COMMUNISTES D'EUROPE: LA CONTAGION MORBIDE DU SUICIDE
Les deux dernières décennies du siècle 20 ont vu souffler un étrange vent de défaitisme suicidaire sur la galaxie communiste en Europe. Dans la plupart des pays de l’ancien « bloc socialiste », Pologne, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, les appareils d’état privés de leur pouvoir par l’implosion du protecteur soviétique ont mué en partis sociaux (libéraux) démocrates, convertis au capitalisme et à l’OTAN, expulsant de leurs rangs les obstinés communistes fidèles à l’idéal premier, et réduits par la répression à des groupuscules quasi clandestins.
A l’Ouest, la plupart des PC orphelins d’un modèle longtemps adulé sans les réserves nécessaires ont été déstructurés par l’évolution d’un capital mondialisé destructeur des usines et des classes ouvrières : ils ont perdu à la fois leur influence, leurs repères idéologiques et leur rôle dans l’histoire de leur pays. Ils ont accompli pour la plupart un Congrès de Tours à l’envers, retournant à l’opportunisme carriériste, au « crétinisme ministériel » et aux compromissions sans principe avec la social-démocratie.
Ainsi le PC italien, désireux avant tout d’accéder au pouvoir, se transforma d’abord en ectoplasme politique (a cosa) ouvert aux courants politiques les plus dissemblables ; il finit en Parti Démocrate, féru d’Europe supranationale et de paix sociale.
Le PCF, lui, se donna chaque jour un peu plus à des dirigeants sans principes qui finiront quelques années plus tard en serviteurs du PS ou du patronat (Philippe Herzog, Fiterman, Robert Hue, etc.). Sa « mutation » des ans 2000 se fit en allégeance à des pouvoirs d’état privatisant l’économie, détruisant les conquêtes sociales, mais apte à pérenniser la réélection et la carrière des notables, élus et bureaucrates devenus maîtres du parti. Parallèlement, l’érosion puis l’agonie du tissu militant réduisait à néant ses capacités d’action, même s’il conservait le nom de parti communiste, auquel la plupart de ses adhérents étaient attachés. En son sein, une bonne partie de ces cadres opportunistes aspirent toujours, sans parfois l’avouer, à élargir l’organisation à des courants extérieurs, « humanistes », « écologistes », « féministes », à « dépasser la forme parti », comme disaient à Rome les théoriciens de « a cosa » quelques 20 ans plus tôt. Cela bien sûr pour obtenir des soutiens et des prébendes aux élections locales et nationales.
Cette dérive opportuniste bascula aussi le PC d’Espagne, transformé en Izquierda Unida (Gauche unie), regroupement de sensibilités contradictoires et prêt à s’allier avec n’importe qui, des nationalistes conservateurs en Catalogne, aux sociaux-libéraux en Andalousie, etc. Mais l’exemple le plus évident vint d’Allemagne, après l’effondrement de la RDA et son absorption dans la «Gross Deutschland » capitaliste . Les aspirations ou nostalgies communistes restaient fortes à l’Est du pays, ce qui permit au parti SED, privé de son état, d’y subsister. Mais sous l’influence d’apparatchiks qui regrettaient surtout le pouvoir, ce PDS « rénové » aspirait avant tout à se débarrasser de l’étiquette communiste, considérée par eux comme un handicap électoral. Cela aboutit en 2007 à la création de « Die Linke » ( la gauche), avec l’apport de militants des Landers de l’Ouest et l’inclusion de groupes disparates sociaux-démocrates, trotskistes, pacifistes, écologiques, etc. Cet « élargissement » servit d’exemple à tous ceux qui rêvaient dans les pays voisins de dissoudre les partis communistes dans un agglomérat plus vaste. En 2009, les résultats électoraux semblèrent leur donner raison : Die Linke atteignit presque 12% des suffrages en Allemagne. La réalité en trois ans a fait exploser cette naïveté : sitôt que les dirigeants de Die Linke, sortant de l’opposition, se sont alliés pour gouverner avec les sociaux-démocrates comme à Berlin, ils ont endossé la responsabilité d’une politique néfaste et ont été rejeté par leur électorat. Début juin 2012, Die Linke est retombé à 5% des voix et son congrès, houleux, a vu s’opposer les « pragmatiques » désireux de pouvoir et d’alliance avec le SPD, et les « socialistes de gauche » pour lesquels le parti reste un instrument de lutte sociale anti-capitaliste. La nouvelle direction issue de ces débats est hétérogène, on peut donc s’interroger sur l’avenir de ce parti.
Dans une Grèce aux prises avec les mesures d’austérité dictées par l’Europe supranationale et les banques, la coalition de gauche hétéroclite Syriza dénonce les régressions sociales mais prône le sauvetage de l’euro et des institutions européennes. Elle a été présentée par les médias et le PGE que préside Pierre Laurent comme la seule riposte possible à la loi des marchés spéculatifs. En France, Mélenchon a qualifié Syriza de « notre parti » et le PCF a fait sa promotion au détriment du KKE, parti des communistes grecs. Grâce à quoi, Syriza a réussi à ponctionner une partie des voix du KKE, et la droite l’emporte en Grèce.
Le constat est partout le même : l’électoralisme qui justifie pour certains cadres dirigeants l’alignement des communistes sur les partis sociaux-libéraux responsables des politiques d’austérité, peut apporter quelques succès électoraux ambigus et éphémères, mais conduit rapidement à l’affaiblissement voire à la disparition des PC. Après la dégringolade d’IZQUIEDA UNIDA en Espagne, de RIFONDAZIONE COMMUNISTA en Italie qui a cru bon de siéger au gouvernement de la « gauche », l’histoire des DIE LINKE en Allemagne le confirme. Et s’il fallait aussi une preuve française, elle est venue les 10 et 17 juin 2012 : le PCF s ‘était quasiment dissout dans un Front de gauche rendu euphorique par les 12% de Mélenchon aux présidentielles. Il a chuté à moins de 7% qui sont à mettre à l’actif d’une coalition électorale, non du seul PCF. Certains dirigeants de ce parti rêvent encore de participer à un gouvernement de la « gauche » et ils s’affirment toujours membres de la majorité présidentielle : le bilan de la tactique adoptée est pourtant catastrophique : le PCF avait 17 députés en 2007,il lui en reste 8 en 2012 (plus 2 Front de gauche).
Serait-ce la fin de l’histoire pour les partis communistes d’Europe ? La pente savonneuse n’est pas fatale. Les PC du PORTUGAL, de GRÈCE, de TCHÉQIE, etc., ont su refuser cette stratégie du suicide qui ne répond qu’aux intérêts carriéristes d’élus ou de bureaucrates sans principes, mais en rien aux nécessités de transformation sociale vers un socialisme du 21ème siècle.
Francis ARZALIER
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