mardi 26 octobre 2021

Le vote tactique pour Mélenchon, ce qu’il a été, ce qu’il n’est plus

par Gilles Questiaux

Voici dans le cadre des multiples débats menés dans ce site, la contribution de Gilles Questiaux à la réflexion d’un vote communiste qui conserve son indépendance et ne renonce pas à marquer ses accords mais aussi ce qui lui parait être des insuffisances. Nous pensons en effet majoritairement dans ce site que le candidat communiste devrait s’adresser à toute une partie de son électorat naturel qui a déserté non seulement le pcf mais même le vote en sa faveur. Nous pensons également qu’au nom de l’unité de sommet dans le parti et dans le dialogue à gauche ignorer ce potentiel limite de plus en plus l’audience et le combat courageux de Fabien Roussel. C’est pourquoi nous nous félicitons que malgré ce silence, nombreux soient ceux qui se rallient, grâce à une analyse politique sur le fond, à cette candidature et nous leur donnons la parole. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

Sera-t-il un bon choix tactique d’appeler au vote Mélenchon en 2022, comme en 2012 et en 2017 ?

Mélenchon n’est pas un candidat de témoignage. Il pourrait comme Mitterrand l’a été, être élu président à sa troisième tentative, la persévérance de cette ambition apportant une notoriété populaire et un capital politique à la personne d’un homme politique et lui donne une sorte de dimension supplémentaire. De ce seul fait, les électeurs s’étant habitué à lui en quelque sorte, sa victoire n’est pas impossible. Mais je crois que pour d’autres facteurs, elle est bien moins possible et beaucoup plus improbable qu’en 2017, l’année où il a raté sa chance.

En 2012, il était encore auréolé de son rôle qui paraissait majeur dans la victoire du « non » au TCE. Le PCF encore sous le coup de la déconfiture de Marie-Georges Buffet en 2007 ne pouvait guère faire autre chose que de s’aligner, et JLM a obtenu un excellent 11 %, du jamais vu pour un candidat « gauche de gauche » depuis longtemps, bien que des sondages hyperboliques qui le plaçaient encore plus haut aient un peu gâché la fête.

De ce succès absolument rien n’a été fait, comme rien n’avait été fait non plus de la victoire du « non » en 2005, les deux partenaires étant parfaitement d’accord pour ne pas s’entendre et pour ne rien entreprendre pour reconquérir le vote des classes populaires. Les résultats de toutes les élections intermédiaires entre les deux présidentielles sanctionnèrent cruellement le PG comme le PCF.

Malgré ces déboires, Mélenchon refit surface pendant l’été 2016, en liquidant son organisation, le PG, et en lançant la FI, entièrement organisée autour de sa personne, mais qui semblait transcender le clivage droite-gauche en visant le vote populaire, tout en infléchissant sérieusement son langage dans un sens « dégagiste », populiste et anti-impérialiste. Il partait d’un seuil solide d’intentions de vote d’environ 12 %, sans même avoir fait campagne, ce qui lui permettait à sa propre surprise d’envisager le second tour, le seul à gauche dans ce cas, et il rompait la glace avec des déclarations très fermes sur l’OTAN, un peu moins fermes mais bonnes aussi sur l’UE. Or la politique étrangère est la pierre de touche pour juger si un candidat à l’intention ou non de réaliser son programme, dans un pays à la souveraineté limitée comme la France.

Cela me parut suffisant pour militer dans le PCF, au grand scandale de mes amis politiques purs et durs, pour la candidature Mélenchon, comme le firent alors d’autres communistes hors du parti (le PRCF, le RCC) etc.

Le résultat inespéré de 7 millions de voix (19,6% des suffrages exprimés) le mettait à 700 000 voix du second tour, qu’il n’aurait sans doute pas gagné contre Macron. Cependant, dès le soir du premier tour (et même dès la dernière semaine de campagne) Mélenchon avait commencé à se débarrasser de ce capital politique tout nouvellement acquis comme d’une patate chaude. Les candidats présentés par la FI , six semaines après le second tour, ne récoltaient que 35 % des voix qui s’étaient portées sur Mélenchon. Cette déroute, à peine le succès enregistré s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, JLM a commencé à retropédaler sur les aspects « populistes » de son programme avant le premier tour, et il a choisi symboliquement de finir une campagne tonitruante, de façon inoffensive, en allant rendre visite en péniche sur le canal Saint-Martin avec son copain Iglesias à la foule clairsemée des bobos de l’Est parisien. Il s’est soudain affiché pro-européen dans son dernier grand meeting, et il a refusé de soutenir clairement le Venezuela bolivarien, lorsqu’il a été attaqué sur le sujet, rappelant son lamentable vote impérialiste au parlement européen en 2011, sur l’invasion de la Libye. Anti-impérialiste, oui, à condition que ça ne lui coûte rien!

Son attitude de mauvais perdant bien peu « présidentielle » le soir du premier tour a pu aussi le décrédibiliser, attitude aggravée par sa réaction ridicule aux perquisitions politiques de ses locaux, l’année suivante. Enfin, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a fait aucun effort pour se coordonner avec le PCF, qui était pourtant la seule formation importante qui le soutenait, ni pour préparer des candidatures communes au législatives. Un vieux relent d’anticommunisme lambertiste a du jouer son rôle (« vous êtes le néant, vous êtes la mort ») ; il n’y avait pas à l’époque que Trump pour produire des tweets agressifs et débiles.

Pour résumer, la campagne de Mélenchon n’a pas gagné parce qu’il y avait pour la mettre en œuvre trop de bobos, pas assez de prolos.

En 2022, sachant cela la question se pose à nouveau, faut-il encore voter Mélenchon, pour réaliser un résultat honorable (qui sans servir à grand-chose vaut quand même beaucoup mieux qu’une veste comme celles, méritées, reçues par Hue et MGB)) comme en 2012, ou même pour viser le deuxième tour comme en 2017 ?

La question étant aussi de savoir s’il peut atteindre le second tour et être élu en 2022 ; Mais cette question porte non sur le fond ou le programme mais sur une simple évaluation des probabilités de succès. Dans l’absolu, bien entendu, il le « peut », tout le monde le peut, sauf ceux qui ne le veulent pas.

Et justement j’ai certains doutes sur la volonté de vaincre de l’ami Jean Luc.

De plus atteindre le second tour et être élu sont deux choses différentes. Ce qui rendait le pari sur ce candidat si intéressant en 2017, c’était l’hypothèse fort possible qu’il se retrouverait au second tour contre Marine le Pen, en position de gagner en exploitant le rejet de cette dernière (un peu comme Pedro Castillo a gagné contre Keiko Fujimori cette année au Pérou).

Mais aujourd’hui, il est de plus en plus clair que JLM au second tour ne doit pas s’attendre à des cadeaux de la part du centre-gauche soi-disant républicain dans un éventuel duel avec l’extrême droite. Son positionnement compris à tort ou à raison comme « islamo-gauchiste » risque aussi de couper l’apport d’un vote dégagiste venu de l’extrême droite dans une configuration qui le placerait contre Macron (celui là ou un autre représentant du marais). Et il est bien clair aujourd’hui qu’aucun candidat de la gauche réelle (celle qui s’en prend au capital) ne peut être élu dans aucune élection si tacitement des électeurs d’extrême-droite ne se reportent pas sur lui. Tout candidat qui construit un discours de campagne incompatible avec ce report doit être écarté.

Bref, pour un JLM qui a choisi de se positionner à gauche de la gauche, la gauche est tout simplement trop faible pour le porter à la victoire. Il ne pourrait arriver, avec de la chance, au second tour qu’en siphonnant toutes ses réserves dès le premier tour. Fabien Roussel a donc raison de souligner, pour justifier l’existence de sa candidature, que le problème de la gauche n’est pas tant qu’elle est divisée, que le fait qu’elle est beaucoup trop faible, aux alentours d’un quart de l’électorat, un sixième si on compte les abstentionnistes !

La gauche à laquelle ne s’identifient positivement guère plus de 10 % des sondés dans les enquêtes d’opinion ne représente plus qu’une fraction de la bourgeoisie, moralisatrice et obsédée de conformisme éthique, et les malheureux qu’elle influence via ses relais communautaristes.

Je considère donc que Mélenchon n’est plus le porteur d’un espoir conjoncturel, ce qu’il a été en 2012, et bien plus en 2017. Il a purgé son organisation de tous les souverainistes, les accablant d’insultes au passage. Gauchistes communautaristes et écologistes timbrés tiennent le haut du pavé parmi ses conseillers, qu’il n’écoute d’ailleurs même pas mais qui saturent la communication. Les aléas de ses positionnements, de ses attitudes et de ses déclarations depuis 2017 ont révélé ce qu’on savait, qu’il était essentiellement motivé par un ego surdimensionné, mais ils ont surtout prouvé qu’il n’est motivé que par cela.

Sanders, Corbyn, Iglesias, Tsipras, et enfin Mélenchon, une génération de la gauche politique occidentale s’éclipse, faute de courage politique, mais faute surtout d’ancrage dans les classes populaires.

Dans ces conditions je voterai sans espoir excessif mais sans regrets pour Fabien Roussel, qui est certainement le meilleur candidat qui pouvait sortir des rangs du PCF. Et pour preuve, les difficultés qu’il éprouve à mobiliser un corps de militants défaitistes sélectionnés par les directions issues de la mutation du PCF, et la dissidence ouverte ou larvée d’une partie des cadres, dont MGB comme par hasard, scandalisés d’un discours qui s’adresse véritablement, bien que timidement, à la classe ouvrière dans son unité, indifféremment à ses divisions de genre, de religion, etc.

Un résultat honorable de ce candidat renforcerait les idées du socialisme en France et l’influence des défenseurs de la classe ouvrière dans le PCF et dans la CGT (on peut envisager au moins les 8% du PTB en Belgique !).

Arriver au second tour est très improbable, mais comme pour tout autre candidat de gauche, et sans doute même un peu moins, car la campagne de Roussel est potentiellement entendable par les électeurs des classes populaires de toutes tendances, et encore plus par ceux qui sont depuis longtemps abstentionnistes.

Mais sachant que cette perspective du second tour s’est éloignée, essentiellement par la faute des incohérences, des reculs, et des foucades inconsidérée du principal candidat de ce coté, il faut voter sur les programmes et sur la confiance qu’ils peuvent inspirer et je préfère un programme avec énergie nucléaire et sans quinoa, simple question de goût.

GQ, 20 octobre 2021