Torturée par l'armée française en Algérie, « Lila » recherche l'homme qui l'a sauvée
Par Florence BeaugéLE MONDE Le 20.06.2000 à 00h00 • Mis à jour le 28.07.2014 à 14h35
Louisette Ighilahriz, ancienne militante FLN, a été capturée par l'armée française puis torturée et violée. Crédits : AFP/JOEL ROBINE
« J'étais allongée nue, toujours nue. Ils pouvaient venir une, deux ou trois fois par jour. Dès que j'entendais le bruit de leurs bottes dans le couloir, je me mettais à trembler. Ensuite, le temps devenait interminable. Les minutes me paraissaient des heures, et les heures des jours. Le plus dur, c'est de tenir les premiers jours, de s'habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement, un peu comme si le corps se mettait à flotter. » Quarante ans plus tard, elle en parle avec la voix blanche. Elle n'a jamais eu la force d'évoquer avec sa famille ces trois mois qui l'ont marquée à vie, physiquement et psychologiquement.
Elle avait 20 ans. C'était en 1957, à Alger. Capturée par
l'armée
française le 28 septembre, après être
tombée dans une embuscade avec son commando, elle avait été
transférée, grièvement blessée, à l'état-major de la 10e
division parachutiste de Massu, au Paradou Hydra. « Massu
était brutal, infect. Bigeard n'était pas mieux, mais, le pire,
c'était Graziani. Lui était innommable, c'était un pervers qui
prenait plaisir à torturer.
Ce n'était pas des êtres humains. J'ai souvent hurlé à Bigeard :
"Vous n'êtes pas un homme si vous
ne m'achevez pas !" Et lui me répondait en ricanant :
"Pas encore, pas encore !" Pendant ces trois mois,
je n'ai eu qu'un but : me suicider,
mais, la pire des souffrances, c'est de vouloir
à tout prix se supprimer
et de ne pas en trouver
les moyens. »
Elle a tenu bon, de septembre à décembre 1957. Sa famille payait
cher le prix de ses actes de « terrorisme ».
« Ils ont arrêté mes parents et presque tous mes frères
et sœurs. Maman a subi le supplice de la baignoire pendant trois
semaines de suite. Un jour, ils ont amené devant elle le plus jeune
de ses neuf enfants, mon petit frère de 3 ans, et ils l'ont
pendu... » L'enfant, ranimé in extremis, s'en est sorti.
La mère, aujourd'hui une vieille dame charmante et douce, n'avait
pas parlé.
« MAIS, MON PETIT, ON VOUS A TORTURÉE ! »
Sa fille aurait fini par mourir,
dans un flot d'urine, de sang et d'excréments, si un événement
imprévu n'était intervenu. « Un soir où je me balançais
la tête de droite à gauche, comme d'habitude, pour tenter
de calmer
mes souffrances, quelqu'un s'est approché de mon lit. Il était
grand et devait avoir
environ 45 ans. Il a soulevé ma couverture, et s'est écrié
d'une voix horrifiée : "Mais, mon petit, on vous a
torturée ! Qui a fait cela ? Qui ?" Je n'ai
rien répondu. D'habitude, on ne me vouvoyait pas. J'étais sûre que
cette phrase cachait un piège. » Ce n'était pas un
piège. L'inconnu la fera transporter
dans un hôpital d'Alger, soigner,
puis transférer
en prison. Ainsi, elle échappera aux griffes de Massu, Bigeard et
Graziani.
Louisette Ighilahriz, « Lila » de son nom de
guerre, retrouvera la liberté cinq ans plus tard, avec
l'indépendance de l'Algérie.
Depuis, elle recherche désespérément son sauveur. Ce souhait est
même devenu une idée fixe, une obsession. « J'ai tout
essayé, envoyé des messages partout, avec de moins en moins
d'espoir de le retrouver
vivant. S'il l'est encore, il doit avoir à peu près 85 ans. Je
ne veux qu'une chose : lui dire
merci. »
Elle ne sait presque rien de Richaud, sinon son nom, pour l'avoir
entendu - mais elle n'est même pas sûre de l'orthographe -,
sa fonction probable : médecin militaire, et son grade :
commandant. A défaut de le revoir,
Louisette Ighilahriz voudrait remercier
sa fille : « Je me souviens qu'il m'avait dit :
"Je n'ai pas vu ma fille depuis six mois, vous me faites
terriblement penser
à elle." Alors, je la cherche, elle aussi. Je voudrais lui
dire combien son père l'aimait et à quel point il pensait à elle,
là-bas, en Algérie... »
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