"Le rôle des communistes est de se rassembler contre la guerre que mènent les gouvernements collabos aux ordres des usa"
Signée Étoile Rouge dans un comment publiée suite à un excellent article de Stefan WOLFF titré sur Histoire et Société :
"Macron et l’UE font la guerre, sans issue prévisible mais c’est le choix du massacre pour le massacre"
Commentaire de Danielle Beitrach:
Les élections européennes donnent lieu a des débats de plus en plus
hors sol. Comment parler ou plutôt s’insulter pour ne rien dire. Quand
la planète entière sait que le gouvernement français fait déjà la guerre
pour le plus grand profit du système militaro-industriel financiarisé
des USA (et quelques tombées pour les français) en prétendant que c’est
pour la souveraineté de l’UE qu’il installe la guerre contre la Russie
au coeur du continent européen et qu’il lui sacrifie la souveraineté
nucléaire française, pour qui le citoyen français est-il pris ? La
presse française totalement aux ordres ont beau feindre de transformer
Asia Times et toute la presse asiatique en complotiste, il faut sortir
de cette zone de propagande dans laquelle notre monde
mediatico-politique prétend nous raconter n’importe quoi pour comprendre
dans quel monde réel nous vivons. Les investisseurs asiatiques nous
présentent différement ce qui se passe en Ukraine et pour eux il n’y a
pas le moindre doute, l’Europe derrière Macron et la Grande Bretagne
mènent déjà la guerre avec la Russie et mettent en place une machine de
guerre qui devrait rapporter aux marchands d’armes qui en France
présentent la particularité de détenir la majeure partie de la presse
(qu’en est-il de l’Humanité et des parts de Lagardère-Matra?) . Comme à
Gaza et partout la logique est de poursuivre le massacre mais sans que
la fin elle-même soit envisagée quitte à jouer comme Biden les vierges
effarouchées et les arbitres. Sur le front la Russie est en position
favorable mais sans aspect décisif lors tout est fait avec les crédits
étasuniens pour faire de l’Ukraine une rampe de lancement de missiles et
d’opérations terroristes contre les populations civiles. Il est plus
que jamais imbécile de prétendre arrêter cette guerre en contribuant
puissamment à la propagande en faisant de la Russie l’agresseur et de la
chère petite Ukraine notre champion et cela n’est pas crédible ni en
Ukraine, ni à Gaza et par ailleurs faire silence sur la Chine quand elle
vient dire à l’UE ses quatre vérités participe de la même duperie.
(note et traduction de danielle Bleitrach).
Même si en suivant la doxa occidentale on considèree tout ce qui
se publie dans des médias russes comme Spoutnik, interdits en France
comme “propagande” d’une puissance étrangère, alors que nous ne sommes
même pas en guerre officiellement, ce genre de révélation ne peut pas
être considéré comme pure manipulation. 1) ce qui se publie en France
est nettement plus outrancier que ce constat tout à fait crédible quand
on mesure à quel point dans l’invraisemblable campagne des Européennes
notre entrée en guerre et la diabolisation de Poutine sont de purs
prétexte à des ambitions de politiciens en difficulté. 2) En outre
l’interdiction de Spoutnik au moment où nous chauffons à blanc une
“opposition” en Géorgie pour la mener à l’impasse tragique ukrainienne
sous le prétexte d’une atteinte aux libertés même pas en matière
d’interdiction non en désignation de financements étrangers, tout cela
est grotesque. D’ailleurs on se demande si Poutine quand il se retire
d’Arménie ne prend pas au mot les amateurs de soutien occidental en leur
faisant faire leur expérience face à l’OTAN -Turc 3) quand il n’y a
plus de garde-fou avec la possibilité de vérifier et de contredire nous
sommes bien dans l’art et la manière de subir n’importe quoi… note de
Danielle Bleitrach pour histoireetsociete
Les liens de l’Occident avec “l’État ukrainien mafieux” ont fait
passer les dirigeants occidentaux pour des “clowns”, a déploré Dominic
Cummings, conseiller de l’ancien Premier ministre britannique Boris
Johnson dans un entretien à iNews. L’Occident n’aurait jamais dû
s’impliquer en Ukraine en lançant des discussions autour de l’adhésion
de Kiev à l’Otan et imposant des sanctions à la Russie, a indiqué à
iNews Dominic Cummings, conseiller de l’ancien Premier ministre
britannique Boris Johnson.
“Nous n’aurions jamais dû nous retrouver dans cette situation. Cet
État ukrainien mafieux nous a tous arnaqués et nous allons tous nous
faire b**ser. On est en train de se faire b**ser. La seule leçon que
nous avons donnée à Poutine, c’est que nous sommes une p*tain de bande
de clowns. Je veux dire que Poutine le savait déjà avant la guerre. Mais
cela a souligné et montré au monde entier à quel point nous sommes une
bande de clowns”, a-t-il lancé.
La Russie a plusieurs fois déclaré que l’entrée de l’Ukraine dans
l’Otan était une ligne rouge, rappelle l’ancien conseiller, mais les
Occidentaux n’en ont pas tenu compte. Une attitude “complétement
insensée”, selon lui. Les sanctions adoptées contre la Russie ont
surtout frappé l’Europe, a poursuivi M.Cummings.” Le coût de la vie a
été un choc énorme, [le] régime de sanctions a été bien plus un désastre
pour la politique européenne que pour la politique russe”, a-t-il
admis. En
plus, en soutenant Kiev, l’Occident a aidé Moscou à resserrer ses liens
avec la Chine, a-t-il ajouté. Le résultat a été “de nous lancer dans
une guerre d’usure avec la Russie, que nous avons poussée à conclure une
alliance avec la plus grande puissance manufacturière du monde”.
Boris Johnson se rêvait en Churchill
Dominic Cummings pointe particulièrement du doigt Boris Johnson, qui
s’est servi du conflit en Ukraine comme diversion, alors qu’il était
dans une mauvaise passe politique. “Le conflit était un cadeau du ciel,
une bouée de sauvetage pour détourner l’attention de sa propre
implosion… tout en réalisant ses fantasmes churchilliens. Ironiquement,
le Parlement a avalé tout ça, même s’ils détestaient Boris et le
considéraient comme un charlatan. Ils ont avalé toutes ses conneries sur
l’Ukraine et l’ont pris au sérieux”, explique-t-il.
« L’Ukraine d’aujourd’hui n’est pas une démocratie » : entretien avec l’ancien ambassadeur Jack Matlock
Voici un témoignage très important non seulement sur le caractère
totalement contreproductif pour la survie de l’Ukraine de l’entretien de
cette guerre mais surtout en tant qu’acteur de l’époque des promesses
qui avaient été faites à Gorbatchev de ne pas élargir l’OTAN. Nous
apprenons beaucoup de choses et cet homme de 94 ans s’il demeure
anticommuniste et convaincu de la supériorité du système américain
représente en quelque sorte la manière dont durant la guerre froide les
Etats-Unis pour leur bien étaient contraints à des limites qui
aujourd’hui sont complétement dépassées pour le mal de l’humanité mais
des Etats-Unis eux-mêmes. C’est une démonstration imparable sur le fait
que toutes les arguties sur le soutien à l’Ukraine en s’impliquant de
plus en plus dans la guerre ne sont pas défendables. Non nous ne
défendons pas une démocratie attaquée par un dictateur voisin, mais en
violation de toutes les promesses faites à la Russie en train de
dissoudre le pacte de Varsovie, l’OTAN, l’UE, les USA (et la France a
joué à chaque fois son rôle de traitre de service) a été installé un
régime qui s’est retourné contre la partie russe de son territoire en
ayant pour seule idéologie la haine des Russes, à lire absolument.
(note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
06/05/2024
par Gregor Baszak
Publié le
Jack F. Matlock, Jr. a été ambassadeur des États-Unis en Union
soviétique de 1987 à 1991 et de 1981 à 1983 en Tchécoslovaquie. Il a
siégé au Conseil de sécurité nationale sous le président Reagan et a
participé à plusieurs sommets sur le contrôle des armements, notamment à
Reykjavik en 1986. Au total, il a servi 35 ans dans le service
diplomatique américain, de 1956 à 1991. De 1996 à 2001, il a été
professeur à l’Institute for Advanced Study de Princeton, dans le New
Jersey. Il est l’auteur de trois livres : Superpower Illusions (2010), Reagan and Gorbatchev : How the Cold War Ended (2004) et Autopsie d’un empire (1995).
Ce qui suit est la transcription d’une conversation qui a eu lieu le 22
avril 2024. La transcription a été légèrement modifiée pour plus de
clarté et de lisibilité.
Monsieur Matlock, le 20 avril, une large majorité bipartite à
la Chambre des représentants a approuvé un projet de loi de 95,3
milliards de dollars sur l’aide étrangère. Il envoie 60,8 milliards de
dollars à l’Ukraine et le reste à Israël, à Gaza et à Taïwan. Le Congrès
a également approuvé d’autres mesures, notamment l’extension de la
surveillance sans mandat aux États-Unis. De nombreux membres du Congrès,
en particulier des démocrates, agitaient des drapeaux ukrainiens dans la salle. Qu’est-ce qui vous est passé par la tête quand vous avez vu ces images ?
Je pense qu’ils font une très grosse erreur. Tout d’abord, ces
crédits ne proviennent pas du contribuable. Nous devons emprunter de
l’argent pour couvrir ces crédits et nous sommes déjà extrêmement
endettés à l’étranger. Nous avons maintenant une dette nationale de plus
de 33 000 milliards de dollars, et elle augmente de 2 000 milliards de
dollars par an. Comme l’a dit le président de la Réserve fédérale, c’est
insoutenable.
Maintenant, quel est le but de ces crédits ? Le crédit le plus
important a été alloué à l’Ukraine. L’Ukraine ne peut pas gagner cette
guerre dans les termes que les dirigeants ukrainiens ont énoncés. En
fait, il ne serait pas dans l’intérêt de l’Ukraine que l’Ukraine
récupère tout le territoire que la Russie occupe actuellement. La grande
majorité des gens là-bas sont russophones, tandis que le gouvernement
ukrainien actuel a déclaré que les russophones ne sont pas de vrais
Ukrainiens. L’OTAN fournit déjà ce qu’elle pourrait fournir si l’Ukraine
était membre de l’OTAN. Plus d’armes permettront tout simplement plus
de destructions, la plupart en Ukraine même. Plus cette guerre durera,
plus la Russie s’emparera de territoires et insistera probablement pour
les conserver. Si cela dure plus longtemps, l’Ukraine se révélera être
un État difficilement viable, surtout s’il continue à se définir comme
une anti-Russie, son principal voisin et un pays auquel ses régions
orientales et méridionales ont appartenu pendant plusieurs siècles.
Maintenant, dans le cas de l’aide militaire à Israël, nous continuons
à déverser de l’argent et des armes alors qu’Israël est presque
certainement engagé dans un génocide. C’est une question sérieuse, et
même si beaucoup d’actions d’Israël ont été condamnées par notre
président, même si Israël ne fait pas ce qu’il suggère, il continue de
les armer.
En ce qui concerne l’aide à Taïwan, la mise en place d’une présence
militaire américaine dans ce pays risque d’inciter les Chinois à tenter
d’absorber Taïwan par des moyens militaires. Les États-Unis ne devraient
pas réviser la politique définie par le président Nixon lorsque les
États-Unis ont reconnu la République populaire de Chine. Taïwan a une
économie remarquablement bonne qui survivrait difficilement si la Chine
devait attaquer. Mais si la Chine décidait d’envahir, ce serait une
folie pour les États-Unis d’entrer en guerre contre la Chine. Une telle
guerre pourrait facilement devenir nucléaire.
Je suis sûr que vous connaissez le travail d’Elbridge Colby. Il est un grand partisan de ce qu’il appelle une « stratégie du déni », essentiellement
en contenant la Chine, en l’empêchant, par l’intermédiaire de Taïwan,
de se projeter davantage dans les chaînes d’îles de la mer de Chine
méridionale. Il soutient que c’est dans l’intérêt de la sécurité
nationale de l’Amérique, que c’est là que l’Amérique doit investir. Que
répondez-vous à cela ?
Je ne pense pas que ces arguments aient du sens. Nous disons que
notre marine doit dominer la mer de Chine méridionale. Comment
réagirions-nous si les Chinois, les Russes ou n’importe quel autre pays
disaient : « Nous devons dominer les Caraïbes » ? Comment nous
sentirions-nous si les Chinois contournaient régulièrement la frontière
pour recueillir des renseignements ? Nous le faisons autour des leurs.
Je n’adhère pas à l’argument selon lequel les États-Unis ont
l’obligation de dominer les mers du monde. Bien sûr, nous voulons
qu’elles soient ouvertes au commerce, et c’est aussi dans l’intérêt de
la Chine.
Je pense que militariser les relations avec la Chine est une énorme
erreur. Au cours des 30 dernières années, le gouvernement chinois a
probablement amélioré la vie de plus de gens plus rapidement que
n’importe quel autre gouvernement dans l’histoire. Le PIB chinois est
égal ou supérieur à celui des États-Unis. Certains voient cela comme une
menace, mais pas moi. La Chine a plus de quatre fois la population des
États-Unis. Alors pourquoi leur PIB ne serait-il pas au moins quatre
fois supérieur au nôtre ? Cette idée que les États-Unis doivent être
numéro un dans tous les domaines, et que tout pays dont l’économie croît
plus rapidement est une menace, est tout simplement une fausse logique.
Dans les deux prochaines questions, je voulais revenir en arrière dans l’histoire. En 1997, vous avez été cosignataire d’une lettre ouverte rédigée
par 50 voix de l’establishment de la politique étrangère américaine qui
qualifiaient l’expansion de l’OTAN vers l’Est d’« erreur politique aux
proportions historiques ». La lettre affirmait également que l’expansion
de l’OTAN « renforcerait l’opposition non démocratique » en Russie et «
diminuerait la sécurité des alliés et perturberait la stabilité
européenne ». Récolte-t-on aujourd’hui ce que nous avons semé à l’époque
?
Oui, parfaitement. J’étais fermement opposé à l’élargissement de
l’OTAN par rapport à sa composition de 1991. J’ai assisté à plusieurs
réunions au cours desquelles les dirigeants américains, mais aussi
britanniques et allemands, ont assuré à Gorbatchev et au ministre des
Affaires étrangères de l’époque, Chevardnaze, que si l’Allemagne de
l’Est était autorisée à rejoindre l’Allemagne de l’Ouest et que
l’Allemagne unifiée restait dans l’OTAN, l’OTAN ne se déplacerait pas
plus à l’est. En fait, comme l’a dit à plusieurs reprises le secrétaire
d’État Baker, l’OTAN ne s’étendrait « pas d’un pouce ».
Lors de leur rencontre au sommet à Malte en décembre 1990, lorsque
Gorbatchev et le président George Herbert Walker Bush ont déclaré la fin
de la guerre froide, il y a eu plusieurs autres déclarations. L’une
d’entre elles était que l’Union soviétique n’interviendrait pas en
Europe de l’Est s’il y avait un changement politique et la seconde était
que les États-Unis ne profiteraient pas de cette situation. Maintenant,
l’expansion d’une alliance militaire dans ces régions serait évidemment
un avantage. Je dirais que toute l’idée de mettre fin à la guerre
froide reposait en partie sur l’idée que l’alliance occidentale ne
s’étendrait pas.
Il y avait de bonnes raisons d’éviter l’expansion. Une fois que le
Pacte de Varsovie a été rompu et que les pays d’Europe de l’Est ont été
autorisés à se démocratiser avec l’encouragement de Gorbatchev, il n’y
avait aucune possibilité que l’Union soviétique envahisse l’Europe
occidentale. C’était l’objectif initial de l’OTAN et il a été atteint.
Et il y a un autre aspect ici, et c’est notre triomphalisme. Nous
avons mis fin à la guerre froide par la négociation et il a été possible
d’y mettre fin lorsque Gorbatchev a abandonné le principe de base du
Parti communiste et de sa politique étrangère, la « lutte des classes »
marxiste. Il l’a totalement abandonné dans un discours à l’ONU en
décembre 1988. Gorbatchev annonça que désormais la politique étrangère
soviétique était basée sur « les intérêts communs de l’humanité ». C’est
le contraire de la politique marxiste-léniniste antérieure et, bien
sûr, c’était aussi la base pour essayer de réformer l’Union soviétique
et de la rendre plus démocratique. Si l’Union soviétique a permis aux
pays d’Europe de l’Est de se démocratiser et qu’elle était elle-même en
train de se réformer, pourquoi devrions-nous les inclure dans une
alliance occidentale qui avait été là pour empêcher une invasion
soviétique de ces pays ? Il n’y avait plus de menace.
En fait, la Russie a accepté l’expansion initiale de l’OTAN et
l’élargissement aux États baltes, mais s’est opposée à l’extension aux
Balkans et à l’établissement de bases militaires étrangères dans ces
pays.
Mais il n’y a jamais eu de bonne raison d’élargir l’OTAN. Au début,
nous avons proposé ce qu’on appelle un partenariat pour la paix, qui
aurait très bien fonctionné. C’était acceptable pour Boris Eltsine, le
dirigeant russe de l’époque, et pour d’autres. Mais le problème avec
l’expansion de l’OTAN n’était pas tant la garantie de l’article 5 qu’une
attaque contre l’un sera considérée comme une attaque contre les
autres. Ce qui était sensible pour la Russie, c’était l’établissement de
bases étrangères et surtout américaines dans ces pays. L’adhésion
elle-même n’était pas si importante. Ce n’est que lorsque nous avons
commencé à y installer des bases en même temps que les relations se sont
détériorées. C’était sous la deuxième administration Bush, lorsque les
États-Unis ont commencé à se retirer de pratiquement tous les accords de
contrôle des armements que nous avions conclus et qui étaient à la base
de la fin de la guerre froide.
Il n’y avait pas que ces 50 experts en politique étrangère
qui s’opposaient à l’expansion de l’OTAN. George Kennan et Henry
Kissinger aussi. William Burns, alors ambassadeur des États-Unis en
Russie, a envoyé en 2008 un câble publié par Wikileaks exposant
clairement l’opposition russe à l’Ukraine et à la proposition
d’adhésion de la Géorgie à l’OTAN. Il s’intitulait « Niet c’est niet ».
Si tout cela semblait si clair à l’establishment de la politique
étrangère à Washington DC à l’époque, comment se fait-il qu’aujourd’hui
vous ne trouviez presque plus de voix éminente s’opposant à l’adhésion
de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN ? Qu’est-ce qui a changé ?
Il est très clair qu’au cours des décennies qui ont commencé à la fin
des années 90 et en particulier au cours de la première décennie du
XXIe siècle, il y a eu un effort concerté de la part du complexe
militaro-industriel américain pour trouver des « concurrents pairs »
afin de justifier des budgets de défense énormes et croissants. Ceux
d’entre nous qui ont négocié la fin de la guerre froide prédisaient que
les bases de l’OTAN dans les pays libres d’Europe de l’Est allaient
provoquer la Russie, et la Russie à cette époque était dans une
situation économique très difficile.
Je rappelle aux gens qui disent : « Oh, la Russie est toujours
l’agresseur » que c’est le dirigeant élu de la Fédération de Russie qui a
dirigé et permis l’éclatement de l’Union soviétique, qui s’est produit
de manière pacifique. Les pays baltes ont bénéficié du soutien de Boris
Eltsine tout au long de leur quête d’indépendance. Dans ce cas, le
dirigeant russe élu est le plus responsable de l’éclatement de l’Union
soviétique et quand les gens disent : « La Russie fait toujours ceci, la
Russie fait toujours cela », c’est un non-sens parce que l’Union
soviétique était un État communiste très différent de la Russie
actuelle. Je dirais qu’en ce qui concerne l’utilisation de l’espionnage
et de la propagande, la Russie et l’Ukraine ont exactement le même
héritage, et c’est vraiment une compétition entre ceux qui font la
propagande la plus tendancieuse. Mais le fait est que les gens qui
partent de notions abstraites et tirent des conclusions oublient tous
les détails qui, en fait, rendent leurs conclusions irrationnelles.
Permettez-moi simplement d’ajouter ici que je pense que la politique
actuelle, la politique qui a produit bon nombre de ces erreurs
actuelles, a une base philosophique faible. Beaucoup disent que c’est
notre mission de promouvoir la démocratie dans le monde. Ils ne
définissent pas exactement ce qu’est la démocratie. En fait, le mot
n’apparaît pas dans la Constitution américaine. Il ne figure pas dans le
serment d’office que nous prêtons. Ni dans le serment d’allégeance.
Nous prêtons serment d’allégeance au drapeau des États-Unis d’Amérique
et à la république qu’il représente. Pour en revenir à la Première
Guerre mondiale, l’une des raisons pour lesquelles Wilson est entré dans
la Première Guerre mondiale était de protéger la démocratie. Attendez
un peu. Chaque pays qui a combattu pendant la Première Guerre mondiale
était un empire. La Grande-Bretagne était un empire au même titre que
l’Allemagne et la Russie. La Grande-Bretagne et la France ont continué à
étendre leurs empires à la fin de la guerre. Et donc, les États-Unis
ont-ils vraiment soutenu la démocratie ?
En d’autres termes, vous pensez que c’est une fraude que
l’OTAN défende réellement la démocratie contre l’autoritarisme en
Ukraine.
L’idée qu’une puissance extérieure puisse en amener une autre à être
démocratique la fait complètement à l’envers. Après tout, si la
démocratie est un gouvernement de, par et pour le peuple, comme l’a dit
Abraham Lincoln, comment un étranger peut-il l’imposer ? Le fait est que
lorsqu’un étranger commence à soutenir certaines factions dans un autre
pays, il va leur faire plus de mal que de bien. Il suffit de regarder
comment nous avons réagi à la fausse accusation, je pense, selon
laquelle la Russie a aidé à l’élection de Trump en 2016. C’était une
énorme tromperie que beaucoup considèrent encore comme un fait. Oui, la
Russie a eu de la propagande et des trolls sur Internet, mais il n’y a
aucune preuve que cela ait eu le moindre effet sur le résultat de
l’élection de 2016.
Mais ce que j’ai commencé à dire, c’est que, en particulier à partir
de la fin des années 90 et dans les années 2000, vous avez eu la
soi-disant élite américaine de la politique étrangère, y compris les
médias, de nombreux groupes de réflexion et aussi dans le gouvernement
qui a essayé de développer une politique pour répandre la démocratie à
l’étranger. Aujourd’hui, quand on dit qu’on défend la démocratie en
soutenant les Ukrainiens, c’est un non-sens absolu. Le gouvernement
ukrainien actuel est le résultat d’un coup d’État en 2014 qui a renversé
un président élu. Les régions qui s’étaient séparées de l’Ukraine, mais
revendiquées par l’Ukraine, n’avaient pas accès au vote. Le
gouvernement actuel est dictatorial et corrompu.
Alors, que faire ? Je veux dire que du point de vue russe, il
n’y a aucune chance de rétablir Minsk-2. L’ancienne chancelière
allemande Amgela Merkel a déclaré que les Européens avaient utilisé les
accords de Minsk pour donner à l’Ukraine le temps de se réarmer (on ne
sait pas si elle a dit cela pour sauver sa réputation). Donc, les Russes
ne nous feraient pas confiance de toute façon. Nous leur en voulons
d’avoir envahi l’Ukraine, alors pouvons-nous soudainement déclarer le
conflit gelé ? Selon vous, quel est le résultat le plus probable et le
plus préférable qui soit à la fois le plus réaliste ?
Les frontières que le gouvernement ukrainien actuel dit vouloir
conserver ont été créées par Joseph Staline et Adolf Hitler et, dans le
cas de la Crimée, par Nikita Khrouchtchev. Il ne s’agissait pas de
frontières qui ont fait l’objet d’une bataille et d’une négociation avec
de nombreuses élections, etc. Ce qui est l’Ukraine occidentale n’avait
jamais fait partie de l’Empire russe quand Hitler l’a donné à Staline.
Maintenant, pourquoi les gens versent-ils leur sang pour recréer un
héritage d’Hitler et de Staline ? Et, soit dit en passant, dans l’ouest
de l’Ukraine, vous avez un mouvement néonazi très puissant qui est
militarisé et qui a été l’un des principaux facteurs de provocation pour
la Russie. Nier cela, c’est tout simplement nier les faits.
Je ne comprends pas pourquoi il est dans l’intérêt du peuple allemand
de suivre la politique de son gouvernement aujourd’hui. Bien sûr, c’est
à eux de décider. Ce n’est pas à moi de décider, mais en tant
qu’observateur extérieur, je pensais qu’ils s’en sortaient plutôt bien
lorsqu’ils avaient des relations économiques complètes avec la Russie.
Je n’ai rien vu de mal avec Nord Stream. Avant la mise en service de
Nord Stream 1, la majeure partie du gaz russe transitait par l’Ukraine.
Les Ukrainiens prenaient ce qu’ils voulaient, souvent sans le payer, et
si les Russes essayaient de collecter en réduisant le flux, les
Ukrainiens prenaient toujours ce qu’ils voulaient et réduisaient ce qui
était transmis à l’Europe centrale et occidentale. Il était donc dans
l’intérêt de l’Allemagne et de la Russie de construire Nord Stream. Je
pense que les objections ont toujours été politiques.
Maintenant, permettez-moi d’ajouter une chose dont nous n’avons pas
parlé. Il s’agit de l’effort des États-Unis et de l’UE pour séparer
l’Ukraine de la Russie. Il a pris forme en particulier en 2014 lors des
manifestations de Maïdan à Kiev. La violence, soit dit en passant, a été
déclenchée à l’ouest par ces formations néo-nazies qui ont commencé à
tirer sur les manifestants. Il avait été convenu qu’il y aurait des
élections d’ici la fin de l’année, et il semblait qu’il y aurait de
bonnes chances que Ianoukovitch perde. Mais néanmoins, un coup d’État a
eu lieu, et la Russie a toutes les raisons de croire qu’il a été fomenté
par la CIA et par d’autres membres de l’OTAN, y compris le Royaume-Uni.
Vous aimez souligner qu’à la fin de la guerre froide, la
position officielle des États-Unis était d’empêcher l’effondrement de
l’Union soviétique. Le président George H. W. Bush a soutenu le traité
d’union proposé par le président Gorbatchev et a déclaré lors d’un discours remarquable qu’il
a prononcé dans la chambre du Soviet suprême d’Ukraine à Kiev le 1er
août 1991 : « Les Américains ne soutiendront pas ceux qui cherchent
l’indépendance afin de remplacer une tyrannie lointaine par un
despotisme local. Ils n’aideront pas ceux qui promeuvent un nationalisme
suicidaire basé sur la haine ethnique ». Comme on pouvait s’y attendre,
cette ligne a provoqué la colère des partisans de la ligne dure
américaine et des nationalistes ukrainiens et n’a eu aucun effet : plus
tard cette année-là, les Ukrainiens ont encore massivement voté pour
l’indépendance de l’Union soviétique. Mais pourriez-vous expliquer
pourquoi le président Bush père a pris cette position à l’époque ?
J’étais dans l’avion avec Bush quand nous avons pris l’avion de
Moscou à Kiev, et alors qu’il préparait son discours pour la Verkhovna
Rada, il a personnellement écrit et formulé les phrases que vous avez
citées. Il ne voulait pas voir l’Union soviétique éclater. Il voulait
que les trois États baltes acquièrent leur véritable indépendance, et il
l’a totalement soutenue. Les États-Unis n’ont jamais reconnu les pays
baltes comme faisant légitimement partie de l’Union soviétique. En ce
qui concerne les autres républiques soviétiques, nous avons reconnu
qu’elles faisaient partie de l’Union soviétique en toute légalité.
Il y avait au moins deux raisons pour lesquelles Bush soutenait les
efforts de Gorbatchev pour créer une union volontaire. L’une d’entre
elles était que s’ils devaient être soudainement lâchés avant qu’il n’y
ait plus de réformes démocratiques, les dirigeants communistes locaux
prendraient simplement le pouvoir. Gorbatchev essayait de changer le
système, et bien sûr, les directeurs rouges, comme vous diriez, ceux qui
dirigeaient réellement le système, étaient opposés à ces réformes.
L’autre raison, c’est que nous ne voulions pas d’une prolifération
des armes nucléaires. Nous pensions que ce serait très dangereux.
Auparavant, il y avait des armes nucléaires stationnées dans beaucoup de
ces républiques. Au moment de l’éclatement de l’Union soviétique, il
n’y avait d’armes nucléaires que dans quatre d’entre elles, et cela
faisait partie intégrante de la politique américaine de craindre les
voir se disloquer, nous voulions que les armes soient concentrées en
Russie où elles pourraient être plus facilement maîtrisées. Un grand
nombre de ces armes devaient être détruites en vertu du traité START en
vigueur. Nous ne voulions donc vraiment pas voir la rupture de l’URSS.
Eh bien, vos critiques pourraient objecter : attendez, alors
vous avez dit que nous voulions empêcher la prolifération nucléaire, et
nous voulions empêcher l’Ukraine d’être dirigée par un despote. Ces
critiques diraient qu’aujourd’hui, c’est un phare lumineux de la
démocratie et que la prolifération n’a pas eu lieu. Bush avait donc
tort, et la stratégie belliciste à l’égard de l’Union soviétique était
la bonne.
La prolifération n’a pas eu lieu parce que l’Ukraine, la Biélorussie
et le Kazakhstan ont transféré les armes nucléaires à la Russie comme
l’exigeaient les États-Unis. Mais c’est une parodie de dire que
l’Ukraine est aujourd’hui une démocratie. Ce n’est pas le cas. Elle est
probablement moins démocratique que la Russie. Et comme je l’ai déjà
souligné, le gouvernement actuel est le résultat d’un coup d’État en
2014. Dès ses débuts en tant qu’État indépendant en décembre 1991,
l’Ukraine a été profondément divisée politiquement.
Je suis allé à Kiev, ça devait être en 1993 ou 1994, avec un groupe
de personnes qui avaient travaillé au Conseil de sécurité nationale.
Nous avions un accord avec le gouvernement ukrainien pour venir leur
décrire comment nous fonctionnions au sein du Conseil de sécurité
nationale à Washington. À la fin de notre présentation, un haut
responsable ukrainien a commenté : « Vous parlez de relations
étrangères, mais notre problème est interne. » Et puis ils nous ont
montré des cartes de l’endroit où des votes avaient eu lieu, avec d’un
côté 85, 90% d’un parti à l’Ouest, puis à l’Est 85 ou 90% de l’autre
parti. Et en fait, ces élections ont été divisées presque à 50-50. Au
cours des années suivantes, parfois un côté obtenait 50,1 %, parfois
l’autre, mais c’était toujours très serré.
Ce qui rendait cela particulièrement dangereux, c’était la
constitution ukrainienne qui faisait que le président devait nommer ce
que nous appellerions les gouverneurs des États, les chefs provinciaux.
Il n’y avait pas d’élections provinciales comme nous, les Américains.
Évidemment, un tel système ne fonctionne pas si le pays est très divisé,
mais c’est ainsi que le problème a commencé là-bas et qu’ils sont
devenus de plus en plus profonds et en 2014, la violence a commencé du
côté ouest et principalement à cause de ces groupes néonazis qui ont
tout d’abord commencé à prendre le contrôle des bureaux des gouverneurs
de province.
C’est pourquoi l’une des exigences des accords de Minsk était que
l’Ukraine adopte une constitution fédérale qui permettrait à ces entités
russophones d’élire leurs propres dirigeants de la même manière que les
citoyens des États américains élisent leurs gouverneurs. Si nous, les
Américains, avions eu le genre de système qu’avait l’Ukraine, nous nous
serions séparés depuis longtemps. Vous avez besoin d’un système fédéral
comme celui de la Suisse, par exemple, ou de la Belgique, ou de la
Finlande, où la minorité suédoise a tous les droits culturels. Mais
c’est quelque chose que le gouvernement ukrainien actuel, ceux qui le
contrôlent, n’ont jamais concédé et, comme je l’ai dit, c’était l’une
des exigences de l’accord de Minsk. Pourquoi l’Allemagne et la France
n’ont-elles pas insisté pour que les Ukrainiens s’y conforment s’ils
voulaient recevoir plus d’aide, je ne sais pas. Les États-Unis auraient
dû faire de même. Nous avons approuvé l’accord, même si nous n’en étions
pas signataires.
La tragédie actuelle, c’est que c’est mauvais pour tout le monde. De
toute évidence, les Ukrainiens souffrent le plus, et nous savons aussi
que quelques semaines après l’invasion russe, ils ont failli parvenir à
un accord, mais ont été découragés par Boris Johnson. Ils ont aussi,
j’en suis sûr, été découragés par les États-Unis.
Vous avez été un proche conseiller du président Reagan, que
la plupart des gens considèrent comme un personnage particulièrement
belliciste à l’égard de l’Union soviétique et de la Russie. Il a appelé
l’Union soviétique « l’Empire du Mal ». Le récit historique reçu est
qu’il a gagné la guerre froide pour nous. Il a essentiellement
dépensé plus que l’Union soviétique parce qu’il cherchait à la faire
disparaître. En fait, son nom est régulièrement invoqué par les faucons
russes en Occident comme quelqu’un qui serait aujourd’hui dur avec le
président Poutine et que M. Reagan « se retournerait dans sa tombe » s’il
était témoin de l’opposition de certains républicains à davantage
d’aide militaire pour l’Ukraine, comme l’a récemment déclaré le
président polonais Donald Tusk. Le Reagan que vous décrivez dans vos
livres, en revanche, était loin d’être le faucon que beaucoup d’entre
nous ont lu. Qu’est-ce que le Reagan que vous connaissiez représentait
en ce qui concerne le rôle de la Russie et de l’Amérique dans le monde ?
À l’époque, nous avions affaire à l’Union soviétique et non à la
Russie en tant qu’entité. Le président Reagan connaissait la différence
entre l’Union soviétique et la Russie. Il ne voyait aucun conflit
d’intérêts entre nous et la Russie. Son problème était le communisme et
les tentatives soviétiques d’imposer le communisme aux autres. Oui, il a
qualifié l’URSS d’« empire du mal », mais en 1988, lorsqu’il s’y est
rendu, il a dit que c’était du passé, que ce n’était plus vrai, et il a
donné à Gorbatchev le mérite de l’avoir changé. Alors oui, c’était un
adversaire du communisme et de l’expansionnisme soviétique. Mais il
était parfaitement conscient des pertes russes pendant la Seconde Guerre
mondiale et de leur contribution à la victoire sur l’Allemagne.
Une autre chose qui différenciait l’approche de Reagan de celle de
nos présidents plus récents, c’est que, même s’il critiquait le
communisme, il n’a jamais insulté publiquement un dirigeant soviétique.
Lorsqu’il rencontra Gromyko, le ministre soviétique des Affaires
étrangères, il lui serra la main en disant : « Nous tenons la paix du
monde entre nos mains. Nous devons agir de manière responsable ». Il
s’est surtout efforcé de comprendre Gorbatchev et de construire un
esprit de confiance avec lui.
Reagan n’était pas un intellectuel qui avait une grande connaissance
de l’histoire, mais qui était avide d’apprendre. C’était quelqu’un qui
savait comment traiter avec les autres. La dernière chose qu’il ferait
serait d’insulter publiquement un dirigeant soviétique. Comme je l’ai
dit, il a compris que la Russie avait beaucoup souffert pendant la
Seconde Guerre mondiale, plus que les États-Unis, et que les Russes
avaient besoin de respect pour cela. En fait, aux lettres que je
rédigeais pour lui aux dirigeants soviétiques, il ajoutait toujours de
sa main quelque chose sur le grand respect qu’il avait pour leur
performance pendant la guerre et leurs pertes énormes.
Plus tard, lorsque nos dirigeants occidentaux ont refusé d’inviter le
président Poutine aux célébrations de la Seconde Guerre mondiale, comme
à l’anniversaire de l’invasion de la Normandie, et ont commencé à le
diaboliser, en grande partie pour des choses qu’il a faites chez lui, et
non pour ce qu’il nous a fait – c’est tout le contraire de ce que
Reagan aurait fait ou dit.
Au fond, Reagan était un homme de paix et un homme qui savait
négocier, qui ne partait pas tant d’idées abstraites que de faits
concrets. Comme il le disait parfois, ils ont un système minable, ces
communistes, mais si c’est ce qu’ils veulent, c’est leur affaire. Et il
pensait que les États-Unis devraient être une ville brillante sur la
colline, un exemple pour le monde, pas une ville qui s’impliquerait dans
la politique d’autres pays. L’approche de négociation qu’il a approuvée
était presque à l’opposé de ce que nous avons fait depuis. Il a essayé
de comprendre d’où Gorbatchev venait, ce dont il avait besoin et nous
avons présenté tous nos objectifs, non pas comme des demandes qu’ils
fassent quelque chose que nous voulions qu’ils fassent, mais comme des
suggestions que nous coopérions pour atteindre un but commun. Nous
n’avons pas dit qu’il fallait assainir la situation des droits de
l’homme. Nous avons dit : coopérons pour améliorer le respect des droits
de l’homme. Lors de sa première rencontre avec le secrétaire d’État
George Shultz, Chevardnaze a déclaré : « Pouvons-nous parler de la
condition des femmes et des Noirs aux États-Unis ? ». Shultz a déclaré :
« Absolument, je pense que nous faisons des progrès, mais nous avons
encore du chemin à parcourir et nous pouvons utiliser toute l’aide que
nous pouvons obtenir. » Tout ce que nous demandions était réciproque. En
fait, nous avons coopéré pour mettre fin à la plupart de nos
affrontements dans d’autres points chauds.
Depuis lors, il y a eu ce triomphalisme et nous avons vu la Russie
d’abord comme un adversaire vaincu, puis comme un ennemi alors qu’ils
n’avaient rien fait pour nous menacer. Et je dois dire que la ligne de
démarcation entre la Russie et l’Ukraine n’a jamais été une question
vitale pour les États-Unis ou tout autre membre de l’OTAN. Ce n’est pas
notre affaire. Les combats actuels ont tous les éléments émotionnels
d’une guerre civile. L’Ukraine et la Russie ont une histoire
profondément liée et il n’y aura pas de paix entre elles à moins
qu’elles ne parviennent à un accord accepté par les deux parties.
De nombreux analystes de l’OTAN estiment que d’ici quelques
années, la Russie sera capable d’envahir le territoire de l’OTAN. C’est
de la folie pure et simple ?
Je ne pense pas qu’ils en aient la capacité ni l’envie. En fait, je
ne pense pas qu’il y ait un quelconque désir de contrôler ces Ukrainiens
dans l’ouest de l’Ukraine. Je doute qu’ils veuillent prendre Kiev, par
exemple. J’en doute fortement. Maintenant, s’ils continuent d’avancer,
ils pourraient prendre Kharkov et Odessa. Et si nous continuons à
déverser des armes et que certaines d’entre elles sont utilisées pour
frapper des territoires en Russie proprement dite, je ne sais pas. Ils
se sont réservé le droit d’utiliser des armes nucléaires si nécessaire
et j’espère qu’ils ne jugeront jamais cela nécessaire.
Mais je voudrais aussi souligner qu’il semble y avoir aux États-Unis,
et aussi parmi des éléments en Allemagne et au Royaume-Uni, l’idée que
tout ce qui est russe est inférieur. Et il est vrai que la Russie a
parfois été en retard sur certains aspects de la technologie, bien qu’à
l’avant-garde sur d’autres. Ils ont été les premiers dans l’espace. Il y
a eu des moments où nous ne pouvions pas nous rendre à la station
spatiale sans utiliser de fusées russes. Donc, l’idée qu’ils ont une
technologie totalement inférieure, et que nous pouvons les affaiblir en
les coupant, oublie qu’ils sont un pays avec d’énormes ressources, à la
fois humaines et physiques, et dans un certain nombre de domaines,
lorsque nous avons exercé des pressions, ils nous ont dépassés.
Malgré les sanctions.
Je pense que toute la politique de sanctions économiques a été
galvaudée. Je ne me souviens pas d’un moment où les sanctions
économiques ont produit des changements politiques liés à la sécurité.
Nous avons mis en place une énorme bureaucratie pour sanctionner non
seulement les gens qui sont des ennemis, mais aussi des sanctions pour
des choses qu’ils font chez eux et qui devraient être leur affaire et,
accessoirement, pour sanctionner d’autres pays qui ne sont pas sous
notre juridiction. Je pense qu’il s’agit d’une mauvaise utilisation de
la situation dans laquelle nous nous trouvons, et que cela va la miner.
Et le fait que nous le fassions, en fait de plus en plus avec des fonds
empruntés, n’est pas viable indéfiniment. Je me demande combien
d’Européens, en particulier d’Allemands, y prêtent attention.
À 94 ans, vous vous mêlez toujours de l’actualité. En février, vous avez écrit dans un essai que
le vice-ministre soviétique des Affaires étrangères Ivan Aboimov vous a
adressé en décembre 1989 : « Nous vous avons donné la doctrine Brejnev
avec nos compliments. Considérez-le comme un cadeau de Noël ». Que
voulait-il dire par là ? L’Occident poursuit-il aujourd’hui une sorte de
doctrine Brejnev ?
Je pense que c’est le cas. Notre politique actuelle s’appelle «
l’ordre international fondé sur des règles ». Bien sûr, nous enfreignons
ces conditions quand nous le souhaitons. Dans de nombreux cas, il
semble que nous fonctionnions selon les mêmes principes qui nous ont
amenés à la Première et à la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire que
nous nous battons pour savoir qui contrôle quel territoire. Si nous
n’avons pas appris dans la première moitié du XXe siècle que c’est un
jeu perdant pour tout le monde, alors je pense que nous ignorons
l’histoire qui aurait dû nous enseigner des leçons vitales.
Selon Marx et Lénine, il allait y avoir une révolution prolétarienne
mondiale qui éliminerait la classe bourgeoise, la classe dominante,
comme ils disaient, et créerait le socialisme qui se développerait en
communisme. La doctrine Brejnev était que si un pays avait atteint le
socialisme, il était du devoir des autres pays socialistes de le
protéger s’il était en danger. C’est le raisonnement que l’Union
soviétique a utilisé pour envahir la Hongrie lorsqu’elle s’est révoltée
en 1956, puis plus tard la Tchécoslovaquie lorsque le Printemps de
Prague a commencé à la démocratiser. C’était la doctrine Brejnev.
Ce que nous disons maintenant, c’est que nous devons protéger et
défendre la démocratie à l’étranger et la créer pour d’autres personnes.
Cela ne dit-il pas la même chose que Brejnev disait à propos du
socialisme ? Peu importe que le socialisme qu’ils avaient n’était pas ce
que Marx avait prédit. L’idée était qu’il est dans l’intérêt de chacun
de changer la forme de gouvernement des autres pays et que s’ils ont
votre forme de gouvernement, ils seraient amis. Bien sûr, toute notre
expérience historique réfute cela, même dans le cas de l’Union
soviétique. Il y a d’abord la Yougoslavie et l’Albanie qui se sont
libérées du contrôle soviétique, puis la grande rupture avec la Chine.
Plus tard, nous craignions que si les communistes vietnamiens gagnaient,
Moscou contrôlerait pratiquement toute l’Eurasie. En réalité, la même
forme de gouvernement n’a pas nécessairement fait des pays des amis.
Quand on pense qu’on peut créer la démocratie ailleurs ou même la
faciliter par une intervention directe dans leurs affaires, je pense que
c’est faire marche arrière. Nous devrions revenir à l’idée que le
sénateur Fulbright a exprimée dans deux de ses livres : la seule façon
de répandre la démocratie est de prouver comment elle fonctionne chez
nous. Et je dois dire que nous ne donnons pas un bon exemple ces
jours-ci.
Les pays deviennent autoritaires parce qu’ils se sentent menacés et
qu’ils ont besoin d’un dirigeant fort pour repousser ces menaces. C’est
pourquoi de nombreux Russes, bien que mal à l’aise avec la guerre en
Ukraine, la soutiennent toujours. Ils le voient comme une défense contre
l’OTAN et les États-Unis. Nous avons déclaré que nous essayions
d’affaiblir la Russie. Nous avons imposé des sanctions qui ne sont
normalement permises que lors d’une guerre déclarée. Nous avons donc une
situation où il est fort probable qu’un pourcentage plus élevé de
Russes approuvent les politiques de Poutine que le pourcentage
d’Américains qui approuvent Biden ou Trump. Ils fonctionnent tous les
deux à environ 40 % ou moins. Qui est le plus démocratique ?
Ma dernière question peut sembler étrange. Si quelqu’un
d’autre avait dit ce que vous venez de dire, les critiques qui lisent
cette interview, les Anne Applebaum du monde entier, diraient : « Eh
bien, Jack Matlock est un larbin du Kremlin. C’est une marionnette de
Poutine. Il répand de la désinformation. Merde, ils diront cela
même à propos de vous. Qu’est-ce qui vous passe par la tête quand vous
voyez ce type de rhétorique, où l’opposition intérieure à la politique
étrangère américaine est considérée essentiellement comme une haute
trahison ?
Je pense que c’est absolument ridicule. Tout d’abord, ces critiques
ne citent jamais rien de ce que j’ai dit qui soit de la propagande du
Kremlin. Je ne voulais pas que ces conflits se produisent et c’est
pourquoi j’ai mis en garde contre l’expansion de l’OTAN. La guerre en
Ukraine était prévisible pour les raisons que j’ai données. Le genre
d’actions que « l’Occident » a prises allait créer une réaction, et je
pense que c’est une tragédie. C’est une tragédie ce qui est arrivé à la
Russie, ce qui arrive à l’Ukraine. Et bien sûr, je suis d’accord pour
dire que l’invasion de Poutine était un crime. Je suis aussi tout à fait
conscient que mes présidents ont commis des crimes, et je pense que
dans certains cas, ils ont commis moins de provocation. L’Irak n’était
pas une menace pour les États-Unis. Une Ukraine avec des bases de l’OTAN
serait une menace pour la Russie. Regardons les choses en face.
Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas comprendre cela ? Je ne défends
certainement pas Poutine, mais je ne défends pas non plus mon propre
président lorsqu’il envoie des bombes en Israël pour créer une guerre
génocidaire. Ce n’est donc pas de la propagande. Je parle d’expérience,
parce que j’ai vécu différentes périodes, que j’ai essayé d’en tirer des
leçons et que j’ai contribué à l’élaboration d’un ensemble de
politiques qui ont mis fin à la très dangereuse guerre froide, des
politiques qui ont été inversées depuis et qui nous amènent à une autre
crise.
L’interview a été menée par Gregor Baszak, un écrivain et universitaire basé à Chicago. Ses écrits ont été publiés dans The American Conservative, The Bellows, Cicero, Sublation, UnHerd et ailleurs. Suivez Gregor sur X @gregorbas1.