L’Europe, quelle Europe ?
lundi 13 mai 2024
par Francis Arzalier (ANC)
Le sigle Europe, depuis l’Antiquité
grecque qui en fit une jeune déesse convoitée par Zeus, le maître de
l’Olympe, est le nom géographique donné à cette presqu’île de l’Asie,
dont les populations (Celtes, Germains, Slaves, etc) pour l’essentiel
d’origine indo- européenne, sont passées progressivement du nomadisme
des chasseurs et de la cueillette à l’agriculture et l’élevage
sédentaire et urbain.
Ces peuples d’Europe ont intériorisé durant des millénaires la peur des
envahisseurs venus d’Asie, des cavaliers mongols de Gengis Khan aux
Magyars, Finnois, Turcs et autres Tatars à l’Est du continent. Cette
image trompeuse de l’Asie-danger a souvent caché que l’essentiel des
progrès d’Occident, des États néolithiques à l’écriture, n’étaient
parvenu à la péninsule occidentale que par le commerce avec cette
lointaine Asie.
Il fallut en 1762 l’Encyclopédie de Diderot pour reconnaître cet apport fondamental : « ex orienté lux ! ».
Et cette évidence
scientifique n’a pas totalement convaincu les peuples occidentaux, et
atlantiques, énivrés par quatre siècles de progrès techniques et de
colonisation : l’ignorance crasse en nos contrées de l’histoire
millénaire et de l’apport des peuples islamisés et de la Chine en sont
les beaux restes contemporains.
Un deuxième héritage actuel de cette image simpliste de
l’Europe et son histoire, est la propension par chez nous à gonfler
outrageusement les facteurs culturels communs à notre péninsule
européenne : des « Blancs » de peau (comme si les iraniens l’étaient
moins que les Britanniques ou les Portugais !), la famille monoparentale
ou patriarcale (qui n’a rien de spécifique à l’Europe !), et le
Christianisme (né aux marges de cette Europe, et fort divisé par
ailleurs en segments concurrents y compris par la guerre).
Des similitudes réelles certes, mais complexes, et surtout
face à un océan de différences, linguistiques, culturelles, économiques’
et surtout une histoire heurtée qui a donné naissance à une foisonnante
variété de peuples et de nations, beaucoup plus variés qu’en Asie, qui
en compte pourtant de nombreuses.
Il faut donc s’en tenir aux faits, d’ordre géographique :
l’Europe est un sous-continent, la péninsule occidentale de la masse
asiatique, où vivent des dizaines de peuples aux cultures diverses,
assemblés pour certains par l’histoire et la volonté de leurs citoyens
en États-Nations ou multinationaux, comme l’État espagnol aujourd’hui
(qui inclut Catalogne et Pays Basque) ou l’ancienne Fédération de
Yougoslavie, démembrée depuis plus de vingt ans. Toute autre définition
n’est que construction idéologique, née du rêve hégémonique des
puissances atlantiques favorisées longtemps par leurs rivages maritimes.
Contre-vérités « européennes
Au soir du 25 avril, sur la 5éme chaîne qui n’est pas la
plus réactionnaire du paysage télévisuel, un représentant de la CFDT et
du Crédit Mutuel est venu faire la promotion de son dernier livre, qu’il
a résumé au dogme social-démocrate suivant :
« Il faut une société du compromis, et non plus de l’affrontement ».
À cette occasion, une volée de contre-vérités nous a été
déversés, si nombreuses qu’on ne peut les dénoncer toutes. Certaines
méritent toutefois le détour, tant cette croyance quasiment consensuelle
est d’actualité, en ces temps d’élections européennes. Car c’est bien l’approche de ces électionsqui fait jusqu’à la nausée se multiplier ces affirmations lénifiantes, même si elles existaient préalablement.
« L’Europe, espace de paix » ?
Notre « expert », entre deux condamnations de la lutte de
classes, ce mal absolu qu’il faut éradiquer selon lui, comme le pensent
si fort la plupart des dirigeants syndicaux européens (et français) et
la plupart des responsables actuels du PCF, a repris l’antienne courante
selon laquelle « l’Union Européenne a fait de l’Europe ravagée par deux
guerres mondiales une zone de paix depuis près de 70 ans. » Parfois le
message est encore plus court, et l’exemple parfait de l’ânerie
historique péremptoire : « Europe est un espace de paix ». Comme si la
lecture d’un manuel d’histoire élémentaire ne suffisait pas à démontrer
qu’aucun autre continent n’avait été autant depuis des millénaires
ensanglantés par des conflits internes, quand d’autres, les USA par
exemple, n’ont pas subi sur leur sol les deux guerres mondiales.
Mais, bien sûr, il s’agit pour l’essentiel d’affirmer que depuis la
création de l’Union Européenne, les pays d’Europe sortis détruits de
l’épisode nazi ont enfin retrouvé la paix entre eux durant plus de sept
décennies.
Une contre-vérité absolue d’abord parce que les fondateurs de
ce qui n’était en 1957 que la petite « Communauté Européenne »
n’étaient aucunement représentatifs de la coalition qui avait vaincu
Hitler par les armes, de Staline à Churchill et De Gaulle. Les
politiciens anti-communistes qui ont pensé les accords de la CEE, Robert
Schumann, De Gaspéri, Spaak, etc, n’avaient guère contribué à la
coalition antinazie avant 1945, et n ambitionnaient qu’à faire vivre une
zone de libre-échange entre 6 États occidentaux d’économie capitaliste,
dans le cadre de l’Alliance Atlantique, et avec le soutien des
investisseurs. Les travaux d’historiens comme Annie Lacroix-Riz, même si
boycottés par l’appareil universitaire occidental, l’ont démontré
amplement.
Contre-vérité aussi et surtout parce que la construction
progressive de cette Union Européenne ne reposait que sur des accords
supranationaux entre 5 états capitalistes d’Europe occidentale, alliés sponsorisés des USA, à l’exclusion de ceux d’Europe orientale dirigés par les Communistes, et même de ceux neutralistes, nordiques et autrichien.
L’alliance antisoviétique et anticommuniste, soubassement explicite de
l’UE, a suscité tout au long de la « guerre froide » des conflits armés,
de la « guerre civile » grecque à celle en lointaine Corée, qui
impliqua de nombreux contingents européens, toujours en vertu de
l’anticommunisme.
Elle fut aussi l’aliment idéologique en Europe occidentale des
multiples guerres coloniales, en Indochine, en Algérie, au Cameroun,
Madagascar, etc… Et le combustible des successives « crises »
antisoviétiques fomentées par les officines occidentales de Berlin à
Budapest, menaçantes sans aller jusqu’à la guerre, tant que l’URSS fut
en état d’user de sa puissance (pour stopper l’invasion
Franco-britannique en Égypte en 1956 par exemple).
Mais quand, à l’issue d’une longue décrépitude, cette
force soviétique eut implosé en 1990, l’Europe « libérée du communisme »
vécut un chapelet d’horreurs guerrières sur son sol, dont l’exemple le
plus effroyable fut la féroce guerre yougoslave de 1991 à 2001, un
pugilat opposant les divers nationalismes balkaniques, avec le soutien y
compris militaire de l’Union Européenne et de son pendant guerrier,
l’OTAN.
Et, sur ce modèle de subversions nationalistes ou intégristes
sponsorisées par les Services secrets liés à l’UE e l’OTAN, on a vu les
deux décennies du nouveau siècle produire de multiples convulsions
guerrières, de l’Est européen aux rivages méditerranéens, en Lybie,
Syrie, Géorgie, Arménie, et finalement en Ukraine.
Des convulsions qui, même déguisées parfois en « Révolutions
Oranges » n’en sont pas moins des désastres guerriers pour les peuples,
nourris par l’UE et l’OTAN.
L’UE, « espace de démocratie » ?
.
Cette autre contre-vérité majeure n’est en fait que la
version actualisée de la formule « Monde libre » inventée par les
idéologues anticommunistes durant la période de « guerre froide » :
d’ailleurs, nombreux sont nos attardés médiatiques qui laissent échapper
cette vieille formule en parlant de la Russie comme si elle était
toujours l’URSS. Ils se posent en « camp du bien », comme Churchill qui
inventa un « camp du bien » qui incluait en 1950 les sanglants
dictateurs Franco en Espagne et Salazar au Portugal, qui s’opposait à
celui « démoniaque » de l’URSS et ses alliés. Cette dichotomie teintée
de fanatisme religieux médiéval était courante en 1960 dans tous les
États occidentaux fermement accrochés au capitalisme sous la protection
rapprochée des USA, contre tous les peuples aspirant à l’égalité sociale
et à l’indépendance nationale par l’idéal Communiste (Europe de l’Est,
Chine, Vietnam, Cuba, etc..).
Et c’est donc au nom de cette « liberté » d’entreprendre et
d’exploiter, que l’Impérialisme US et ses alliés colonialistes de
l’Europe atlantique menèrent les meurtrières guerres de Corée d’Algérie,
du Vietnam, etc… Et qu’en 2024 nous envahit ce sordide héritage des
tortionnaires et des bourreaux, de Madrid à Alger, de l’Indochine
abreuvée de bombes et de napalm jusqu’en Amérique latine envahie
régulièrement de « marines » et de mercenaires. Et durant toutes ces
décennies, c’est bien le « Monde libre » qui fut parsemé d’horreurs
antidémocratiques, coups d’états militaires et dictatures féroces, de la
Grèce des Colonels à celle des militaires au Brésil et de Pinochet au
Chili.
Et tout cela, pendant que se construisait progressivement
les « Institutions Européennes », UE et OTAN, les garants économiques
et militaires de ce monde du Capitalisme.
N’en déplaise à l’usage des mots, qui évoluent dans les
médias asservis au gré des manipulations des opinions, la réalité
géopolitique en 2024 est toujours sur ce point la même qu’en 1957 :
L’Union Européenne et son annexe militaire l’OTAN, regroupent sous la
houlette de l’Impérialisme dominant des USA, tous les pouvoirs qui, en
Europe, sont disposés à pérenniser le système capitaliste, chez eux et
dans le monde. Et cela n’implique nullement, contrairement aux
assertions de nos Macrons télévisés, un régime politique démocratique,
astreint aux choix faits par les citoyens et aux libertés publiques.
Au sein même de l’UE, nos tenants du « Monde libre »
d’aujourd’hui font mine de s’étonner de quelques dérapages autoritaires à
l’encontre des « minorités » (femmes, migrants et autres LGBT) en
Pologne, en Hongrie etc…En faisant semblant d’oublier que les mesures
répressives se multiplient encore plus en France, dont les « élites »
macroniennes, à force de courir après les idées de l’extrême-droite,
vont finir par les porter au pouvoir.
D’ailleurs, en quoi le pouvoir français, qui n’a jamais atteint une
majorité d’approbations dans l’opinion, serait-il plus « démocratique »
et représentatif que ceux de Russie, ou de Syrie, certes autoritaires,
mais qui peuvent se targuer d’un soutien citoyen bien plus fort ?
En quoi la Suède, qui autorise le brulement sur ses places publiques du
Coran, est-elle plus vertueusement démocratique que l’Iran des
Ayatollahs, dont les dirigeants peuvent faire état d’une large majorité
électorale ?
L’Union Européenne, « espace de prospérité économique » ?
Cette troisième affirmation repose sur le constat d’un
niveau de vie moyen plus élevé que celui des « pays du Sud global ».
Encore faut il éclairer ce phénomène historique de ses causes coloniales
et impérialistes, qui y ont accumulé durant des siècles les richesses,
grâce souvent au pillage des ressources naturelles de contrées soumises
au non-développement industriel et agricole indigène.
Et à condition aussi de noter que ce niveau de consommation élevé
s’accompagne d’une inégalité sociale extrême au sein même des métropoles
impérialistes, qui en fait un miroir aux alouettes pour les migrants
venus du Sud.
À ce relativisme historique nécessaire, s’ajoute un
constat plus contemporain, conséquence directe du « processus
d’intégration européen », par le biais de l’Union Européenne, comme de
la CEE qui l’a précédée, elles n’ont eu qu’une raison d’être, obtenir
par la « libre circulation des capitaux et des mains d’œuvre », le taux
de profit le plus élevé possible pour les investisseurs. Son seul but a
été et reste de mettre en place à l’échelle du continent la logique et
les désirs des capitalistes, par-dessus les frontières nationales.
C’est dans cette optique qu’elle a été l’instrument
essentiel de la vague de délocalisations après 1975-80 des entreprises
industrielles de France vers les espaces exotiques à plus bas salaires,
Europe de l’Est rendue au marché capitaliste, puis pays asiatiques et
africains. Ce faisant, les bourgeoisies occidentales et notamment
française en ont fait une arme politique redoutable, le démantèlement
des classes ouvrières industrielles permettant la destruction des
organisations révolutionnaires en Europe.
« Les états-nations contre l’UE »
Reste un autre argument faux à propos de l’UE,
d’inspiration nationaliste, qui est couramment ressassé par nos médias,
et qui a contaminé les esprits jusque dans nos rangs. Il se présente
souvent sous la forme de diatribes contre « les bureaucrates de
Bruxelles imposant leurs volontés aux Nations », et se déploie en
attaques contre « les décisions supranationales imposées aux dirigeants
nationaux élus « .
Ces arguments, ce n’est pas un hasard, ont été largement exploités par
l’Extrême-Droite et le RN en France, jusqu’à ce qu’il se rallie de fait à
l’UE, qu’il espère conquérir par la voie des urnes, avec ses alliés du
continent européen qui ont eux aussi le vent en poupe. Or, cet argument
est totalement faux : l’Union Européenne, ses Commissaires et ses
bureaucrates, n’existent que par la volonté des dirigeants libéraux élus
des divers pays qui en sont membres, qui l’utilisent pour réaliser
leurs objectifs politiques, économiques et financiers.
L’UE est la créature des pouvoirs libéraux, s’en
prendre à cette institution en laissant en place les choix politiques
étatiques qui lui donnent naissance est un leurre, une escroquerie
politicienne. Le Brexit n’a ainsi rien changé à l’exploitation du
prolétariat britannique.
Donner pour objectif de lutte aux travailleurs et aux
Communistes un Frexit aux côtés de politiciens de la bourgeoisie serait
une dérive politique nationaliste, une impasse réactionnaire
Il ne saurait y avoir pour nous de lutte contre l’UE et sa version
militaire impérialiste, l’OTAN, que liée au combat contre le
Capitalisme, pour le Socialisme et la Paix entre les peuples.
C’est en ce sens que l’ANC, à l’occasion des élections
européennes, se bat sur les thèmes ci-dessous, dont on peut regretter
qu’ils ne soient pas repris par beaucoup d’autres organisations de la
gauche qui s’affirme anticapitaliste. Des mots d’ordre qui sont en
rupture totale avec Droite et Extrême-Droite, et avec les irresponsables
belliciste, Macroniens et autres Gluksmann.
« Communistes pour la paix et le progrès social, non à l’UE, sortie de l’OTAN !"
Le 13 mai 2024
ANC Paris : Réunion/Débat - Non à l’U.E, oui à la Paix et sortie immédiate de l’OTAN