Nous citoyens, laïques et fraternels ?, par André Tosel
Publié par Pierre Hayat
Le
philosophe André Tosel propose dans son dernier livre de repenser la
laïcité « à la hauteur des défis de la mondialisation ».
Le monde produit par le capitalisme globalisé et financiarisé met
aujourd’hui à mal la trilogie républicaine française, en
détruisant méthodiquement l’état social et national de droit qui
s’est constitué au siècle dernier en Occident. La « contre
révolution de la mondialisation capitaliste » qui ravage
depuis trente ans les conditions de vie et de travail, engendre
aujourd’hui un double fanatisme : le fanatisme du capitalisme
financier et le fanatisme théologico-politique de l’intégrisme
chrétien et de la violence islamiste. La « déprivatisation
des religions », qui tend aujourd’hui à s’imposer, est la
face inversée d’une « reprivatisation des services publics,
de ces biens communs, résultats de luttes laïques de
civilisation ». Ceci permet à Tosel d’observer que les
communautarismes religieux sont paradoxalement entretenus par un État
mis au service de la logique entreprenariale, et de souligner que
« l’intériorité de la foi n’augmente pas en proportion de
cette tentative des Églises d’intervenir dans la politique par le
moyen de l’espace public »........
…...C’est
précisément dans un espace public aux enjeux directement
politiques, que s’affirme aujourd’hui avec force la revendication
d’une manifestation sociale des religions. La reconnaissance de ce
droit est assurément un élément de la laïcité, dès lors que
cette exigence de visibilité s’exerce dans le respect de la
laïcité de l’État. Si l’on se place sur un plan
socio-politique, et non plus seulement juridique, on conviendra
volontiers avec Tosel qu’en certaines circonstances, les religions
renforcent des résistances à des oppressions, des dominations et au
« néo-darwinisme social » du capitalisme, de même que
le rationalisme et l’athéisme ont souvent fortifié des mouvements
émancipateurs. Mais il serait naïf d’ignorer que l’investissement
de l’espace public par les groupements religieux au nom d’une
« post-sécularité » ne serait jamais l’occasion de
détournements au bénéfice de communautarismes exclusifs. Il serait
en conséquence illusoire d’imaginer un espace public purement
irénique et consensuel. On ne partage pas l’optimisme de Tosel
lorsque celui-ci semble ne voir aucun problème à ce que les
religions fassent valoir leur foi, dans les débats publics, sans
avoir « obligation de recourir à une argumentation seulement
discursive comme c’est le cas des non-croyants ». C’est
ainsi que les instances religieuses exposeraient, sans dommage pour
les débats démocratiques, leurs « jugement religieusement
fondé » et feraient valoir leurs « ressources
identitaires de sens », sans recourir au raisonnement. Tosel
semble moins exigeant en matière de laïcité que Ricoeur et
Habermas, pourtant peu suspects de « laïcité exclusive »,
lorsque ceux-ci attendent des croyants, comme des non croyants, un
effort constant d’argumentation dans le débat public. Mais en
dispensant les religions de l’obligation intellectuelle à
s’exposer rationnellement dans l’espace public, on encourage les
courants religieux obscurantistes et identitaires, au détriment
notamment des courants religieux laïques. À force de se méfier
d’un universalisme laïque tenté d’ « exclure le marqueur
religieux », on ne se défie plus d’un espace public tenté
d’exclure « les marqueurs » athée et agnostique. Un
espace public qui tend à évincer « le marqueur » athée
cesse d’être laïque, parce qu’il présume qu’une option
spirituelle serait en elle-même contestable. Sous couvert de
« post-sécularité » encore nommée « sécularisation
de la sécularisation », on dé-sécularise l’espace public
qui n’est plus alors qu’un espace d’inclusion
inter-confessionnelle. On rend alors la laïcité impossible, ou on
la coupe de sa base sociale pour la contraindre de se caricaturer en
raison d’État ou en identitaire nationaliste.......
…....En
dépit de ses hésitations et de ses contradictions, l’ouvrage de
Tosel contribue aux débats laïques et à la reconstruction
permanente de la laïcité dans une perspective sociale et
matérialiste. La souplesse dialectique de la laïcité autorise un
ressourcement récurrent dans ses fondamentaux émancipateurs, parmi
lesquels les droits de l’homme et la devise de la République
française.
André
TOSEL, Nous
citoyens, laïques et fraternels ? Dans le labyrinthe du
complexe économico-politicio-théologique.
Suivi de
La laïcité au miroir de
Spinoza, Kimé,
2015, 26 €.
Extraits
tirés de ReSPUBLICA
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