Quand je dis que cette campagne de Fabien Roussel remue et que chacun
a envie d’intervenir ce qui est déjà une manière de se l’approprier je
suis au-dessous de la réalité… Et j’espère que pour être complet ce
débat passionné et passionnant s’accompagne de travail sur le terrain
parce que comme chacun devrait le savoir le critère de la pratique
tranche. (note de danielleBleitrach pour histoire et societe)
Je suis bien d’accord, il n’y a pas que la sécurité des personnes, il
y a l’emploi, les services publics, l’école, l’hôpital, et ainsi de
suite.
Mais tout se tient, et le problème de la sécurité me tient à cœur,
tant pour des raisons personnelles, que pour des raisons théoriques, que
je voudrais expliquer ici. Tout se tient et il est bon de comprendre
comment et pourquoi.
- Un souvenir me vient en tête pour commencer. C’était un
dimanche matin de l’été, à Villejuif, il y a quelques années. J’étais
sorti tôt et je rencontre mon camarade Jean-Claude, égoutier, un
camarade que j’aimais bien, vraiment, plutôt râblé, bien planté sur ses
jambes, et surtout plein de bon sens. Il était blanc comme un linge. Je
lui demande : qu’est ce qui se passe? Il me répond. «Ce matin, je
devais partir en vacances. Mais ma voiture a été saccagée pendant la
nuit. Le pare-brise, les vitres, tout ça a volé en morceau. Je dois la
mener au garage. Ce sont les loubards du quartier qui ont fait ça». En
quelques instants d’un plaisir stupide, ces jeunes branleurs avaient
bousillé les vacances de ce copain et de sa famille, mangé les quelques
billets mis de côté, au fil de l’année, pour payer une glace aux
enfants, aller ensemble aux restaurants sans avoir à faire la vaisselle,
pour se détendre de l’année, pour lui passée dans les égouts de Paris.
Des souvenirs de ce type, j’en ai d’autres. Pas des milliers, mais
quand même suffisamment, et parfois plus dramatiques. Je ne sais pas ce
qu’il est advenu de Jean-Claude. Il a quitté Villejuif. Je n’en dirai
pas plus, car il faut aller de l’avant, sauf à souligner que nous,
communistes, avons été décérébrés pendant plusieurs décennies sur
beaucoup de questions et notamment sur celle-ci. Avoir été décérébré, ce
fut agir sans principe, machinalement, parfois en fonction des bons
sentiments. Ce fut dire le contraire ou autre chose que ce que disait la
famille Le Pen. Comme si les communistes français n’avaient pas à
s’exprimer d’abord et avant tout en fonction de leurs propres analyses
et de leur propre pratique!
Nous avons été décérébrés au plan de la théorie et plus
particulièrement du marxisme, que nous avons laissé tomber. Nous avons
été décérébrés en perdant le contact avec la classe ouvrière et les
travailleurs en général. Cela a commencé bien avant Robert Hue. Cette
époque, espérons-le, est révolue. Quelle leçon tirer de tout cela pour
l’avenir?
- Je voudrais éviter d’être une sorte de père Machu ridicule,
jurant par scrogneugneu tout en caressant une moustache imaginaire. Je
vais, cependant, avoir cette folle audace.
La sécurité des personnes fait partie de ces problèmes dont nous
devons proclamer la solution de manière très carrée. Pour moi, la
formulation correcte des choses est la suivante : NOUS, COMMUNISTES,
SOMMES POUR LE RÉTABLISSEMENT DE LA SÉCURITÉ DANS CE PAYS DE MANIÈRE
TOTALE ET IRRÉVERSIBLE. Je trouve que nous avons encore des réflexes de
bon samaritain. C’est un peu comme si nous avions du remords à être en
faveur de la sécurité des personnes. «Nous sommes en faveur de la
sécurité, mais vous savez, on est pas des méchants». Évidemment que nous
ne sommes pas des méchants, évidemment que nous ne sommes pas des
imbéciles, croyant que la répression va tout régler. Mais, à mon avis,
il faut savoir qu’il y aura, dans la solution de ce problème, au moins
deux phases: 1) la phase de l’immédiat qui sera à dominante répressive,
2) la phase du moyen long terme qui sera à dominante éducative et
préventive.
Mais alors pourquoi la phase de la répression doit-elle être
soulignée avec force? Certainement pas pour faire de la surenchère avec
l’extrême droite, dont je n’ai que faire pour penser l’avenir de mon
pays, mais pour les deux raisons suivantes.
La première est que les individus et les groupes portant atteinte à
la sécurité des personnes ne vont pas s’arrêter parce que l’on aura
froncé les sourcils en leur direction. Laurent Brun l’explique très
bien. La bête va se débattre et mordre.
La deuxième raison est que la voyoucratie est une alliée objective
des classes dirigeantes. La France est malade et de sa maladie, dont la
grande bourgeoisie porte l’entière responsabilité, les dirigeants de
cette classe sociale, féroce et épuisée, tirent avantage. Cela les aide à
prolonger leur pouvoir. S’ils observent que, dans le contexte d’une
démocratie nouvelle, la voyoucratie est en danger, soyons certains
qu’ils n’hésiteront pas une seconde à la soutenir sans doute avec doigté
mais néanmoins de toutes leurs forces. Pour autant que j’aie compris
l’histoire, le nazisme et ses variantes ne furent pas seulement
l’extrême droite. Ce furent des systèmes à plusieurs composantes et
parmi celles-ci figuraient les voyous, ce que Marx et Engels ont appelé
«le lumpen proletariat».
Lutter contre les voyous, c’est aussi lutter contre les classes
dirigeantes. Si l’on prétend rompre définitivement avec ces mêmes
classes dirigeantes, ce que nous proclamons, nous, communistes français,
alors il nous faut rompre tout aussi définitivement avec la
voyoucratie.
- Mais comment faire? Bien sûr, la police et la gendarmerie vont
se trouver en première ligne pour accomplir cette tâche. Mais comment
concevoir que celle-ci puisse être accomplie par des composantes d’un
appareil d’État, qui fut structuré et formé par la bourgeoisie ? Je
pense que, à travers ce questionnement, les communistes français sont
directement confrontés au problème de l’État bourgeois et à la théorie
qu’ils en ont. Faudrait-il «refaire une police» avant de commander à ce
corps de l’État de «faire la police»?
Le problème est compliqué mais je crois, d’une part, que nous devons
l’aborder de front, car il concerne toutes les fonctions de l’État, et
d’autre part, que la solution que nous lui apporterons de manière
explicite sera l’illustration pratique de ce que nous appelons la
dictature du prolétariat. Car il nous faudra non seulement mettre en
œuvre la dictature du prolétariat (l’application de la théorie), il nous
faudra également et peut-être surtout construire cette dictature dans
la dialectique de la lutte et de la démocratie.
Nous n’allons pas reconstruire a priori, ou ex-ante, un appareil
d’État devant nous permettre de mettre fin à la dictature de la grande
bourgeoisie. Nous devrions plutôt, avec le soutien des masses populaires
et, bien sûr, avec nos propres analyses, prendre place dans le
mouvement réel. C’est ce qu’a fait Fabien Roussel, me semble-t-il, en
participant à la manifestations des policiers. Reproche ne lui en sera
certainement pas fait par les gens du peuple.
Nous devrions ensuite, avec les policiers, construire la police
susceptible de répondre aux besoins de sécurité ainsi qu’à tous les
besoins que la police a pour fonction de satisfaire. Les dirigeants
factieux de tous les corps de l’État concernés devront certainement être
neutralisés et chassés de la position qu’ils occupent. Mais dans
l’expérimentation, par la majorité des personnels de l’Etat, de la
malfaisance de leurs chefs actuels, de la malfaisance des doctrines
qu’ils diffusent ainsi que des intérêts qu’ils défendent vraiment sans
forcément le savoir.
Il va de soi qu’une telle démarche supposera, si elle est partagée,
des conceptions et des analyses autres que celles de Titine Taintain, ou
des supporters irréfléchis du marxisme-léninisme. Elle supposera une
grande capacité politique et le soutien populaire.
Cela dit, elle ne reposera pas sur le sable de notre imagination. 1)
Les CRS, pour ne parler que d’eux, sont aussi des enfants du peuple. Ce
sont aussi des fils de paysans, d’ouvriers, de commerçants, de
fonctionnaires. Cela ne s’est pas effacé d’un coup de leur mémoire. 2)
Ensuite, la police n’est que l’un des corps professionnels concernés.
L’expérimentation démocratique de la construction de la dictature du
prolétariat sera une expérimentation générale. Entre ces expériences se
produiront des effets de réciprocité et l’on peut espérer que ces effets
seront positifs et convergents. 3) Il faut également penser que
l’expérience de la démocratie nouvelle devra concerner d’autres
professions que celles des corps d’État traditionnels. Je pense
notamment aux informaticiens dont j’ai fait mention dans l’article
publié sur ce site à propos du système chinois de crédit social. Nous
disposons aujourd’hui de technologies matérielles et scientifiques dont
nous pourrons faire usage dans cette lutte. 4) Enfin, dans ce domaine
comme dans tous les autres, il est sain de tirer régulièrement les
bilans nécessaires. La théorie est indispensable, mais la pratique
collectivement raisonnée n’est pas mal non plus.
- Je souhaite indiquer un dernier point relevant de l’analyse
théorique. Les problèmes de sécurité que rencontrent aujourd’hui les
Français ou les résidents français me suggèrent personnellement
qu’existent 3 niveaux dans l’analyse des problèmes que les communistes
se donnent l’ambition de contribuer à résoudre, et non pas 2, comme je
je le croyais précédemment.
La Nation, qui est le niveau de la décision, en occupe la place
centrale. Elle est le point d’aboutissement de son intérieur et le lieu
de la jonction avec l’extérieur, c’est à dire les autres Etats et les
autres Nations.
La Société est l’assise de la Nation. C’est la cohérence de la
Société qui constitue la force de la Nation. Éliminer immédiatement et
définitivement la grande bourgeoisie de la direction et de la décision
des affaires de la France est une priorité, d’une part pour la bonne
marche de la Nation mais d’autre part aussi pour la bonne marche de la
Société.
C’est alors que, d’un même mouvement, nous pouvons mieux comprendre
les phénomènes suivants. La cohérence de la Société recouvre non
seulement sa cohérence sécuritaire, mais également sa cohérence
économique, Je ne dis rien de sa cohérence idéologique car cet aspect
mériterait d’autres développements. Je signale au passage, pour celles
et ceux que cela intéresserait, que j’ai traité de ces questions dans
mon récent ouvrage sur le socialisme. J’y renvoie car je me suis
«mouillé» à ce propos.
Quoiqu’il en soit, énoncer que nous recherchons la Cohérence de la
Société en tant que résultante de toutes les cohérences jugées
nécessaires à un moment donné du temps, et comme fondement de la force
de la Nation, ne signifie pas que soit niée l’existence de
contradictions au sein de la Société. Cela signifie que, lorsque la
grande bourgeoisie aura été mise à la porte de tous les pouvoirs, la
démocratie, à la fois procédurale et substantive, pourra donner à chacun
sa place, sans phénomènes d’exploitation et de domination.
La Société est, pour moi, le niveau de ce que nous appelons le
Peuple. Mais en abordant l’analyse de la Société par le biais de sa
Cohérence, et donc de toutes les cohérences qui constituent cette
dernière, nous agissons en sorte que le Peuple corresponde à une
approche concrète, précise. Nous désidéologisons ce concept et la
réalité qu’il recouvre.
On comprendra alors que la Nation que nous défendons diffère
profondément de la perception qu’en ont la grande bourgeoisie et
l’extrême droite. Nous, communistes, nous sommes des internationalistes.
Nous ne sommes pas des nationalistes. Nous sommes à la fois des
patriotes et des internationalistes parce nous aspirons seulement à la
défense des intérêts de notre peuple et de sa souveraineté. Nous sommes
pour le respect de toutes les nations et non pour la suprématie de notre
Nation ou de quelque Nation que ce soit sur les autres.