LE BLOG DE
DESCARTES
Le PCF fait sa révolution
Pour
ceux qui me reprochent de voir tout en noir, voici un papier résolument
optimiste. Pourquoi un tel changement, me direz-vous ? Parce que dans
ces temps difficiles où l’on voit l’ensemble des organisations
politiques laisser de côté la décision collective pour se vautrer dans
les délices de l’égo-politique, c’est une grande consolation de voir
qu’il reste au moins un village gaulois qui résiste. Il reste en France
un parti politique, un vrai. C’est-à-dire, une organisation où les
candidatures et les programmes sont débattus dans des instances
constituées conformément à des statuts, et où les militants ne sont pas
réduits au rôle de groupies dans les meetings du Grand Leader ou de
colleurs d’affiches – quelquefois achetés avec leurs propres deniers –
mais gardent un véritable pouvoir de décision. Vous comprenez que je
fais référence au Parti communiste français, mieux connu – même si ces
dernières années beaucoup l’ont oublié – par son sigle « PCF ».
Bien
sûr, le PCF n’est pas sorti indemne du processus qui a vu les « classes
intermédiaires » prendre le contrôle de la politique française. Après
la longue marche qui commence avec le règne du père UbHue et qui se
termine avec celui de l’homme invisible Laurent, le PCF n’est
aujourd’hui que l’ombre de ce qu’il a été. Et ses péchés sont nombreux,
même si le simple fait d’avoir gardé malgré toutes les pressions les
mots « communiste » et « français » dans son nom a lieu de choisir un
nom insipide du genre « Table Ouverte » ou « tous ensemble » devrait lui
valoir à mon sens une demie-indulgence.
Ah,
hypocrite lecteur, tu t’attends ici à ce que je parle du stalinisme…
mais ce n’est pas là à mon sens le pire de ses écarts. Il n’est pour le
PCF qu’un péché mineur. Après tout, les communistes français n’ont tué,
n’ont torturé, n’ont déporté personne. Leur responsabilité dans la mise
en place du Goulag est à peu près la même que celle de Serge July et
consorts dans la « Grande révolution culturelle prolétarienne ». Dans
l’affaire, le crime du PCF est, comme l’écrit Aragon « d’avoir aimé la
flamme jusqu’à y devenir lui-même l’aliment » (1).
Non,
le péché fondamental du PCF est d’avoir laissé sur le bord du chemin
les couches populaires pour chercher à flatter les lubies – et les
intérêts – des classes intermédiaires. Dérive qui a culminé avec le
règne d’UbHue 1er (et
unique) et son « parti d’un nouveau type » qui aboutit à la
féodalisation du Parti avec le pouvoir des « notables » et des élus
soucieux d’abord de leurs positions et de leur réélection, et des
structures locales qui vivent au service d’un « grand élu ». Qui a
abouti aussi à la quasi-destruction de l’appareil de formation militante
et d’éducation populaire qui avait fait du PCF un « parti à part » dans
le paysage politique français, le seul qui ait compris que l’accès des
ouvriers aux responsabilités impliquait non pas une « discrimination
positive » mais un effort d’éducation qui les mette au même niveau que
les bourgeois occupant ces postes. Un appareil qui produisit une
génération d’autodidactes brillants, de Leroy à Krasucki, de Paul à
Seguy.
Il
est impossible de comprendre le naufrage du PCF ces trente dernières
années sans prendre en compte ces évolutions. Cependant, les efforts
considérables faits par Hue, Buffet et consorts n’ont pas réussi à
effacer certains réflexes qui tiennent à l’histoire communiste et à son
insertion dans le mouvement ouvrier. Malgré des dirigeants qui
n’hésitaient pas à expliquer que votes et textes ne servaient à rien –
souvenez-vous de Buffet parlant avec mépris « des heures passées à
examiner des amendements au texte de congrès qu’on aura oublié le
lendemain » – et qui se sont assis sur les textes quand cela les
arrangeait – la liste « bouge l’Europe ! » en est un bon exemple – les
communistes ont gardé une saine passion par le débat, une attention
particulière aux procédures démocratiques et à la capacité de leur
organisation de fonder son action non pas sur des décisions
opportunistes de leaders éclairés, mais sur des textes discutés et votés
collectivement. Le PCF reste l’une des rares organisations – pour ne
pas dire la seule – dont les congrès ne sont pas seulement un prétexte
pour le discours de clôture du Grand Dirigeant, mais l’aboutissement
d’un véritable processus démocratique interne, avec pour le préparer des
textes d’orientation examinés par les conférences de section et les
conférences fédérales avant d’arriver au congrès lui-même.
Tout
cela compte à l’heure de décider de la stratégie à suivre pour
l’élection présidentielle de 2022. Car, contrairement à ce qui se passe
dans d’autres organisations, les militants communistes ont sur cette
question leur mot à dire, et ce n’est pas une simple formalité. En 2012,
Mélenchon fut le candidat du Front de Gauche regroupant le PCF, le
Parti de gauche et une myriade de groupuscules divers. Mais pour que
cette candidature voie le jour, le soutien énamouré de Marie-George
Buffet n’a pas suffi : il fallut que la stratégie de Front de Gauche
soit validée par un congrès, et que le choix du candidat soit approuvé
par un vote des militants communistes (2). En 2017, alors que l’ensemble
de la direction du PCF milite activement pour le ralliement au candidat
« insoumis », la conférence nationale convoquée conformément aux
statuts pour examiner les propositions aboutit, après un débat fort
intéressant, à un vote négatif donnant la préférence à une candidature
communiste séparée. Elle sera désavouée – là encore conformément aux
statuts – par le vote des militants, qui choisissent le ralliement à
53%. Cependant, ce débat laissera des traces. Les communistes se sont
affrontés sur un point fondamental : est-ce que le ralliement implique
l’effacement ? Autrement dit, est-il possible tout en se ralliant (3) à
un candidat de faire avancer lors de l’élection présidentielle les
projets, les propositions, les thèmes et les valeurs portées par le
PCF ? La direction prétendait que oui, qu’une « campagne autonome »
parallèle à celle de Mélenchon était possible. L’expérience leur a donné
tort, et pas seulement à cause du comportement du candidat Mélenchon.
Lors d’une élection, toute l’attention se focalise sur le candidat et
personne d’autre. C’est lui qui est invité à la télévision, c’est lui
que les journaux interviewent. Et toute expression différente dans son
camp est soit ignorée, soit montée en épingle comme facteur de division.
Si l’on ajoute à cela la tendance mélenchonienne à occuper
personnellement toute la place, il est clair que la « campagne
autonome » était vouée à l’échec.
Pour
2022, le PCF semble avoir tiré les conclusions qui s’imposent. Dans la
préparation du 38ème congrès de 2018 – preuve là encore d’une démocratie
vivante – les militants relèguent en deuxième position la proposition
de « base commune de discussion » très prudente présentée par la
direction du PCF, et ne donnent que 11% au texte proposant un
rapprochement avec la « France insoumise ». Ils mettent en tête le texte
issu d’un travail collectif et porté par Fabien Roussel et André
Chassaigne proposant de prendre ses distances avec LFI, et notamment à
travers d’une candidature communiste à l’élection présidentielle. C’est
la ligne adoptée par le Congrès, qui élit par ailleurs Fabien Roussel
secrétaire national en remplacement de Pierre Laurent.
Cette
ligne sera d’ailleurs confirmée par les votes du Comité national
convoqué le 13 mars 2021 (4) pour élaborer le texte préparatoire (5) à
la Conférence nationale qui devait examiner la question. Le texte est on
ne peut plus explicite : « (…) nous décidons de proposer à notre peuple
une candidature communiste ». Et tous les amendements proposés – soit
pour retarder la décision, soit pour modifier le texte – ont été
largement rejetés. La Conférence nationale elle-même s’est tenue le 10
avril, et a approuvé à une majorité des deux tiers le principe d’une
candidature communiste, et proposé à la majorité des trois quarts le nom
de Fabien Roussel. Une position que les militants communistes auront
confirmé par leur vote les 9 et 10 mai derniers à plus de 80% des 30.000
votants…
Quelle
importance, me direz-vous ? Avec leurs débats, leurs textes et leurs
votes, les communistes sont-ils autre chose qu’une secte de dinosaures
pratiquant des rituels oubliés de tous et qui ont perdu leur sens ? Avec
de la chance, le candidat communiste fera un score à un chiffre. Pour
aller plus loin, il faudrait au PCF reconquérir l’électorat populaire et
donc, pour reprendre la formule consacrée, de partir de ce que ces
couches sociales ont dans la tête. Quand on lit dans le texte proposé à
la Conférence nationale que « les défis à relever appellent de profondes
ruptures. La France a besoin d’une grande révolution démocratique,
faite d’avancées décisives, de conquêtes de pouvoirs faisant reculer
toutes les dominations sur nos vies et nos libertés : celles du capital,
du patriarcat, du racisme, des LGBTI-phobies… », on se dit que ce n’est
pas demain la veille que le PCF va reconquérir l’électorat populaire.
Le communiste de cœur que je suis a envie de pleurer en voyant la
« domination du capital » mise au même niveau que les « LGBTI-phobies »
ou le « patriarcat ». Un énorme chemin reste à parcourir pour que le PCF
redevienne un parti portant les intérêts des couches populaires. Mais
on peut se réjouir de voir que le PCF a au moins réussi à préserver son
capital institutionnel, la culture procédurale si essentielle pour qu’il
y ait un véritable débat démocratique. Pour que le débat politique
existe, il faut des enceintes institutionnelles, et une confiance que ce
qui est dit dans ces enceintes a un effet sur la réalité. Le contraste
avec les « conventions » organisées avec pour seul but de faire
tamponner des décisions prises par le Grand Dirigeant – et que celui-ci
peut ensuite changer selon son bon plaisir d’ailleurs – sont des
exercices de communication, pas de débat.
Bien
sûr, la décision des communistes de présenter un candidat donnera lieu
aux critiques acerbes de tous ceux qui, à l’extérieur du PCF mais aussi à
l’intérieur – où cette ligne peut compter sur les solides cohortes des
« bébés-Hue » enkystés dans l’appareil – en sont restés au rêve
d’intégration de l’ensemble des organisations de la « gauche radicale »
pour donner naissance à une organisation unique, capable dans leur
imagination de conquérir le pouvoir. Ce sont les mêmes qui, après le
fiasco de la liste « Bouge l’Europe ! » et des « comités antilibéraux »
en 2007, ont organisé dans le cadre du Front de Gauche l’OPA ratée de
Jean-Luc Mélenchon sur le PCF, et qui en 2017 ont obtenu l’effacement du
PCF aux élections présidentielles, cédant à Mélenchon le leadership de
fait de la « gauche radicale ».
Il
n’est pas inutile de revenir sur la logique sous-jacente à ce courant
de pensée. Leur logique est simple et peut-être résumée dans les termes
suivants : les divisions de la « gauche radicale » – certains diront
« la gauche » tout court – sont largement artificielles. Elles sont le
résultat des batailles d’égos entre les dirigeants et des blessures
d’une histoire ancienne dont les nouvelles générations, à supposer
qu’elles la connaissent, n’ont rien à faire. Ces divisions cacheraient
en fait une profonde unité d’intérêts, de projets politiques, de
valeurs. Après tout, ne sommes-nous pas tous anti-libéraux,
anti-racistes, féministes, « diversitaires » ? Ne voulons-nous pas tous
un monde bisounoursien ou les conflits auront été bannis et les êtres
humains vivront en parfaite harmonie entre eux et avec la nature,
rejetant toute « domination », toute « aliénation » ? Dans ces
conditions, pourquoi nous diviser, nous opposer ?
Parfaite
illustration de cette logique est le papier publié par la Fondation
Jean Jaurès le 24 avril dernier sous le titre « La gauche française et
l’Europe. Une synthèse possible pour 2022 ? ». La conclusion est
révélatrice :
« On
l’a vu, la divergence majeure est stratégique. Elle concerne la méthode
de négociation vis-à-vis de nos partenaires européens. Du côté de la
gauche radicale, on s’interroge : peut-on faire confiance aux
réformistes pour porter sincèrement ces combats communs ? Du côté des
socialistes et des écologistes, on demeure opposés à une approche
jusqu’au-boutiste, proposant, in fine, un référendum sur l’appartenance à
l’Union. En définitive, cette question tactique divise des formations
qui, si on s’en tient aux idées, pourraient faire alliance. Ou, formulé
autrement, la gauche pourrait – non sans esprit d’ouverture –concevoir
un dessein commun pour l’Union européenne d’ici à 2022. »
C’est
beau, n’est-ce pas ? Cet irénisme n’est pas le fruit du hasard. Quand
le monde politique était structuré par les conflits entre les intérêts
des différentes classes sociales, une telle vision aurait été
impensable. Socialistes, communistes et radicaux ne se posaient pas la
question de la légitimité de leurs identités séparées parce qu’ils
avaient conscience de représenter des groupes sociaux et des classes
différentes, aux intérêts divers, souvent conflictuels, quelquefois
antagoniques. Si l’on peut aujourd’hui proposer la fusion des identités
politiques spécifiques dans un grand gloubi-boulga consensuel, c’est
parce que toutes ces organisations représentent aujourd’hui des nuances
du même groupe social, à savoir, les classes intermédiaires. Dès lors
que la lutte des classes disparaît comme élément structurant, que la
lutte contre la « domination capitaliste », qu’on conserve pour des
raisons traditionnelles, est mise sur le même plan que la lutte contre
le patriarcat, le racisme ou les discriminations contre les LGBTIQ+ on
devrait tous pouvoir se mettre d’accord.
Dans
ce contexte, la prise de position du PCF est doublement remarquable,
parce qu’elle se pose en rupture de ce raisonnement en réaffirmant que
ce n’est pas parce qu’on est tous « de gauche » qu’on veut les mêmes
choses, qu’on est préparé à accepter les mêmes compromis. Que nos
différences ne portent pas seulement sur des questions tactiques, mais
touchent aux buts mêmes de l’action politique. Et qu’il vaut mieux
perdre l’élection en défendant ses idées que de se fondre dans un magma
informe derrière un candidat qui prendra vos voix et ignorera vos idées
et vos intérêts.
Si
l’objectif est de reconquérir son rôle de parti populaire et
tribunicien, le PCF a besoin d’être seul pour réfléchir. Seul pour
constituer un projet qui ne soit pas limité par le besoin de plaire à
tel ou tel allié, qui ne soit pas effacé par l’obligation de faire une
campagne sur un programme et des thèmes choisis par d’autres. Seul pour
montrer qu’il est capable de faire des choses, de défendre une ligne,
d’occuper une place sans béquilles. Et pour montrer aux « dissidents »
de toutes sortes qui vont là où la soupe est bonne – non, je n’ai pas
mentionné Elsa Faucillon – qu’on ne peut être à la fois dedans et
dehors. Car une candidature communiste, c’est aussi l’obligation pour un
certain nombre de personnalités habituées à jouer personnel de se
positionner clairement.
Le
choix d’une candidature communiste est d’autant plus logique que la
« gauche radicale » a de toute évidence l’élection perdue. Non pas parce
que le système électoral serait injuste ou parce que les médias sont
méchants, mais parce qu’elle n’a pas de base sociologique permettant de
rêver à la victoire. Qui a intérêt aujourd’hui à amener un candidat de
la « gauche radicale » à l’Elysée ? Pas les couches populaires, puisque
la « gauche radicale » ne porte plus et cela depuis longtemps les
préoccupations et les intérêts de ces couches sociales, et l’a largement
démontré à chacune de ses participations au pouvoir depuis les années
1990. Pas les classes intermédiaires dans leur ensemble, qui se trouvent
fort bien servies par les politiques mises en œuvre par les
gouvernements qui, de Hollande à Macron, se sont succédés ces dernières
années. La « gauche radicale » ne peut compter que sur certains secteurs
des classes intermédiaires, qui par affinité intellectuelle se donnent
un petit frisson « révolutionnaire » en montrant leur cul en attendant
de devenir notaires.
Dans
ce contexte, le choix n’est pas entre la victoire dans l’union et la
défaite tout seul. On peut aller à la bataille avec ses idées,
bénéficier d’une petite exposition médiatique, faire 2% et toucher un
peu d’argent au titre du financement public des partis politiques. Ou
l’on peut se fondre dans un magma qui fera un score à deux chiffres mais
sans possibilité de défendre ses idées, et sans recevoir un sou, comme
cela s’est fait en 2017. Roussel a raison de choisir la première option,
avec une logique imparable : soit il fait un bon score, et ce sera une
belle surprise, soit il s’étale, et cela ne changera rien.
Descartes