.....extraite de l'article publié sur Histoire et Société intitulé :
"l’Ukraine aurait pu devenir une puissance moyenne et riche, mais la corruption de ses élites en a décidé autrement…"
La phrase:
« Les émigrants ukrainiens associés aux fondations de Soros sont alors
apparus sur le terrain qu’ils ont labouré avec acharnement, et dans les
années 2010, le fils du vice-président de l’époque, Joe Biden, Hunter
Biden, a été le numéro un à bénéficier de la rente dévolue aux
Américains », a-t-"il"(°) déclaré.
(°) Soros
Eric Stemmelen, ancien directeur de programmation de France 2, explique l’incroyable censure journalistique
Eric Stemmelen, ancien directeur de l’antenne et des programmes de France 2 et ancien directeur de l’institut de sondages Sofres, explique au micro de POUR.PRESScomment
s’organise la censure chez les journalistes du système. C’est une
machine bien rodée où le travail de censure se fait tout seul, sans
avoir besoin d’intervention, nous sommes dans de l’autocensure.
En ce qui concerne les journalistes de la caste, Eric Stemmelen explique : « Quand
le présentateur de la matinale d’Europe1 est payé 38 000 euros par
mois. Ça vaut quand même le coup de raconter n’importe quoi à ce tarif.
» Quant aux petits journalistes, « on s’autocensure par
peur d’être viré tout simplement […] il y en a qui n’ont pas l’intention
de se retrouver au chômage. Donc le système est bloqué ! Il n’y a pas
besoin d’envoyer la censure, c’est une autocensure. »
L’ancien directeur de programmation de France 2 va plus loin dans l’analyse pour épingler le rôle central de l’AFP dans ce grand théâtre journalistique : «
La deuxième chose, c’est que le système est plus efficace dans la
mesure où il y a le “copier-coller”, c’est-à-dire la reproduction sur
des sources apparemment diverses du même discours. Quand l’opinion est
confrontée au fait que l’article du Figaro est finalement le même que
celui Libération, qui est finalement le même que celui de l’Obs, qui est
le même que celui du Monde… alors qu’il s’agit de sources bien
différentes, avec, dit-on, un pluralisme, une diversité. Mais tous
disent la même chose ! Et donc, le public se dit : “C’est la vérité !”
puisque des organes aussi différents l’un que l’autre disent la même
chose. Sauf qu’ils n’ont rien de différent, ils appartiennent tous à des
milliardaires qui, eux, sont copains entre eux et n’ont pas besoin de
se consulter pour dire la même chose. »
Bertrand Badie. Les « alliances de bloc » sont mortes et l’Occident ne le comprend pas
Le professeur et chercheur Bertrand Badie livre pour Orient XXI une
réflexion stimulante sur l’évolution des alliances au temps de la
mondialisation. Sur les accords dits d’Abraham, les jeux complexes de la
Turquie, de la Russie ou des États du Golfe en Syrie ou en Libye, il
éclaire ces nouvelles « connivences fluctuantes ». Entretien
avec Sophie Pommier. Cet article nous parait contribuer à éclairer une
tendance importante de la période historique dans laquelle nous sommes, à
savoir que si nous assistons à la fin de l’hégémonie occidentale autour
du bloc occidental que les Etats-Unis ont réussi à constituer, nous
n’allons pas vers un autre bloc, mais une autre conception des relations
internationales qui apparaît comme le sujet de cet interview. Peut-être
l’analyse de Bertrand Badie sous-estime-t-elle néanmoins le rôle joué
partout par la montée du mécontentement populaire et l’incapacité pour
les gouvernants à les contenir, c’est pourtant la base de “la crise
systémique” avec le développement scientifique et technique et son rôle
face à un environnement lui aussi en crise profonde. (note de Danielle
Bleitrach pour histoireetsociete)
J’appartiens à une génération pour laquelle l’alliance veut dire des
choses très précises que l’on tient imprudemment pour nécessaires et
éternelles. Celles et ceux qui ont été socialisés du temps de la
bipolarité et de la guerre froide ont en tête un modèle d’alliance
simple qui structurait durablement, de part et d’autre du Rideau de fer,
deux coalitions de puissance comparable. L’alliance signifiait alors un
engagement à la fois pérenne et organisé. Cette évidence en réalité
n’en est pas une si on se réfère à l’histoire longue. Si on regarde en
arrière, les choses apparaissent déjà beaucoup plus compliquées.
Jusqu’en 1945, les alliances n’avaient rien de durable. Au gré des
rapports de forces, au gré des équilibres de puissance, on s’alliait à
l’un pour combattre l’autre, jusqu’à ce que, dans l’épisode suivant, la
géométrie vienne à se modifier, voire à s’inverser. La parfaite
illustration de cette logique nous est fournie par le Pacte
germano-soviétique de 1939. Mais on pourrait remonter plus loin dans le
temps et constater que des alliances même étranges pouvaient se nouer
dès lors que le déséquilibre de puissances était trop fort, l’un des
exemples les plus fameux étant l’« alliance impie » entre François Ier et Soliman le Magnifique lorsqu’en face l’Empire1 était trop fort et avait besoin d’être contrebalancé.
LA BIPOLARITÉ, UNE PARENTHÈSE DANS L’HISTOIRE DES RELATIONS INTERNATIONALES
En 1945, les choses ont changé : on est entré dans l’exception avec
la bipolarité. Le glissement progressif vers une forme d’alliance
pérenne s’est concrétisé avec la création de l’Organisation du traité de
l’Atlantique Nord (OTAN) en 1949, qui a suscité ensuite la constitution
d’une autre alliance destinée à l’équilibrer, avec l’apparition du
Pacte de Varsovie en 1955. Quand celui-ci a été dissous, l’OTAN a eu à
délibérer sur sa pérennisation : nous étions au printemps 1991. Le
président américain George H. Bush avait alors préconisé le maintien de
l’organisation, s’attirant cette remarque de François Mitterrand : « Vous êtes en train de nous servir une nouvelle Sainte-Alliance ».
Dans son esprit, cela voulait dire que l’on sortait d’une logique
mécanique d’équilibre entre les blocs pour sacraliser une alliance et la
rendre durable. De pragmatique et utilitaire qu’elle était dans un
contexte de Guerre froide, l’alliance n’avait plus dès lors pour
justifier son existence que cette onction que lui donnent des valeurs
jugées supérieures et que partageraient durablement les pays membres,
exactement comme en 1815, face à l’effondrement de l’empire français,
s’était constituée exceptionnellement la Sainte-Alliance, à
l’instigation du tsar de Russie.
Dans le contexte moderne, cette sacralisation ne va pas de soi.
D’abord parce que la référence à des valeurs communément partagées
devient de plus en plus difficile, et on le voit bien à travers les
différends qui opposent la Pologne ou la Hongrie aux pays de l’Europe
occidentale ; et ensuite parce que ce consensus sur les
valeurs relève davantage de la façade, de la rhétorique et de
l’autojustification que de la réalité des choses. Il résiste en tout cas
à toute analyse sociologique qui dénie toute unanimité, dans chaque
pays, sur les valeurs prétendument partagées. D’où ce besoin mécanique
et au demeurant dangereux pour l’OTAN d’avoir face à elle un ennemi
qu’elle réinvente pour se justifier. Lorsque la Russie de Boris Eltsine
ne pouvait pas tenir cette fonction, on a essayé de cibler la Chine.
Laquelle s’est refusée à jouer ce jeu. Nous étions alors au tournant des
deux siècles : la Chine était surtout intéressée à entrer à
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’elle a rejoint en
décembre 2001, à se banaliser comme puissance au sein de la
mondialisation. On a dû alors trouver un ennemi étrange, puisqu’il
n’était plus un pays, mais une « méthode »,
à savoir le terrorisme. Tout ceci a abouti à la situation actuelle
marquée par un autre virage : l’OTAN se reconstitue face à la menace
russe à la faveur de la crise ukrainienne, suivant un semblant de Guerre
froide qui précisément n’en est pas une !
LE JEU FLUCTUANT DES CONNIVENCES PRAGMATIQUES
En dehors de l’espace atlantique, on perçoit une manière tout à fait
autre et inédite de penser les partenariats. Depuis un certain temps, on
est passé à une logique de fluidité et de pragmatisme. L’exemple a
peut-être été donné pour la première fois par la Russie elle-même.
Émancipée de la logique bipolaire, la Russie a essayé de déployer des
accords tous azimuts qui lui ont valu successivement des réconciliations
spectaculaires, avec Israël, l’Arabie saoudite, et la Turquie entre
autres. La plupart du temps, ces accords n’ont pas valeur de
rééquilibrage au sein du système international : ils sont tout
simplement une façon de réaliser ponctuellement un certain nombre de « coups »
qui assurent une position diplomatique momentanément productive. C’est
ainsi que la Russie a pu réaliser plusieurs opérations profitables en
partenariat avec la Turquie, avec laquelle elle est pourtant en
désaccord sur de nombreux dossiers : Syrie, Libye, Caucase, ou Ukraine.
Mais les deux pays ont tissé des liens de connivence qui n’ont rien à
voir avec les alliances d’antan, qui ne sont même pas des alliances au
sens formel du terme, qui n’engagent les partenaires pratiquement à
rien. Ce sont des connivences ponctuelles qui leur permettent de
contrôler un moment l’agenda international, de peser sur la scène
diplomatique mondiale, de contraindre les autres et d’obtenir des
résultats immédiats.
On trouve des exemples de ce type chez la plupart des pays émergents,
la Turquie étant rejointe par l’Inde ou le Pakistan. Officiellement,
celui-ci est un allié des Occidentaux et participe encore à des
alliances militaires avec des puissances occidentales. Ce qui n’a pas
empêché de fortes connivences avec la Chine. Imran Khan2 a
été le premier à se rendre à Moscou lorsqu’a éclaté la guerre entre
l’Ukraine et la Russie, peut-être pour tirer certains marrons du feu.
C’est une pratique qui tend à se généraliser et qui crée souvent une
situation de faible lisibilité des interactions entre États dans les
régions conflictualisées, par exemple au Proche-Orient, en Asie du Sud
et de plus en plus en Afrique. Face à cette nouvelle réalité,
l’OTAN apparaît comme un modèle vieillot, inadapté, particulièrement
lourd et difficile à gérer, qui s’adapte difficilement aux situations
nouvelles.
Le conflit ukrainien semble certes déroger parce qu’il s’inscrit
apparemment dans la grammaire classique de l’OTAN, ce qui peut donner la
fausse impression qu’on voit renaître la Guerre froide en cette
occasion. Il est en revanche beaucoup plus difficile pour des alliances
durables et structurées de cette nature de se « mondialiser »
et de se situer face aux enjeux de la Méditerranée orientale, à ceux
d’Asie ou d’Afrique, comme l’a montré le malaise de l’alliance
atlantique dans la gestion de la crise d’Afghanistan.. Par ailleurs, on ne s’intéresse pas suffisamment à l’apparition de ce « Bandung II »3 qui
apparaît très clairement au fil des résolutions que l’Assemblée
générale des Nations unies a eu à adopter sur le conflit ukrainien. On a
vu un bloc d’une quarantaine d’États choisir l’abstention. Ce qui
signifie qu’ils refusaient de s’aligner sur les belligérants, comme ils
l’avaient déjà fait à Bandung. Mais ce qui est nouveau, c’est que ces
pays veulent jouer désormais un rôle actif sur la scène diplomatique,
refusant de payer la facture d’une guerre à laquelle ils sont étrangers.
Et par ailleurs, les États occidentaux, sûrs de leur bon droit, ne se
rendent pas compte à quel point leur position est affaiblie aux yeux de
la plupart des diplomaties du Sud par le soupçon de néo-colonialisme et
d’arrogance dont ils ne parviennent pas à s’abstraire et qu’ils font
revivre par le truchement de cette vieille « sainte Alliance » : autant de paramètres qui, par rapport au temps de la Guerre froide, réduisent la portée et l’efficacité de celle-ci.
Le maître mot aujourd’hui, c’est le pragmatisme. Par pragmatisme, on
renvoie à une notion d’utilitarisme économique qui tombe sous le sens
dans un contexte de mondialisation, de renforcement des échanges, et
surtout des interdépendances. Mais cela n’épuise pas le sujet. En plus
de cet impératif économique très fort, il y a des impératifs
sécuritaires extraordinairement complexes. Même si Israël n’est pas un
État du Sud, sa connivence avec la Russie,
qui se détériore un peu depuis quelques jours, tient au fait qu’elle
considère les partenariats conclus avec Moscou comme un moyen précieux
de contenir le danger que représentent à ses yeux l’Iran ou le
Hezbollah. On peut aussi prendre en compte le Maroc avec le Sahara où,
au-delà des préoccupations économiques, les Marocains ont clairement
troqué les Palestiniens contre les Sahraouis. Ici, les enjeux ne sont
pas tant économiques que territoriaux. Le cas de l’Égypte est
intéressant aussi. Les relations que l’on peut qualifier de
rééquilibrages et peut-être même plus, entre Le Caire et le Kremlin
s’expliquent par la volonté d’Abdel Fattah Al-Sissi d’alimenter son
nationalisme et de prendre ses distances avec les États-Unis. Il y a une
tentative individualiste, souvent assez égoïste, des États du Sud de
maximiser leurs chances de s’émanciper des anciennes tutelles. Les
partenariats entre la Russie et des pays comme le Mali ou la République
centrafricaine sont tout à fait révélateurs de ce point de vue. C’est
une manière de se dispenser de la tutelle française, voire de prendre
une revanche. Les anciennes alliances sont ainsi devenues des « connivences »,
des sursauts individualistes pour maximiser les chances de réussite de
chacun et sortir des formes classiques de dépendance que l’on pouvait
connaître autrefois.
LA CRISE DU MODÈLE HUNTINGTONIEN
Ces évolutions sont aussi une manière de désamorcer la bombe huntingtonienne, celle d’« une guerre de civilisations ».
Ce qu’il y avait de dangereux dans la théorie de Samuel Huntington,
était lié à sa nature de prophétie auto-réalisatrice. Rationnellement la
thèse ne tenait pas, mais on investissait tellement dans cette idée
qu’elle finissait par prendre sens. Or on voit bien que ces formes
nouvelles de connivence se font en négation de tout alignement
idéologique ou culturel. Des États qui pouvaient passer pour
huntingtoniens dans leur diplomatie, comme l’Arabie saoudite, les
Émirats arabes unis, l’Iran ou la Turquie, sont les plus zélés dans
cette diplomatie pragmatique et connivente. Ce qui — et c’est là toute
la complexité — n’efface pas pour autant la méthode identitariste de ces
diplomaties ou, d’une façon générale, des formes de mobilisation qui en
dérivent. Le djihadisme a ainsi survécu à ces connivences nouvelles, ce
qui aboutit à des paradoxes étonnants. On trouve en effet comme
soutiens directs ou indirects de la cause djihadiste en Afrique, des
États dont la diplomatie au niveau mondial se fait de plus en plus
pragmatique, à l’instar de l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis,
ou même le Qatar. Ces pratiques djihadistes perdurent ainsi dans une
ambiance pourtant post-huntingtonienne !
Le propre de la connivence, c’est son incohérence par rapport au
modèle appris. Maintenant en quoi serait-il interdit d’avoir une
diplomatie inspirée, quand il le faut, de considérations pragmatiques
et, quand on le doit, de références identitaires, culturelles ou
idéologiques ? Ce ne serait pas la première fois. Cela n’embarrassait pas François Ier de
s’allier avec Soliman le Magnifique, ça ne gênait pas la diplomatie
américaine de soutenir Oussama Ben Laden lorsqu’il fallait combattre les
Soviétiques en Afghanistan, et on pourrait continuer l’énumération…
L’erreur, c’est de continuer à raisonner en termes de blocs. Les idéologues « occidentalistes »
risquent d’être victimes de leur fausse naïveté en postulant que la
culture à laquelle ils se réfèrent est l’expression d’une exception qui,
à tout moment, doit surclasser toute autre considération, là où leurs
partenaires de poids égal misent au contraire sur un parfait
pragmatisme. Xi Jinping voue aux gémonies l’activisme djihadiste
lorsqu’il s’agit de stigmatiser les Ouïgours, mais son ministre des
affaires étrangères s’est affiché aux côtés du mollah Abdul Ghani
Baradar4 en
août 2021, pour sceller la coopération avec l’Afghanistan. C’est quand
même amusant de voir que, dans ce pays de la révolution culturelle, le
pragmatisme est plus affirmé que dans des pays pluralistes qui se disent
libéraux.
LE « PETIT FRÈRE » L’EMPORTE SUR LE « GRAND FRÈRE »
J’ai dit depuis longtemps, dans mes précédents ouvrages, qu’aujourd’hui le « petit frère » a tendance à l’emporter sur le « grand frère ».
Je donnerais l’exemple de Benyamin Nétanyahou face à Barack Obama ou
Donald Trump. Il y a une capacité étonnante des dirigeants israéliens à
ne pas se laisser conduire par le « grand frère »
américain et même à lui dicter leur volonté. Deux facteurs entrent ici
en ligne de compte. D’abord la dépolarisation, qui fait que le « grand frère »
n’a plus de statut formalisé comme ça pouvait être le cas lorsqu’il
était le leader d’un des deux blocs en compétition. Et l’érosion des
logiques de puissance a fait le reste. L’équilibre de puissance ne
gouverne plus le monde. On l’a bien vu lorsque, systématiquement, les
plus puissants ont été, qui battu en Afghanistan (l’URSS), qui battu au
Vietnam, en Afghanistan, en Irak et en Somalie (les États-Unis) ou dans
le Sahel (la France). Donc à partir du moment où le « grand frère »
n’a plus l’alibi et l’argument d’une puissance infaillible dont il est
seul détenteur, pourquoi voulez-vous que les autres lui obéissent
passivement ? Quand celui qui vous domine a des armes qui
ne fonctionnent plus, vous avez tendance à ne plus tenir compte de ce
qu’il vous dit. Mais il faut quand même nuancer par le fait que, même si
le « grand frère » ne commande plus, il
garde une capacité de manipulation liée à toute une catégorie d’autres
ressources qui ont moins de visibilité, et qui tiennent à son influence,
ses capacités de maîtriser l’agenda international. Cette forme
appauvrie du nouveau leadership pèse cependant d’un poids important,
puisqu’elle conduit à requalifier les conflits : de guerre de
décomposition sociale, le conflit sahélien glisse vers une autre
identité du fait de la présence de l’armée française sur le terrain…
L’OTAN NE RÉPOND PLUS AUX NOUVEAUX ENJEUX
On ne peut pas comprendre le système international actuel autrement
que par référence à cette fluidité des connivences. Bien des
observateurs et, d’une façon générale, le langage courant utilisent
couramment les images de « chaos » ou de « désordre international ».
Mais notre monde n’est pas si chaotique ni désordonné qu’on le pense.
Simplement, comme on veut le voir à travers les vieilles lunettes des
alliances pérennes, on trouve que tout est devenu bizarre et ne
fonctionne plus : on ne comprend pas les « pirouettes »
turques, l’attitude des Émirats arabes unis, ou les retournements que
l’on observe ponctuellement en Afrique. Ce nouveau modèle constitue en
fait une rupture profonde : il est porteur d’éléments de progrès et
aussi de défis nouveaux, sources d’incertitudes inédites. D’un certain
point de vue, il y a progrès, parce que le monde bipolaire était un
monde extrêmement dangereux : certes, on a expliqué que la dissuasion
avait parfaitement fonctionné, grâce à la coexistence pacifique. Mais on
oublie que celle-ci a fait 36 millions de morts hors de son périmètre.
Cette bipolarité était un système finalement beaucoup plus létal que
l’opinion publique ne le croit. Et donc cette multiplicité de
connivences instables et sans cesse en recomposition peut être
aujourd’hui une manière de frein à une conflagration généralisée.
Mais c’est aussi une source de dangers nouveaux parce que la
principale conséquence de la généralisation de ces connivences et de
leur fluidité, tient à l’imprévisibilité des situations. Personne ne
sait comment les uns et les autres réagiront face à un fait nouveau, en
Palestine, ou si un nouvel État venait à s’effondrer en Afrique, si une
nouvelle crise éclatait dans le Golfe… quantité d’éléments qui autrefois
conduisaient à une chaîne de conséquences qu’on maitrisait dans les
chancelleries. Il suffit de regarder le conflit ukrainien pour mesurer
ce jeu d’incertitudes. On n’y trouve pas simplement l’Occident face à la
Russie, mais un écheveau de diplomaties fort complexes et instables,
créant un jeu systémique difficile à décrypter et dont dépendra l’issue
du conflit ! C’est notre entrée dans la mondialisation qui rend complexe ce jeu international.
Le journaliste Christian Makarian me disait, dans un débat récent,
que les Russes étaient les inventeurs du jeu d’échecs. J’aurais pu
ajouter que les Persans ont inventé le trictrac, ce qui leur donne plus
d’agilité ! Les Occidentaux, eux, ont inventé Descartes. À
peu près personne dans le camp occidental ne sait s’adapter à ces
nouveaux jeux complexes qui n’ont rien de cartésien !
Quand on pense que, face à cette agression russe sur l’Ukraine, le
réflexe occidental est d’élargir l’OTAN que d’aucuns disaient il y a
encore quelques mois en situation de mort cérébrale, on perçoit la
réalité du décalage par rapport au contexte présent. On répond à une
situation entièrement nouvelle avec de vieilles méthodes.
NOUS VIVONS UNE CRISE SYSTÉMIQUE
Ajoutons à ce tableau le poids des crises à dimension planétaire. J’ai écrit mes deux derniers livres, mon dernier notamment5,
autour de l’idée que nous étions en train de passer, en l’espace d’une
génération, d’une sécurité construite en termes nationaux à une sécurité
reconstruite en termes globaux. La vraie menace aujourd’hui, n’est pas
une insécurité découlant de l’action du voisin, mais l’insécurité issue
des menaces objectives portées par le système tout entier. Le terrorisme
tue entre 10 000 et 40 000 personnes par an, là où la faim dans le
monde en tue à peu près dix millions, où le climat en tue 8 à 9 millions
et où la situation sanitaire chiffre aussi les victimes en millions.
Tout ceci ne peut être combattu par l’addition de 193 politiques
nationales, mais bien par une politique globale. On ne viendra jamais à
bout des incohérences en matière climatique autrement que par une
gouvernance globale. Et une gouvernance globale, ce n’est pas une
gouvernance négociée, au sens ancien du terme. C’est la raison pour
laquelle les COP6 n’ont
qu’une maigre efficacité. Chacun essaye de négocier son bout de gras
pour qu’à la fin, il n’y ait plus de gras du tout à l’échelle globale.
Nous avons besoin d’un changement de logiciel pour comprendre que la
principale menace n’est plus le résultat d’une stratégie malveillante,
mais l’effet d’un dérèglement systémique dont nous sommes tous
responsables collectivement. La logique de connivence à mon avis ne sera
pas, de ce point de vue, davantage efficace que la logique d’alliance.
Au contraire, les accords pragmatiques, les coalitions d’un jour,
peuvent rendre le dossier beaucoup plus difficile à gérer, avec des
raisonnements du type « Je défends ton droit au charbon si tu défends mon droit à la déforestation ».
À la base des logiques de connivence, il y a toujours un calcul à court
terme, alors que là, il s’agit de faire gagner tout le monde en même
temps, et sur le long terme.
Quelle est la place de l’ONU dans tout ça ? Elle a été
créée en 1945 sur une base très claire qui était celle d’un système en
voie de bipolarisation et sur la valorisation totale et absolue d’une
puissance, les États-Unis, qui venait de montrer, et son efficacité en
gagnant la guerre, et sa vertu en terrassant le monstre nazi. Ce qui
faisait alors la force de l’ONU fait aujourd’hui sa faiblesse. À savoir
une confiance absolue accordée aux plus puissants — en l’espèce les cinq
membres permanents du Conseil de sécurité — pour régler tous les
problèmes. Or l’évolution des relations internationales a fait que les
cinq cogérants du monde se sont installés dans une fonction de blocage
consistant à pérenniser à tout prix leur rang et leur statut
dérogatoire, ce qui explique la totale paralysie du Conseil de sécurité
et la connivence de ces cinq États pour refuser d’y délibérer sur les
grands sujets globaux. C’est ainsi que le délégué russe, Vassili
Nebenzia, a déclaré qu’il serait « contre-productif »
de parler de questions climatiques au Conseil de sécurité, ce qui
illustre parfaitement ce à quoi conduit la logique de puissance.
L’ONU est formellement non réformable puisque pour réformer le
Conseil de sécurité, il faut l’accord des cinq membres permanents, ce
qui est perdu d’avance. Mais en même temps, l’ONU s’est de facto considérablement
réformée en poussant pragmatiquement à un multilatéralisme social qui
existe indépendamment du Conseil. Les grands succès de l’ONU c’est le
Programme alimentaire mondial (PAM), qui a quand même eu le prix Nobel
il y a deux ans, c’est le Fonds des Nations unies pour l’enfance
(Unicef), c’est le Programme des Nations unies pour le développement
(PNUD), c’est l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO), c’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
contrairement à ce qu’on a pu dire pendant la crise du Covid. C’est ce
qu’avait voulu Kofi Annan dans son discours du millénaire lorsqu’il a
annoncé ses Objectifs millénaires pour le développement (OMD), repris
par son successeur sous la forme des ODD, Objectifs de développement
durable.
L’incroyable
discours de Vladimir Poutine du 16 août 2022 : « Je répète que l’ère de
l’ordre mondial unipolaire est voué à l’échec »
Voici grâce à un site qui fait un excellent travail d’information
par un retour aux sources, le discours de Poutine qui pose effectivement
une question incontournable : quel prix les “élites” occidentales sont
prêtes à faire payer à l’humanité et à leurs propres citoyens pour
tenter de freiner leur perte d’hégémonie? Alors que celle-ci est
inévitable et a commencé sans retour en arrière possible. Cette
conscience n’est pas uniquement celle du président russe, elle est de
plus en plus partagée et son discours est entendu par tous ceux qui sont
conscients du caractère destructeur de cette tentative de porter à
l’extérieur leur propre incapacité à résoudre leurs problèmes internes, à
le faire en violant la souveraineté de tous, et en empêchant un monde
multilatéral de se construire, une réaction inutile qui se nourrit de
conflits et les entretient par la force. (note de Danielle Bleitrach
pour histoireetsociete)
Nous avons sous-titré en français le discours de Vladimir Poutine
lors de la 10e Conférence de Moscou sur la sécurité internationale du 16
août 2022. Lors de son allocution, le président Poutine a accusé
l’Occident de détourner l’attention de ses propres citoyens des
problèmes socio-économiques urgents tels que la chute du niveau de vie,
le chômage, la pauvreté et la désindustrialisation.
Le chef du Kremlin a aussi réitéré ses propos concernant l’ordre
mondial unipolaire voulu par les élites mondialistes, assurant que ce
dernier n’aura pas lieu : « Je répète que l’ère du monde unipolaire
est en train de devenir une chose du passé. Peu importe la force avec
laquelle les bénéficiaires du modèle mondialiste actuel s’accrochent à
la situation, il est voué à l’échec. »
Marcel D. vous explique en 4-4-2 qui est réellement Vladimir Poutine !
Mesdames et Messieurs,
Chers invités étrangers,
Aujourd’hui, une discussion aussi ouverte est particulièrement pertinente. La
situation mondiale évolue de manière dynamique et les contours d’un
ordre mondial multipolaire se dessinent. Un nombre croissant de pays et
de peuples choisissent la voie d’un développement libre et souverain
fondé sur leur identité, leurs traditions et leurs valeurs distinctes.
Ces processus objectifs sont combattus par les élites
mondialistes occidentales, qui provoquent le chaos, attisent les
conflits anciens et nouveaux et poursuivent la politique dite
d’endiguement, qui revient en fait à la subversion de toute option
alternative et souveraine de développement. Ainsi, ils font tout
ce qu’ils peuvent pour conserver l’hégémonie et le pouvoir qui leur
échappent ; ils tentent de maintenir les pays et les peuples sous
l’emprise de ce qui est essentiellement un ordre néocolonial. Leur
hégémonie signifie stagnation pour le reste du monde et pour toute la
civilisation ; cela signifie obscurantisme, annulation de la culture et
totalitarisme néolibéral.
Ils utilisent tous les moyens. Les États-Unis et leurs
vassaux s’ingèrent grossièrement dans les affaires intérieures d’États
souverains en organisant des provocations, en organisant des coups
d’État ou en incitant à des guerres civiles. Par des menaces, des
chantages et des pressions, ils tentent d’obliger des États indépendants
à se soumettre à leur volonté et à suivre des règles qui leur sont
étrangères. Cela se fait dans un seul but, qui est de préserver leur
domination, le modèle séculaire qui leur permet de parasiter partout
dans le monde comme il l’a fait pendant des siècles. Mais un tel modèle ne peut fonctionner que par la force.
C’est pourquoi l’Occident collectif – le soi-disant Occident
collectif – sape délibérément le système de sécurité européen et noue de
nouvelles alliances militaires. L’Otan rampe vers l’est et renforce son
infrastructure militaire. Entre autres choses, il déploie des systèmes
de défense antimissiles et renforce les capacités de frappe de ses
forces offensives. Ceci est hypocritement attribué à la nécessité de
renforcer la sécurité en Europe, mais c’est en fait tout le contraire
qui se produit. De plus, les propositions sur les mesures de sécurité
mutuelle, que la Russie a présentées en décembre dernier, ont une fois
de plus été ignorées.
Ils ont besoin de conflits pour conserver leur
hégémonie. C’est pour cette raison qu’ils ont destiné le peuple
ukrainien à servir de chair à canon. Ils ont mis en œuvre le projet
anti-Russie et ont été complices de la diffusion de l’idéologie
néo-nazie. Ils ont fermé les yeux lorsque les habitants du Donbass ont
été tués par milliers et ont continué à déverser des armes, y compris
des armes lourdes, à l’usage du régime de Kiev, ce qu’ils persistent à faire maintenant.
Dans ces circonstances, nous avons pris la décision de mener une
opération militaire spéciale en Ukraine, décision qui est pleinement
conforme à la Charte des Nations unies. Il a été clairement précisé que
les objectifs de cette opération sont d’assurer la sécurité de la Russie
et de ses citoyens et de protéger les habitants du Donbass contre le
génocide.
La situation en Ukraine montre que les États-Unis tentent d’étirer ce conflit. Il
agit de la même manière ailleurs, fomentant le potentiel de conflit en
Asie, en Afrique et en Amérique latine. Comme vous le savez, récemment,
les États-Unis ont de nouveau, délibérément essayé d’attiser les flammes
et de semer le trouble en Asie-Pacifique. Nous considérons cela comme
une provocation minutieusement planifiée.
Il est clair qu’en prenant ces mesures, les élites
mondialistes occidentales tentent, entre autres, de détourner
l’attention de leurs propres citoyens des problèmes socio-économiques
urgents, tels que la chute du niveau de vie, le chômage, la pauvreté et
la désindustrialisation. Ils veulent rejeter la responsabilité de leurs
propres échecs sur d’autres pays, à savoir la Russie et la Chine, qui
défendent leur point de vue et conçoivent une politique de développement
souveraine sans se soumettre au diktat des élites supranationales.
Nous voyons également que l’Occident s’efforce d’étendre son système
fondé sur les blocs à la région Asie-Pacifique, comme il l’a fait avec
l’Otan en Europe. À cette fin, ils créent des syndicats
militaro-politiques agressifs tels que AUKUS et d’autres.
Il est évident qu’il n’est possible de réduire les tensions dans le
monde, de surmonter les menaces et les risques militaro-politiques,
d’améliorer la confiance entre les pays et d’assurer leur développement
durable que par un renforcement radical du système contemporain d’un
monde multipolaire.
Je répète que l’ère du monde unipolaire est en train de
devenir une chose du passé. Peu importe la force avec laquelle les
bénéficiaires du modèle mondialiste actuel s’accrochent à la situation,
il est voué à l’échec. Les changements géopolitiques historiques vont
dans une direction totalement différente.
Et, bien sûr, votre conférence est une autre preuve importante des
processus objectifs formant un monde multipolaire, réunissant des
représentants de nombreux pays qui souhaitent discuter des questions de
sécurité sur un pied d’égalité et mener un dialogue qui tient compte des
intérêts de toutes les parties, sans exception.
Je tiens à souligner que le monde multipolaire, fondé sur le
droit international et des relations plus justes, ouvre de nouvelles
opportunités pour contrer les menaces communes, telles que les conflits
régionaux et la prolifération des armes de destruction massive, le
terrorisme et la cybercriminalité. Tous ces défis sont mondiaux
et il serait donc impossible de les surmonter sans combiner les efforts
et les potentiels de tous les États.
Comme auparavant, la Russie participera activement et résolument à
ces efforts conjoints coordonnés, avec nos alliés, partenaires et
associés, afin d’améliorer les mécanismes existants de sécurité
internationale. Elle en créera de nouveaux et renforcera
systématiquement les forces armées nationales et les autres structures
de sécurité en leur fournissant des armes et des équipements militaires
de pointe. La Russie assurera ses intérêts nationaux, ainsi que
la protection de ses alliés, et prendra d’autres mesures vers la
construction d’un monde plus démocratique où les droits de tous les
peuples et la diversité culturelle et civilisationnelle seront garantis.
Nous devons rétablir le respect du droit international, de ses normes et principes fondamentaux. Et,
bien sûr, il est important de promouvoir des agences universelles et
communément reconnues comme l’Onu et d’autres plateformes de dialogue
international. Le Conseil de sécurité de l’Onu et l’Assemblée générale,
comme prévu initialement, sont censés servir d’outils efficaces pour
réduire les tensions internationales et prévenir les conflits, ainsi que
pour faciliter la fourniture d’une sécurité et d’un bien-être fiables
aux pays et aux peuples.
En conclusion, je tiens à remercier les organisateurs de la
conférence pour leur important travail préparatoire et je souhaite à
tous les participants des discussions approfondies.
Je suis sûr que le forum continuera d’apporter une contribution
significative au renforcement de la paix et de la stabilité sur notre
planète et facilitera le développement d’un dialogue et d’un partenariat
constructifs.