Quand il suffit de traverser la rue
Yann FIEVET
Comme
la vie devient facile sous le règne d’Emmanuel Macron ! Tellement
facile que les citoyens en arrivent presque à se demander pourquoi ils
se compliquaient l’existence jusqu’à l’avènement du majuscule pédagogue
aux solutions évidentes pour toutes sortes de problèmes qui taraudaient
auparavant nombre de fieffés inquiets. Ainsi, la question du chômage que
nous trouvions terrible il y a peu de temps encore est beaucoup moins
grave qu’il y paraît dès lors que l’on accepte d’être résolument
positif. Du travail il y en a partout. On change de trottoir et les
emplois pleuvent comme vache qui pisse. Il faut seulement ne pas avoir
peur de traverser la chaussée. Nous avons donc bien changé d’époque
puisque voilà les propos de comptoir érigés en vérités présidentielles.
Les ouailles rassemblées virtuellement dans la grande Eglise macronienne
sont bien sûr paternellement priés d’apprendre le nouveau catéchisme
ultralibéral. Cependant, pour accéder à l’idée – érigée en dogme - de la
« vie facile » insidieusement promue il conviendra de brûler d’abord
tous les bons manuels de sociologie, de psychologie sociale et
d’économie critiques devenus éminemment hérétiques par l’opération du
Saint-Esprit fait homme.
Ce qui est formidable avec la facilité
macronnienne – pardon, jupitérienne ! – c’est qu’elle est contagieuse,
donc extensible à souhait. Les serviles lieutenants du général en chef
s’en font l’écho plus souvent qu’à leur tour et rivalisent d’imagination
pour chasser la moindre occasion où la vie du fonctionnaire en voie de
précarisation, de l’usager des services de moins en moins publics, de
l’élu local aux moyens en baisse et aux responsabilités en hausse, sera
grandement facilitée désormais ! Aucun des serviteurs, grand ou petit,
n’a été choqué par la pique envoyée par le monarque au naïf horticulteur
qui lui parlait l’autre jour sérieusement de son chômage et qui
espérait peut-être que le providentiel souverain l’embaucherait pour
l’entretien de ses célèbres jardins. Pourquoi, diable, ce brave homme
s’accroche-t-il paresseusement à son métier quand tous les cafetiers et
restaurateurs du quartier de l’Elysée ou d’ailleurs n’attendent que lui
pour le mettre généreusement à la tâche ?
Sous les cieux radieux
du macronisme les remèdes faciles se ramassent donc à la pelle. Quand
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education Nationale, a annoncé le
mois dernier que mille quatre-cents postes d’enseignants seraient
supprimés l’an prochain, des journalistes ont audacieusement demandé si
cela n’allait pas conduire à un alourdissement du nombre d’élèves par
classe. Le ministre s’attendait visiblement à cette terrible
banderille : non puisqu’il va suffire que les professeurs fassent des
heures supplémentaires, ce qui améliorera du même coup leur pouvoir
d’achat. Comme c’est évident ! Et tant pis si les intéressés, déjà
nombreux à faire des heures supplémentaires, ne souhaitent pas pour la
plupart en faire davantage car ils préfèrent consacrer du temps à
l’amélioration de la qualité de leur enseignement. Les forces de la
police et de la gendarmerie nationales ne sont pas assez nombreuses pour
afficher leur « présence Rassurante » partout sur le territoire ? Qu’à
cela ne tienne : armons les polices municipales. Et tant pis si les
policiers ainsi promus n’ont pas été formés à ce nouvel usage de leur
emploi. Dans le domaine de l’urbanisme, le projet de loi Elan est
destiné à permettre « de construire plus et moins cher ». Cependant,
selon les promoteurs immobiliers il existerait trop de recours abusifs
contre les projets de construction. Alors, le gouvernement prévoit de
simplifier les normes et de « mieux encadrer les procédures
contentieuses contre les permis de construire ». Quels seront les
critères permettant d’apprécier le caractère abusif d’un recours contre
un projet ? Les défenseurs de l’environnement déjà s’inquiètent de ces
plus grandes facilités à bétonner. Comment ne pas les comprendre ?
S’agissant
de la vie facile, Emmanuel Macron parle d’expérience. Pour causer
trivialement – comme lui-même se hasarde parfois à le faire – il en
connaît un rayon ! Lui, n’a même jamais eu besoin de traverser la rue.
Ni pour entrer à l’Elysée au début de la Présidence Hollande. Ni pour
entrer à la banque Rothschild comme financier de haut-vol. Ni pour
devenir ministre de l’économie. Ses diplômes, son talent et l’adoubement
d’influents mentors, tel Jacques Attali, ont toujours ouvert un vrai
boulevard à son ambition forgée tout au long d’une jeunesse dorée. Bref,
le prodige est le pur produit d’un déterminisme social positif. Et cela
bien sûr ne facilite pas sa compréhension du déterminisme social
négatif qui frappe tant d’autres de ses congénères. La vie sourit aux
uns, fait la grimace aux autres. Qu’un président de la République oublie
trop souvent cela autorise à s’interroger sur la nature de ses lectures
au cours de sa formation intellectuelle. Cependant, une chose saute aux
yeux – et surtout aux oreilles – désormais : Emmanuel Macron cache de
plus en plus mal son mépris de classe.
Yann Fiévet
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