que OUI, Zemmour opère à l’égard de l’ISLAM sur le modèle dont
l’antisémite, selon Sartre, opère à l’égard du juif : “les priver de
certains de leurs droits”, les écarter “de certaines fonctions
économiques et sociales”, les expulser “du territoire” et in fine “les
exterminer jusqu’au dernier”. Il faut les expulser de l’humanité dans sa
dimension sociale autant qu’historique, pas seulement les isoler mais
les anéantir. Cette violence est explosive mais c’est elle qui, comme la
guerre, peut entraîner la collaboration entre classe dominante et cette
idéologie.
Quel est le but de ce dégoût hystérique qui est à la fois mythe et
psychologie de masse ? Accomplir son propre fantasme de pétrification de
lui-même, toujours selon Sartre, se rassurer sur le fait d’être
imperméable à tout changement. L’antisémite se transforme en chose, la
culture, l’intelligence peut même devenir l’objet d’une peur secrète et
la médiocrité devient “un orgueil compensatoire” à l’idée de ne plus
être juif, une image du maître amputé de tout contact avec le réel qui
n’irait pas jusqu’au bout de la dialectique hégélienne. L’antisémite
n’est plus que l’agent d’une terreur aveugle et qui devient incapable de
prendre part à l’Histoire dans la mesure où celle-ci est futur. “Il est
dans une solitude pré-logique sans dialogue possible.”
Ce qui est évident y compris dans l’analyse sartrienne c’est que l’on
oublie la manière sociale dont est construite le mythe : “le Juif est
un homme que les autres hommes tiennent pour Juif: voilà la vérité
simple dont il faut partir.” Ce qui selon SARTRE les oblige à choisir
entre une existence authentique (assumer leur condition) ou
inauthentique (la refuser) et ils sont condamnés à entrer dans
l’histoire dans cette alternative. Pour avoir une existence authentique,
c’est-à-dire en rester sujet, le Juif doit opérer une synthèse
permanente entre l’en-soi et le pour soi, devenir le produit de ses
actes, faire coïncider sa liberté avec son “faire.”
Ce que veut l’extrême-droite c’est transformer l’arabe en juif,
au-delà du religieux retrouver les catégories de la mythification et
l’enfermer dans l’inauthenticité du reniement ou une authenticité
caricaturée en “terrorisme” ce qui doit lui demeurer interdit c’est
d’être sujet politique et justement républicain de l’Histoire, mais pour
cela, il faut que la matrice antisémite reste active dans la société
avec ses forces sociales réactivées. Jean Marie Le PEN qui est loin
d’être un imbécile a tout de suite perçu l’intérêt que représente
ZEMMOUR y compris dans la vente du produit extrême-droite aux forces
capitalistes, ce qui a toujours été une préoccupation essentielle du
clan.
On connait historiquement la catégorie souvent suspecte du juif qui
se déteste lui-même, mais ZEMMOUR lui innove en la matière, il déplace
ou tente de déplacer cette détestation typique sur l’Islam, et il le
fait terme à terme cequi n’a rien d’évident, c’est la pierre
philosophale de l’anti-impérialisme des imbéciles pour faire accepter la
tyrannie de l’extrême-droite.
Ce qui est fascinant chez Zemmour c’est à quel point l’inauthenticité
de “l’assimilation”, la caricature républicaine niant l’idée même
républicaine a débouché non seulement sur la peur panique mais sur la
tentation d’offrir un autre bouc émissaire à l’antisémitisme
d’extrême-droite pour qu’il soit toujours plus conservateur, toujours
plus respectueux de l’ordre existant. Sartre met en garde sur la lenteur
de l’évolution de la condition juive millénaire, devenue protéiforme,
en attendant une révolution capable d’aider à cette évolution, comme la
plupart des révolutions ont posé des jalons sur cette voie, il faut donc
dit-il “tout entreprendre pour respecter les Juifs en reconnaissant que
le danger de l’antisémitisme ne les concerne pas eux seuls, mais que
chacun se sait menacé par le danger de la tyrannie qu’il prépare”.
Le cas Zemmour nous offre une nouvelle illustration de cet exercice
de la tyrannie par la négation de l’HISTOIRE et le mythe auquel se
raccrochent les personnalités qui préfèrent leur propre chosification à
l’incertitude d’être un sujet avec ses doutes et ses erreurs. Déjà on
prétendait que l’inquisiteur en chef de l’inquisition de la
“reconquête”, TORQUEMADA était juif pour mieux nier l’histoire
espagnole, cette civilisation arabo-cordouane, voici que tout droit
sorti des démons de la guerre d’Algérie, les forces pétainistes se sont
trouvé un juif pour incarner la violence de l’antisémitisme sous la
forme du “grand remplacement”.
Danielle BLEITRACH
(1) Il y a deux sources essentielles de l’analyse de l’antisémitisme
chez SARTRE, la plus connue étant “les réflexions sur la question
juive”, mais il y a eu également ultérieurement d’autres textes qui font
allusion à l’antisémitisme, nuancent sans jamais remettre en cause
l’analyse de base.