lundi 24 juin 2024

 

Tempête dans des crânes rasés

 

Ça ne tourne plus rond.

 

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Il se passe de drôle de choses dans le monde ambigu tout autant qu'interlope du ballon rond. D'un curieux contre-pied, un joueur international tricolore vient semer le désarroi par les hordes de ses supporters, outres à bière et à vulgarité. Celui qu'ils adulaient à l'image d'un Dieu de l'Olympe vient dire du mal du parti de leur cœur.

Ainsi donc, eux qui ont depuis tant d'années pris le parti de faire des saluts nazis dans les tribunes dans une chorégraphie qui n'a rien à envier aux grandes manifestations du troisième Reich, eux qui aiment tant faire des cris de singes et tenir des propos homophobes dès qu'un gardien de but dégage le ballon, ceux-là donc se trouvent soudainement en désaccord idéologique avec leurs idoles.

Quel parti devront prendre ces groupuscules haineux qui soutiennent une équipe afin de répandre dans tout le pays leur conception belliqueuse des rapports humains ? Pourront-ils encore s'identifier à des têtes de gondole qui prennent position contre leurs couleurs politiques ? Le dilemme risque fort de provoquer plus de migraines que leurs gueules de bois habituelles en période de compétition internationale.

Pourront-ils encore hurler dans les rues, rouler à tombeau ouvert, le drapeau tricolore flottant au vent après un éventuel succès de leurs favoris alors que ces derniers appellent à repousser leurs autres favoris ? À qui pareille alternative échoit, la perplexité et la circonspection deviennent les compagnes du quotidien pour peu que ces individus connaissent le sens de ces deux mots.

Il est probable que les bras leur en tombent, ce qui évitera de pratiquer cet abject salut qui leur est si coutumier pour scander leur joie belliqueuse. Quel parti adopter ? Car à tout prendre, quelle est leur véritable passion ? Le ballon rond ou bien la préférence nationale ? Sur le terrain de leurs opérations, ladite préférence est battue en brèche et les contraint à supporter, mon dieu quelle horreur, des gens de toutes les couleurs...

Que leurs icônes et modèles se permettent de dénoncer leur adhésion idéologique, invitant la jeunesse à tourner le dos à cette dérive néfaste pour la nation devrait provoquer en eux un véritable séisme s'ils étaient en mesure d'agir en cohérence. Je crains qu'ils ne mettent au contraire un mouchoir au-dessus de cette contradiction de fond, pour continuer à soutenir les uns et les autres sans percevoir qu'ils font là un grand écart.

Quant à ses nouveaux adeptes de la démocratie, ces nouveaux riches du ballon, ces influenceurs en herbe juchés sur des crampons plaqués or, ils n'avaient jamais jusque-là émis des doutes et des réserves sur leur univers sportif aux mains de milliardaires ou d'états qui font tous le choix de la droite extrême pour continuer à engranger leurs dividendes.

S'ils découvrent au moment de cette échéance électorale le danger potentiel d'une pensée totalitaire, ils n'ont fait que contribuer de par leur activité à conditionner le peuple afin qu'il tombe dans les bras de cette peste brune. Pourquoi ne se sont-ils jamais dressés auparavant contre les innombrables dérapages dans les tribunes qui participent implicitement à la progression du parti qu'ils repoussent maintenant ?

Bien sûr, ces malheureuses idoles illusoires ont été broyées par un système qui a su adroitement et inexorablement réinstaurer la devise et le principe de conditionnement des masses : « Du pain et des Jeux ! ». L'éveil de leur conscience est louable, courageuse et leur prise de position dans un environnement où l'habituelle réserve : « Ne mélangeons pas le Sport et la Politique » n'a d'autre but que de passer sous le boisseau la responsabilité de ce sport spectacle dans la propagation de telles idées.

Que va-t-il se passer désormais ? La masse beuglante va-t-elle cesser de les encourager ? J'ai un doute. Les hordes sauvages se détourneront-elles de leurs favoris politiques ? Là, je n'en ai aucun espoir.

 

Entretien avec Sarah Durocher : « Le RN assigne les femmes blanches à la maison et exclut les autres »

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Sarah Durocher Présidente du Planning familial

Sarah Durocher Présidente du Planning familial

 

Les féministes sont en alerte. Une large coalition d’associations appelait à des rassemblements ce dimanche 23 juin contre le Rassemblement national (RN), qui constitue une menace grave pour les droits des femmes et des minorités sexuelles et minorités de genre.

 

Malgré la normalisation apparente de ce parti et sa progression dans l’électorat féminin, les fondamentaux natalistes et racistes de son programme restent les mêmes. Très inquiète d’une possible arrivée du RN au pouvoir, la présidente du Planning familial Sarah Durocher revient sur la désinformation et l’instrumentalisation des discours féministes qui le caractérisent.

 

Quelle est votre réaction à la situation actuelle ?

 

Sarah Durocher : Je voudrais commencer par rappeler une chose : le résultat des élections européennes, qui est rapidement passé à la trappe, est catastrophique. Avec plus de 30 % de voix pour le RN, nous avons une grande inquiétude pour l’avenir des débats et des votes au Parlement européen, en particulier sur les enjeux féministes.

 

Ces inquiétudes ont redoublé à l’annonce de la dissolution. Nous nous sommes rapidement rassemblées, avec d’autres associations féministes – dont la Fondation des femmes, le Collectif national pour les droits des femmes, etc. – et avons lancé le mot d’ordre « Alertes féministes », inspiré de celui d’Alerta feminista utilisé en Amérique du Sud. 175 associations sont aujourd’hui signataires de ce texte, et des manifestations sont prévues ce dimanche partout en France.

 

Pensez-vous que le Planning familial soit menacé en cas de victoire du RN

 

S. D. : Le Planning familial est très inquiet pour la poursuite de ses activités. Le weekend dernier, notre conseil d’administration a décidé d’appeler à voter pour le Nouveau Front populaire dans les urnes. C’est rare, même si nous avions déjà appelé à voter contre l’extrême droite ou pour un candidat par le passé. Cette fois, c’est pour un projet. C’est une question de survie.

 

Depuis cette annonce, nous recevons énormément de menaces et le cyberharcèlement que nous subissons sur les réseaux sociaux a augmenté en intensité. Les partisans du RN appellent à bloquer nos financements.

 

Ils font beaucoup de désinformation en prétendant, par exemple, que nous n’avons pas le droit d’appeler à voter pour un projet lorsqu’on est une association financée par des subventions publiques, ce qui est faux. Ou que nous prônons l’excision, ce qui évidemment est tout aussi faux. Nous sommes traitées de « wokistes » et d’antisémites.

 

Le 17 juin dernier, le président du RN Jordan Bardella a publié sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle il s’adresse aux « femmes de France » en leur demandant de voter pour lui. Comment avez-vous réagi ?

 

S. D. : On aurait préféré que ce soit le Nouveau Front populaire qui fasse une vidéo ! Jordan Bardella est intelligent politiquement. Il a compris que l’électorat féminin existe et doit être conquis. En 2019, 15 % des votantes avaient opté pour le RN. Aujourd’hui, c’est 32 %. On peut faire l’hypothèse que cette progression chez les femmes se nourrit de la détérioration des services publics, comme l’école notamment.

 

Face à cela, nous attendons une réaction de la gauche : quand va-t-elle s’adresser aux femmes et affirmer haut et fort qu’elle défend leurs droits ? En Pologne, c’est le vote des femmes qui a permis d’en finir avec le PiS [parti nationaliste et ultraconservateur, NDLR] aux dernières élections législatives, en octobre : elles ont voté à 57 % pour le camp démocrate, et à 36 % pour le PiS.

 

Dans cette vidéo, Jordan Bardella cite plusieurs mesures favorables aux droits des femmes, comme « des avancées sur l’endométriose », « la prise en charge des traitements liés au cancer du sein », etc. Que répondez-vous ?

 

S. D. : Là encore, Jordan Bardella se montre très habile. Il reprend le vocabulaire des féministes, en parlant du « droit à disposer de son corps ». Il instrumentalise nos luttes, et s’en sert à des fins xénophobes, pour désigner comme boucs émissaires les étrangers et les immigrés.

 

A l’entendre, ce serait presque grâce à Marine Le Pen que le droit à l’avortement a été constitutionnalisé ! Or le parti n’a pas donné de consigne de vote sur ce texte. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas un sujet pour lui. La moitié des députés RN se sont abstenus ou ont voté contre.

 

Par ailleurs, les prises de position qu’il affiche dans cette vidéo sont très consensuelles : personne n’est pour une mauvaise prise en charge de l’endométriose ou des traitements liés au cancer du sein. Il ne dit en revanche rien des sujets que portent les associations féministes, tels que les moyens alloués aux droits sexuels et reproductifs ou l’accès à l’avortement. L’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ou les droits des personnes LGBTQIA+ sont tout aussi absents de son discours.

 

De plus, le RN aborde les droits des femmes selon un axe bien particulier : il n’est question que des « femmes de France ». Les violences sexistes et sexuelles ne sont traitées que par le prisme sécuritaire, avec beaucoup de désinformation autour de l’idée que les femmes seraient violées par des personnes migrantes. Or, on le sait, les violences, notamment les viols et tentatives de viols, sont d’abord le fait de l’entourage proche.

 

Le parti ne risque pas de sitôt de changer de logiciel pour une raison simple : il veut des bébés blancs. Il promeut donc en réalité une politique familialiste et nataliste, qui assigne les femmes blanches à la maison et à la reproduction, et exclut autant que possible les autres des aides sociales.

 

Lorsqu’il est au pouvoir, que vote le RN ?

 

S. D. : C’est effectivement une autre façon de prendre la mesure de la désinformation orchestrée par ce parti, sur les droits des femmes comme sur le reste. Que ce soit au Parlement français ou au Parlement européen, le RN a constamment démontré qu’il ne défendait pas les droits des femmes, comme l’a rappelé la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles dans un fil sur X.

 

Sur l’avortement, outre les abstentions et votes contre la constitutionnalisation de l’IVG en France, les eurodéputés RN se sont opposés à une résolution visant à condamner l’interdiction quasi-totale de l’avortement en Pologne en 2020.

 

A l’Assemblée nationale, les députés RN présents (2 sur 8) ont aussi voté contre l’allongement du délai de l’avortement de 12 à 14 semaines d’aménorrhée en février 2022, et contre l’extension de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes seules en 2021.

 

La même année, au Parlement européen, les eurodéputés RN ont voté contre un salaire minimum européen fondé sur un « niveau de vie décent » pour chaque Etat membre, une mesure qui aurait concerné en majorité des femmes, surreprésentées dans les bas et très bas salaires. En 2023, ils se sont abstenus sur la directive européenne sur la transparence et l’égalité des rémunérations entre femmes et hommes pour un travail de valeur égale.

 

En 2018, 5 des 6 députés RN se sont abstenus lors du vote de la loi Schiappa sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. En 2019, les eurodéputés RN ont voté contre l’adoption par le Parlement européen de la Convention d’Istanbul sur la prévention de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. En 2021, ils ont voté contre une résolution prévoyant des formations contre le harcèlement sexuel dans les institutions de l’Union européenne. Et l’on pourrait continuer ainsi longtemps.

 

Il se peut que le RN, au soir du 7 juillet, ne dispose que d’une majorité relative, selon les projections actuelles. Cela changerait-il quelque chose ?

 

S. D. : Même avec une majorité relative, il y a de quoi s’inquiéter sérieusement. Avec 200 parlementaires RN plus les députés LR, eux aussi opposés aux droits des femmes et des minorités de genre, la situation serait extrêmement compliquée. La nouvelle Assemblée pourrait par exemple reprendre la proposition de loi adoptée fin mai sur les mineurs trans qui, dans l’ancienne Assemblée, n’avait pratiquement aucune chance de passer.

 

Ce n’est pas parce que nous sommes le pays des Lumières que l’extrême droite française serait particulièrement éclairée : dans tous les pays où elle est arrivée au pouvoir, l’extrême droite s’est attaquée aux droits sexuels et reproductifs, à la contraception, la contraception d’urgence et l’avortement, en menant une politique nataliste. Il n’y a aucune raison de penser que le RN ferait exception.

 

En Pologne, la restriction du droit à l’avortement s’est faite en quatre mois. Les Polonaises ne pensaient pas que cela pourrait se produire. Les financements des associations féministes ont été coupés et les militantes, criminalisées, ont été poursuivies en justice.

 

Si la constitutionnalisation de l’IVG nous protège contre une telle remise en cause du droit à l’avortement, il sera en revanche facile de restreindre son accès en coupant les budgets de la santé, et de restreindre l’information sur le sujet, en coupant les financements du Planning familial.

 

Et puis le RN au pouvoir, cela signifie le RN dans la rue. On l’a vu juste après les élections européennes : un homme gay a été passé à tabac par quatre militants RN dont un a déclaré, en garde à vue : « Vivement dans trois semaines, on pourra casser du pédé autant qu’on veut »

 

C’est, de façon primordiale, la sécurité physique et tout simplement la vie de millions de personnes qui sont en jeu.

 
Propos recueillis par Céline Mouzon  Entretien publié dans Alternatives Economiques

Publié dans Extrême droite, Femmes

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Le dernier coup de dés d’Emmanuel Macron

En règle générale, les soirées électorales sont d’un ennui mortel. On peut y voir les politiques se succéder sur les plateaux télé pour expliquer combien leur stratégie était juste et combien leurs résultats sont satisfaisants. C’est drôle, mais les soirs d’élection, tout le monde a un motif pour être satisfait – et s’il ne l’a pas, il le trouve. Et à côté d’eux, des experts ès sondages et autres professeurs à Sciences-Po distribuent des bons et mauvais points dans la plus grande auto-satisfaction.

Mais il y a des exceptions. La soirée électorale de dimanche dernier fut remplie, pour ce qui me concerne, d’une profonde schadenfreude. Quel plaisir de voir tous ces européistes, professionnels du bavardage télévisuel, tous ces soi-disant politologues, « experts » on ne sait pas très bien de quoi, ou tout simplement politicards à la retraite – mention spéciale pour Bernard Guetta, que Dieu le garde mais le plus loin possible – sortis de leur zone de confort par le résultat. Ah, que des vertueuses indignations! Ah, quel mépris pour ce peuple qui a commis le crime irréparable de ne pas voter comme on lui avait dit. Et pourtant le résultat n’aurait dû surprendre personne, puisqu’il est conforme à toutes les prévisions qui s’enchaînent depuis six mois. Mais, comme le disait le philosophe, savoir c’est une chose, et croire, c’en est une autre. Tous ces experts me faisaient l’effet de cet astrologue qui, s’étant fait licencier d’une publication, prétendait devant les prud’hommes n’avoir pas reçu de préavis. Quant on fait profession de lire l’avenir, il est peu sérieux de se montrer sa surprise devant les évènements.

Même chose chez les citoyens « de gauche ». La palme revient à ceux qui expliquent « depuis hier soir je ne reconnais plus mon pays ». Soyons sérieux : le pays n’a pas changé « hier soir ». Cela fait au moins six mois que toutes les enquêtes indiquent qu’un tiers des votants avait l’intention de mettre un bulletin Bardella dans l’urne, et le résultat du RN n’est que le prolongement d’une dynamique à l’œuvre depuis plus de quinze ans. Que croyaient ces gens ? Qu’à la dernière minute un chevalier blanc allait arriver et convaincre tous ces beaufs fascistes de la France périphérique de voter pour Glucskmann ?

Ce qui est arrivé est dans l’ordre des choses. Cela fait bientôt deux décennies que le Rassemblement National est dans une dynamique montante. A chaque élection, et quelle qu’en soit la nature, il améliore ses scores. Les études montrent que sa stratégie de long terme lui permet de pénétrer des électorats qui, jusqu’à maintenant, lui étaient structurellement hostiles. Le « social-souverainisme » lui a permis d’attirer à lui l’électorat populaire, jusqu’à devenir le premier parti ouvrier de France, avec entre 45 et 50% du vote de cette catégorie, presque autant que le PCF dans sa meilleure période. L’épuration des éléments les plus radicaux et un comportement impeccable là où il a conquis le pouvoir – dans les municipalités et sur les bancs de l’Assemblée – rassure les plus de 60 ans, chez qui le Rassemblement à doublé son score en dix ans. Lorsqu’on regarde la carte électorale, on s’aperçoit que seul deux électorats lui échappent encore : celui des classes intermédiaires des métropoles, et l’électorat « ethnique » des banlieues. Le reste de la carte lui est acquise, avec des scores qui peuvent aller jusqu’à 60% dans les villes moyennes de tradition ouvrière.

Et puis, grâce à notre président-acteur, nous avons eu notre moment dramatique. On ne peut nier que Macron a le sens du drame : en pleine débâcle de sa liste, il a presque fait oublier cet échec en annonçant la dissolution de l’Assemblée. Une décision que certains jugent audacieuse – et c’est un euphémisme – alors que les bienpensants l’accusent même de « jouer avec le feu » en prenant le risque de porter le RN au pouvoir, un peu comme si l’on ne devait demander son avis au peuple que lorsqu’on est sûr qu’il votera comme il faut. Ce qui, vous me l’accorderez, révèle une curieuse idée de la démocratie. Mais lorsqu’on regarde les choses de plus près, on s’aperçoit que le choix présidentiel est, de son point de vue, un excellent choix tactique. Macron est péniblement conscient de la paralysie croissante des institutions avec une assemblée sans majorité claire et aux votes erratiques (1). Les tentatives de négocier un contrat de majorité avec Les Républicains ayant échoué – en grande partie parce que Macron n’a plus grande chose à leur donner, et parce qu’après le guet-apens de la loi immigration Les Républicains ne sont pas prêts à se vendre bon marché – la dissolution était inévitable dans les mois qui viennent, et risquait d’arriver dans des conditions bien plus difficiles, par exemple, à l’automne après un vote de censure sur le budget.

Les 31% obtenus dimanche par le Rassemblement National permettent à Macron d’agiter l’épouvantail sur le mode « c’est moi ou le chaos ». Avec un Rassemblement National qui semble proche du pouvoir, Macron peut espérer susciter le « réflexe républicain » à son profit, avec des appels à « l’union nationale » pour « battre l’extrême droite », d’autant plus que l’opposition de gauche est très divisée et ne constitue pas vraiment une alternative de gouvernement. Autrement dit, Macron espère faire aux législatives ce qu’il a fait avec la présidentielle : faire de l’élection une confrontation entre deux pôles, les gentils « progressistes » rassemblés autour de lui, et les affreux « nationalistes » menés par le Rassemblement National. Bien entendu, c’est risqué, parce que le scrutin majoritaire peut amplifier les mouvements, et au soir du 7 juillet donner une majorité au Rassemblement National ou, plus probablement, une Assemblée encore plus ingouvernable que celle que nous avons aujourd’hui avec 150 députés RN et un bloc macroniste réduit. Mais quelles sont les alternatives ? Traîner la patte en prenant des coups et quitter honteusement le pouvoir en 2027 ? Ce n’est pas dans le caractère de Macron, qui reste convaincu de la toute-puissance de son Verbe.

La décision de Macron ouvre une crise dans la droite dite républicaine entre les partisans de l’alliance au centre, et les partisans d’une alliance à l’extrême droite. Les premiers pensent que dans l’état de faiblesse actuelle de la majorité présidentielle, ils pourraient obtenir à peu près tout ce qu’ils pourraient demander – le poste de premier ministre et le soutien macroniste pour leur candidat en 2027, par exemple. Les seconds craignent d’être électoralement laminés par la poussée du RN, et pensent qu’ils ont plus à gagner en cherchant des alliances à droite, idée d’autant moins saugrenue que le RN se cherche des alliés dans la perspective d’une victoire qui amènerait son poulain au pouvoir. Déjà des noms d’oiseau ont été échangés entre sarkozystes partisans de la première solution, et ciottistes partisans de la seconde…

Mais cette situation révèle surtout l’état de déliquescence intellectuelle de la gauche. Nous avons une gauche dont les militants et les dirigeants sont complètement déconnectés du réel. Je vous propose un exemple presque caricatural : hier soir, à la République, manifestation de la gauche « contre les fascistes ». Et que crie la foule en liesse ? « Tout le monde déteste Bardella ». Mais si « tout le monde » déteste la tête de liste du Rassemblement National, comment expliquer qu’un votant sur trois ait mis un bulletin à son nom ? Ces jeunes manifestants – et les dirigeants qui, eux aussi étaient sur la place – ne se rendent semble-t-il pas compte de la contradiction qu’il y a dans une démocratie à appeler à se mobiliser contre quelqu’un que « tout le monde déteste ». Si « tout le monde le déteste », alors il n’a aucune chance de gagner une élection, et donc d’accéder au pouvoir…

La gauche ne veut pas comprendre que s’il y a un problème, c’est précisément parce que tout le monde ne déteste pas Jordan Bardella, Marine Le Pen et le reste. Au contraire, les Français sont de plus en plus nombreux à leur accorder leur suffrage, voire à envisager leur arrivée au pouvoir. Alors, au lieu de nier les réalités, ces militants feraient bien de se demander pourquoi, alors que les raisons pour le détester leur paraissent si évidentes, « tout le monde » n’y adhère pas. On n’insistera jamais assez : en politique il faut partir de ce que les gens ont dans la tête, et construire à partir de cette réalité. Répéter aux gens qu’ils ne sont que des affreux fascistes, cela n’a jamais permis de changer le monde, au contraire. Pour convaincre, il faut d’abord établir une communication, ce qui suppose d’écouter l’autre. En politique, le but est d’emporter l’adhésion, et non d’avoir raison ou de gagner un débat.

Sur ce point, je dois dire que je remarque un changement radical dans l’attitude des militants. Dans le temps, ces derniers cherchaient le dialogue, aujourd’hui ils ne cherchent qu’à vous faire accepter leur tract. Et dès lors qu’ils comprennent que vous n’êtes pas de leur persuasion, ils coupent la discussion sur le mode « je ne vais pas perdre du temps à essayer de vous convaincre ». Ce manque de curiosité pour ce que pense l’autre est un sérieux handicap dans l’activité politique. Car un argument n’est pas « convaincant » que s’il s’adapte à l’état d’esprit de l’interlocuteur. Pour convaincre, il faut d’abord écouter, connaître son public.

Désolé d’ennuyer mes lecteurs habituels, qui doivent connaître tout cela par cœur, mais le secret de la pédagogie réside souvent dans la répétition. Alors, je vais me répéter. Le succès du RN tient à plusieurs facteurs, certains structurels, d’autres conjoncturels. Structurellement, le RN a bénéficié d’un changement économique et sociologique majeur, qui commence au début des années 1970, avec la prise du pouvoir par les classes intermédiaires associées à la bourgeoisie, qui crée un rapport de force massivement défavorable aux couches populaires. Le corollaire en est une démobilisation de ces dernières, qui se trouvent ainsi privées de représentation politique au fur et à mesure que communistes et socialistes se tournent vers les classes intermédiaires dans les années 1980 et 90. A la fin des années 1990, les couches populaires se retrouvent sans représentation politique. Cela laisse vacant un électorat important. Le coup de génie de la direction frontiste autour de Marine Le Pen est d’avoir perçu que ce champ était libre, et qu’on pouvait le conquérir pour peu qu’on adapte le langage et le projet aux demandes de ces populations. Adaptation d’autant plus facile que, pour des raisons démographiques, la base traditionnelle de l’extrême droite française était en train de disparaître. C’est alors que le FN abandonne le discours économique ultra-libéral, qui était celui de Le Pen père, pour lui substituer un discours étatiste qui sur beaucoup de points reprend des thèmes du PCF « ouvriériste » des années 1970, vous savez, celui d’avant la « mutation » Huesque qui en a fait un parti dominé par les classes intermédiaires. Dans la même logique, le discours anti-immigration du FN cesse d’être fondée sur une vision raciste, mais devient largement économique. Le fonctionnaire cesse d’être l’ennemi.

Le deuxième secret de la réussite du RN, c’est la patience et la continuité stratégique. Implanter un candidat, faire connaître un dirigeant, cela prend du temps, et on ne peut se permettre d’en changer tout le temps, pour un oui ou pour un non. Là où les égo-politiciens Macron ou Mélenchon changent d’étiquette en permanence (« en marche » devient « la république en marche » puis « renaissance » ; le « parti de gauche » donne naissance à la « France insoumise », et celle-ci à « l’Union populaire » puis à la « NUPES », et tout cela bien entendu avec changement de logo), le RN n’a changé de nom qu’une fois en un demi-siècle, et son logo est toujours le même. Alors que depuis vingt ans et malgré sa dynamique électorale le RN échoue régulièrement à prendre des positions institutionnelles – il ne contrôle qu’une poignée de municipalités, pas un seul conseil départemental ou régional – ce n’est pas pour autant qu’il change ses équipes ou ses candidats. A chaque élection, ils engrangent des gains en voix, et attendent patiemment que ces gains se traduisent par un basculement. De ce point de vue, les parcours de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon sont amusants à comparer : elle se présente pour la première fois à la députation en 2007 dans une circonscription difficile, et elle sera battue deux fois avant d’être élue en 2017. Mélenchon, lui, s’est présenté pour la première fois dans la circonscription où son élection était garantie, mais dans laquelle il n’avait aucune implantation personnelle, en chassant d’ailleurs le candidat local déjà investi par son parti, et ne se représente pas à l’élection suivante. Laquelle des deux méthodes garantit une implantation de long terme ? Dans lequel des deux cas les électeurs se sentent plus écoutés, plus respectés ?

Enfin, et c’est peut-être le plus important, le RN est un parti « démagogique » au sens étymologique du terme, c’est-à-dire, qui prétend « conduire le peuple ». Or, pour conduire le peuple, il faut l’écouter. Et le RN, quels que soient ses énormes défauts, est un parti à l’écoute. Vous me direz que cette écoute est intéressée, que c’est un simple moyen d’alimenter un discours démagogique. Admettons. Mais cette écoute n’est pas moins efficace en termes de stratégie. Quand on entend les dirigeants du RN, on a l’impression qu’ils connaissent beaucoup mieux leur base que leurs concurrents de gauche, qui ont tendance à expliquer au bon peuple ce qu’il devrait penser. Tiens, prenons un exemple amusant : en réponse aux résultats de dimanche dernier, François Ruffin et quelques-uns de ses copains (Sébastien Jumel (PCF), Marie-Charlotte Garin (Ecologistes), Sébastien Peytavie (G.s), Sophie Taillé-Polian (G.s), Nicolas Sansu (PCF), Damien Maudet (LFI), Karine Lebon (GDR), Leïla Chaibi (LFI), Emeline K/Bidi (GDR)) lancent l’idée d’un « Front Populaire » et créent un site internet à cet effet (2). Si vous avez le temps, regardez la page de présentation : on y voit un dessin stylisé représentant une foule portant des drapeaux, et parmi eux, on voit deux pancartes seulement : l’une porte le mot « UNION », l’autre « REVOLUTION FEMINISTE ». Maintenant, posons-nous la question : est-ce que les fondateurs de ce site pensent vraiment que la « révolution féministe » soit pour les Français la première des priorités programmatiques ? S’ils avaient pris la peine d’écouter, ils auraient peut-être perçu que si une telle revendication excite quelques militants – surtout des « militantes », d’ailleurs – l’immense majorité de nos concitoyens pensent – ils ont tort, certainement – que la sécurité, l’éducation, la santé, les services publics, le pouvoir d’achat et l’emploi sont des sujets bien plus importants.

Tout indique aujourd’hui que la gauche ira à cette élection « unie ». Ce sera, dans le meilleur des cas, une union de façade, qui tient plus au souci de sauver des sièges qu’à une quelconque dynamique programmatique. On nous annonce un « programme de rupture », car comme le dit Eric Coquerel, « Il n’y a qu’un programme de rupture qui peut empêcher le Rassemblement national de gagner cette élection ». L’ennui, c’est qu’il ne suffit pas de proposer une « rupture ». Encore faut-il que cette « rupture » corresponde aux soucis des électeurs, qui ne sont pas forcément ceux des aristocraties militantes. Elaborer un tel programme suppose une capacité à écouter les couches populaires que la gauche n’a pas. On peut donc parier que le « programme de rupture » sera celui des classes intermédiaires qui se regardent dans le miroir.

Mais ce n’est pas le seul problème. A supposer que la gauche veuille enlever ses œillères et écouter le peuple, il faudrait que le programme qui en sortirait soit crédible. La difficulté est que la gauche a déjà gouverné. Et lorsqu’elle a gouverné, elle a mal gouverné, ou du moins a gouverné en fonction des intérêts des classes intermédiaires et de la bourgeoisie. Quelle crédibilité a la gauche qui a fait Maastricht, qui a ouvert le marché de l’électricité à la concurrence, qui a amené Hollande au pouvoir – et qui a mis le pied à l’étrier à Macron – pour parler aujourd’hui de « rupture » ? Qui s’imagine un instant que le Parti socialiste aujourd’hui est prêt à rompre avec les turpitudes du passé, qu’il est disposé à s’attaquer véritablement à « la finance » ?

Le problème est que la gauche n’a rien oublié, et rien appris. Pour rendre la « rupture » crédible, il faudrait un retour critique sur les expériences de la gauche au pouvoir, qui montreraient que la gauche a compris pourquoi cela n’a pas marché, et n’est pas prête à refaire la même chose. Or, c’est le contraire qu’on observe. Chez les socialistes, on cherche à chaque opportunité à vanter le bilan de la gauche au pouvoir, de l’expérience mitterrandienne – pourtant achevée dans la catastrophe électorale de 1993 – à celle de la « gauche plurielle » – dont le succès est si éclatant que son candidat est éliminé dès le premier tour – ou celle de la présidence Hollande – un triomphe tel que le président doit renoncer à se représenter. Pour les couches populaires, qui ont souffert de ces expériences, qui ont pu regarder impuissantes la privatisation des services publics, la dégradation de leur cadre de vie, la désindustrialisation, le chômage de masse, entendre célébrer l’œuvre de la gauche au motif qu’on a aboli la peine de mort, cela sonne comme une moquerie.

Sans ce retour critique, comment imaginer un instant que l’électorat populaire, que la gauche a non seulement systématiquement trahi, mais à qui elle fait en permanence la leçon, ferait confiance au « programme de rupture » porté par Coquerel et compagnie ? Comment imaginer que l’électorat puisse croire les belles promesses d’une gauche qui prétend obtenir l’absolution sans confession ?

On ne fera pas en trois semaines le travail qu’on n’a pas fait en trente ans. Si la gauche veut se reconstruire et être autre chose qu’une droite avec un supplément de cœur, elle doit comprendre que le problème n’est pas tant d’apporter des réponses toutes faites, fussent-elles « de rupture », mais de se poser les bonnes questions et d’y répondre avec franchise. Si au lieu de plébisciter la société « créolisée » et les valeurs « woke » le bas peuple préfère le conservatisme social du RN, s’il préfère qu’on lui parle pouvoir d’achat et défense de sa culture plutôt que de « révolution féministe » et « sortie du nucléaire », il doit bien y avoir une raison. Et tant qu’on n’aura pas compris cette raison, aucune stratégie rationnelle n’est possible. Elle doit aussi comprendre que la reconquête des couches populaires, sans laquelle l’étiquette « gauche » n’a pas de sens, ne peut être qu’une stratégie de long terme, ce qui suppose de renoncer à la logique des « coups médiatiques » pour faire le travail ingrat de terrain, avec des militants qui s’investissent sur le temps long. C’est avec le porte-à-porte et la discussion des dimanches sur les marchés qu’on gagne la confiance, pas avec des « manifestivals » et autres opérations qui laissent à penser qu’on ne s’intéresse au peuple qu’en période électorale.

Quant au RN, il est lui aussi à la croisée des chemins. A-t-il intérêt à gagner ces élections ? Cela se discute. D’un côté, cela permettrait à ce parti de former des cadres et des réseaux dans l’Etat, et donc de devenir un véritable parti de gouvernement. Mais d’un autre côté, il aurait beaucoup de mal à satisfaire les expectatives de son électorat, compte tenu du pouvoir d’obstruction du président de la République, de l’hostilité des milieux économiques et des pouvoirs de la Commission européenne. Accepter de diriger un gouvernement aujourd’hui, c’est perdre à coup sûr l’élection présidentielle de 2027. Si le RN devait avoir la majorité à l’Assemblée, il devrait dans une logique gaullienne exiger la démission du président de la République, clairement désavoué dans les urnes. Ce serait une grave erreur que de chercher à gouverner en cohabitation : les Français ont beau adorer la cohabitation, celle-ci a toujours été la tombe politique de ceux qui s’y sont risqués.

Descartes

(1) Plusieurs fois, le gouvernement s’est fait piéger par des votes de circonstance introduisant dans les textes soumis au Parlement des amendements absurdes, au point qu’il n’ose plus proposer des lois générales, et ne met à l’ordre du jour que des textes spécifiques, pour lesquels il est plus facile de combattre les amendements qui s’écarteraient de l’esprit du texte en tant que « cavaliers législatifs ».

(2)  https://www.frontpopulaire-2024.fr

 

Je comprends Mathieu Kassovitz, ce qui est infligé par cette campagne électorale est d’une violence incroyable…

À quelques semaines du premier tour des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, j’entends parfaitement non seulement avec ma raison, mais avec toute ma sensibilité, écorchée vive, ce que dit Mathieu Kassovitz. Surtout si l’on considère là où il parle, à savoir dans les latrines de la propagande ordinaire, celle des “élites politico-médiatiques ordinaires”, là où s’ose la narration partagée par toutes les forces politiques qui se présentent à mon suffrage, à savoir LCI. Invité dans l’émission de Darius Rochebin sur LCI, ce samedi, l’acteur et réalisateur Mathieu Kassovitz a dit avoir « toujours été un peu dans l’attente de l’arrivée du Front national au pouvoir, pour voir quelle est la vraie réaction des Français ». Oui, il dit vrai, je perçois cette attente, celle du héros du château de Kafka devant cette porte qui n’était que pour lui puisque jamais il n’y a eu une tentative politique pour l’ouvrir. A la seule différence près que je ne me méfie pas des Français, même de la plupart de ceux qui vont voter pour le Rassemblement National, mais de l’offre politique qui leur est faite et de l’incroyable violence que l’on subit dans cette étrange campagne qui exprime le pire…

Pour Mathieu Kassovitz, “peut-être que le FN a sa place en France”. Mais le plus intéressant est la manière dont comme dans le festin de Don Juan, il convoque le peuple français pour un ultime salut avec le “commandeur” en vue de sa damnation.

Je comprends qu’il soit là au bout d’une attente, celle de l’enfant gibier puisque moi je suis née en 1938 et j’ai vécu la traque, la peur dans le ventre, le cœur de mes parents sans savoir que cela pouvait être autrement. Toute ma vie j’ai fait le même cauchemar : les nazis venaient m’amener dans un camp de concentration et soit je prenais la place au comble de l’angoisse mais sans me rebeller dans une longue file d’attente, soit j’essayais de fuir mais mes jambes ne me portaient plus… effectivement toute ma vie j’ai vécu dans cette attente… Peut-être que le fait d’être juif, comme l’explique Mel Brooks dans un texte que je publie par ailleurs, c’est simplement être cousu d’enfance et s’être bâti dans cette étrange prescience de savoir qu’il faut faire à temps un pas de côté, apprendre la même fuite dans un monde en éternel bouleversement mais qui vous convoque à des rendez-vous, il faut affronter mais aussi biaiser… Alors que mon engagement de communiste m’invitait à faire face dans un collectif aguerri… que reste-t-il quand celui-ci a disparu ?

« Est-ce qu’on est toujours le pays des droits de l’Homme ou est-ce qu’on est autre chose ? Peut-être qu’on est devenu autre chose et il faut accepter cela aussi », a-t-il questionné. « Peut-être que le FN a sa place en France, peut être qu’ils vont faire un meilleur boulot, peut être que c’est quelque chose à essayer », a-t-il encore appuyé.

Comment en arrive-t-on à ainsi baisser les bras ? Je veux d’abord dire la violence que je subis individuellement pas dans la rue, là c’est autre chose, des moments rarissimes et toujours de ceux qui prétendent faire campagne et qui sont à de rares exceptions près complètement autistes, n’écoutent pas mais plaquent sur vous leurs fantasmes. Ce qui est la violence c’est la destruction du collectif, les communistes et avec eux la Nation qui se transforme en choix pétainistes, une sorte de réalisme imposé…

Quelques exemples de ce que l’on fuit tant l’explication s’avère inutile : ce type qui avec d’autres, comme José Fort, sont semble-t-il proches de mes combats mais m’insultent depuis des années gratuitement pour des raisons diverses parce que ça leur permet de sortir leur haine, haine de quoi, de qui, je ne suis que le porteur momentané. Pourquoi ces gens-là ont-ils fait de moi cette caricature et qu’est-ce qui les autorise à me traiter ainsi ? Pourquoi est-ce que je le relie cette attitude à l’antisémitisme, à cause de l’économie de la preuve, de la part du conformisme lâche… Hier un individu dont j’ignore tout du nom de Franck Delorieux, sauf qu’un jour j’ai détesté ses photos prises à Hammamet. J’ignorais que j’avais à faire face à l’auteur qui en n’écoutant pas mes arguments a préféré en déduire que j’étais homophobe. Alors que j’aurais également détesté ces clichés représentant un adolescent alangui dont le drapé révèle la raie des fesses s’il avait été de sexe féminin. Depuis j’ai vu une autre exposition de lui sur les “vanités” qui m’a paru plus intéressante. Mais sans vraiment m”y attacher plus que ça… Le fait est que donc ce personnage depuis des années s’obstine à me haïr et tente de le faire sur des bases qui me sont totalement étrangères sans jamais avoir la curiosité de dépasser cette haine commode, comme dans l’antisémitisme, le racisme et toutes les formes de stigmatisation qui transforment un individu en espèce. Il y a cette rencontre initiale mais il navigue dans un microcosme favorable celui de la région parisienne, de la ville de Paris et de ses environs qui est un microclimat n’ayant pas grand chose à voir avec la réalité du territoire français, il suffit de voir les résultats électoraux qui n’ont pas le moindre rapport avec le reste du pays. Un monde dont effectivement j’apprécie rarement les “oeuvres”, les courtisaneries, mais ce constat n’a rien à voir avec ce à quoi je suis attachée qui est le contraire d’un moralisme bavard et réactionnaire simplement une réflexion sur un besoin de se renouveler…

Mathieu Kassovitz convoque le peuple français mais est-ce qu’il ne limite pas à ce petit monde et son antithèse supposée les ghettos des grandes cités de la région parisienne ? Il exprime à quel point il n’a plus la force de le défendre. C’est aussi le monde de la culture tel que je le vois partout en France et à Marseille. Pour en revenir à Franck Delorieux, il y avait une pétition de gens de la culture contre le RN. J’ai repris les propos d’Ariane Mouchkine pour inviter ce monde de la culture à réfléchir pourquoi il y avait une telle rupture entre eux et le peuple, pourquoi leur pétition ne présentait pas plus que le discours politique la moindre influence au contraire. Loin de moi d’en faire les responsables, si responsabilité il y a elle est dans la rupture acceptée… Ce que leur dit Mathieu Kassovitz à sa manière… Le dit Delorieux a voulu ne pas comprendre et il m’a insultée ignominieusement en me traitant de vieille aigrie et avec des mots infâmes qui disent ce qu’il ressent lui mais qui n’a rien à voir avec ce je suis, ma vitalité, mon désir de vivre, un certain épicurisme et le refus depuis toujours de toutes les stigmatisations et oppressions … tout sauf ce qu’il voulait que je sois pour ne pas m’entendre… c’était touchant et puéril… j’ai appris depuis longtemps à l’ignorer mais pourquoi s’obstinent-ils alors que par ailleurs ils ont des éclairs de conscience ?

Comment dire à ces gens-là que non seulement il n’y a rien de vrai dans leurs indignations, sinon de la prudence extrême alors même qu’ils tentent d’émerger de tant d’années de courtisanrie et qu’on les vise déjà? Que nous avons eu une des pires périodes de médiocrité parce que nous avons été dans le design, ce qui se commercialise et pas dans la création, le conformisme faute de savoir voir que c’est de la rue, du peuple que surgit l’innovation, retrouver la veine du Caravage, de Michel Ange, il y a des fremissements de cette ordre là… Mais nous sommes loin de ça… Est-ce vrament un hasard? N’y a-t-ilaucun lien avec les démissions politiques, pas des traductions, pas des clientèles, autre chose…

Je crois que ce n’est pas un hasard si Mathieu Kassovitz ou Ariane Mouchkine et bien d’autres qui réalisent la situation sont d’origine juive et ont tenté à leur manière de continuer à créer des liens avec le peuple tel qu’ils le voyaient ou l’imaginaient. Alors qu’une partie des juifs a choisi l’extrême-droite, le nationalisme chauvin; un “choix” qui pousse l’absurdité jusqu’à considérer le rassemblement national comme exonéré de ses démons puisqu’il limite son racisme et son antisémitisme aux musulmans y compris ceux qui sont eux mêmes des sémites. Le cas le plus extrême étant celui de la famille Klarsfeld passée de la traque des nazis à l’adhésion à un gouvernement fasciste celui de Netanayoun, ce qui les conduit de fait de la traque de Barbie au soutien de ceux qu’en Bolivie il a laissés pour parfaire son œuvre et qui reçoit l’aide d’Israël comme ce pays soutient tous les fascismes des blocus envers Cuba, le Venezuela en ignorant que ce sont des juifs communistes qui ont créé des Maduro ou la nouvelle présidente du Mexique.

Ceux des juifs qui comme moi portent en eux cette alliance historique entre le communisme et les juifs n’en peuvent plus de voir ainsi trafiquée leur histoire.. C’est une souffrance indicible et que dire quand dans le camp anti-impérialiste désormais ces mêmes juifs restés communistes sont confrontés à un véritable antisémitisme ? On parle beaucoup de la FI mais c”est beaucoup plus répandu : on ne peut plus, du moins moi, militer avec des gens qui sont ouvertement antisémites et vous envoient toute la journée des caricatures antisémites dans lesquelles c’est le juif qui est coupable de ce qui se passe à Gaza. Il y a des gens qui ont abandonné toute référence antiimpérialiste en particulier quand il s’agit de l’Ukraine ou de la nécessité d’avoir un parti communiste et qui se refont une virginité à partir de la Palestine sur des bases immondes… Cela participe d’un abandon théorique autant que d’une vision géopolitique, ils sont pour la guerre partout…

On apprend à les fuir mais c’est un nouvel affaiblissement…

Là dessus il y a la campagne face à une montée du Rassemblement national, totalement prévisible et organisée par le pouvoir, et que l’on feint de découvrir pour nous imposer une nouvelle manière visant à rabattre sur le pouvoir haï et impuissant. La ficelle est énorme, un câble, mais leur meilleur atout c’est l’incapacité à toute écoute de ceux vers qui on a envie d’aller. Dans mon quartier marseillais j’ai essayé de parler avec les équipes qui font campagne pour le nouveau front populaire… C’est impossible du moins en ce qui concerne le maire du secteur, un écologiste, ou en ce qui concerne les candidats : ils sont dans leur bulle.

Dans ce quartier, caractérisé par trois populations n’ayant aucun contact les unes avec les autres, ces élus flottent, ils sont hors sol. Aucun contact avec une population vieillissante d’ouvriers retraités qui jadis votaient soit socialiste soit communiste et que je connais bien parce que c’est ma famille maternelle… Certains sont restés communistes et socialistes comme “avant” mais ils sont rares ; beaucoup disent leur mépris, leur colère et ne cachent pas voter pour le RN. Il y a une population “immigrée” qui est elle-même hétéroclite, des familles aisées qui côtoient des gens prolétarisés qui assument les petits boulots urbains et des gens très rares qui vivent de commerce illicite mais il n’est question que d’eux. Il y a beaucoup d’étudiants vivant en colocation qui sont charmants et oblatifs mais sont très éloignés de la politique avec parfois de simples réflexes anti-racistes ou au contraire adhérant totalement aux thèses du RN. Ils se mêlent à toute une population bobo pas riche qui est la seule que les élus municipaux semblent connaitre.

Les “élus” ; qu’il s’agisse du maire du secteur qui joue de sa séduction pour ne pas répondre à vos questions ou des candidats de la liste Front populaire qui font de même vous vous heurtez à un mur, un mépris sous-jacent dont ils ignorent même l’éprouver. Pour tout arranger je suis dans une de ses circonscriptions où il y a deux candidats FI. Déjà devoir voter pour l’un est difficile mais en avoir deux, qui se font la peau, brouille les cartes un peu plus. Et quand celui pour lequel vous vous résignez à voter parce qu’il a le label officiel ne répond pas à vos questions et vous prend pour une imbécile c’est abominable, pas seulement pour vous et ceux qui vous font confiance pour aller voter, mais pour tous ceux que l’on rebute en feignant de s’intéresser à eux, ceux dont on nie l’impitoyable lucidité.

Parce que là encore cette campagne est un viol de tout ce qui me parait essentiel à savoir le choix de la guerre, de l’OTAN et des USA par la liste qui se prétend antifasciste et qui pour moi fait le choix de l’origine même du fascisme avec l’atlantisme et l’OTAN. Un choix qui de surcroit rend impossible l’application de tout programme qui comme celui-là a la bonne idée de reprendre la plateforme des syndicats. Personne n’est en état d’entendre cette revendication et insister ; tenter un quelconque dialogue est visiblement hors sujet.

Là encore je retrouve la sensibilité de Mathieu Kassovitz même si je ne sais pas si nous parlons de la même chose quand il parle d’un basculement…

« On va basculer »

Mathieu Kassovitz est notamment connu pour être le réalisateur du film La haine, sorti en 1995 et primé César du meilleur film. L’œuvre raconte le quotidien de trois jeunes de banlieue, après le passage à tabac d’un habitant de la cité par un policier, suivi d’une nuit d’émeute. Questionné sur le fait de savoir s’il irait manifester en cas de victoire du Rassemblement national aux élections législatives, le réalisateur a répondu : « Je serai avec vous de tout cœur, mais j’en ai marre ». « Que ce soit Jordan Bardella, Le Pen ou un autre, je pense qu’à un moment, on va basculer », a prédit le fils de Peter Kassovitz, réalisateur juif d’origine Hongroise.

J’interprète ces paroles comme tout un chacun : j’imagine qu’il sait comme moi ce que tout ces politiciens acteurs de leur propre théâtre feignent d’ignorer à savoir que nous sommes dans un basculement historique dans lequel l’histoire occultée remonte pour dire que ce à quoi nous sommes confrontés est entièrement nouveau et qu’il s’agirait de s’en apercevoir.

Selon un sondage Ipsos pour Le Parisien et Radio France, le Rassemblement national allié au Républicains d’Éric Ciotti récolte plus de 35 % des voix au premier tour. et je n’ai plus aucune arme pour m’opposer à cela : je suis de tout cœur avec vous mais j’en ai marre de me heurter depuis trente ans à ce monopole de l’antifascisme sur des bases qui ne sont pas les miennes mais je le crains encore moins celles du peuple que vous prétendez représenter. Je suis convaincue que l’immense majorité de ce peuple vous contemple avec stupéfaction et s’apprête à voter pour le RN, le NFP ou n’importe quoi pour exprimer des choses assez semblables et sans croire plus aux uns qu’aux autres.

Je voudrais terminer cette méditation sur les propos de Mathieu Kassowitz, fils de juif hongrois immigré qui a longtemps tenté l’impossible lien et en a marre, par décrire ce que toute cette violence que le politique, son autisme inflige au malheureux électorat…

Avant-hier alors que dans le quartier, chez les commerçants nous avions multiplié les discussions autour du fait qu’il fallait aller voter mais que vraiment ils étaient grotesques, tous pareils, j’ai été confrontée à l’intolérable. C’est un vieux de mon âge, qui fait le tour des commerces et partout défend non pas le Rassemblement national bon chic bon genre de Bardella mais le fascisme, il n’arrête pas de vanter Mussolini.

C’est là que j’ai été prise d’une sorte de folie, je l’ai insulté avec des propos d’une violence vulgaire dont je ne me croyais pas capable et j’ai terminé mon invraisemblable harangue en lui disant : un jour les communistes, les vrais reviendront et ils vous feront subir ce qu’a vécu Mussolini, pendu par les pieds, la tête en bas, il vous forceront à sortir tout ce pus de haine que vous portez en vous.

L’extraordinaire a été l’attitude silencieuse des employés, l’une est allée chercher un verre d’eau et me l’a tendu : “calmez-vous il faut aller voter en sachant que tous ces gens ne s’intéressent qu’à aux, leurs postes, leurs intérêts… mais il ne faut pas se rendre malade”.

Hier après avoir essayé vainement de parler au candidat de la nécessité de la paix, et convaincue de l’inutilité d’un tel dialogue, je me trouve devant un camion à moitié dans un porche occupant le trottoir et une bonne partie de la chaussée… Impossible de passer et même de traverser puisque les voitures venant à toute vitesse m’ignoreraient dans ma tentative de contourner ce véhicule. Là j’ai été saisie d’une colère incroyable et j’ai balancé mon caddy sur le camion en faisant une énorme trace sur la carrosserie…

Le commerçant sur le pas de sa porte, qui me voyait prise de cette colère démente est allé au milieu de la chaussée pour arrêter la circulation et me faire traverser sans un mot… à la manière dont l’employée de la veille m’avait tendu un verre d’eau.. Ou ces gens avec qui nous échangeons des remarques : ils sont fous, tous plus hors sol les uns que les autres…

Cette vieille femme de 86 ans qui tout à coup sort d’elle-même de quoi leur parle-t-elle ?
Danielle Bleitrach