Ma biche chérie, journée plus éprouvante que d'autres, ce samedi où d'abord je me croyais à dimanche. Tellement je finis par être désorienté, perdu, sans toi, à me partager entre toi et notre maison que je quitte chaque matin le plus tôt possible. Il y a peu, j'ai écrit que j'avais horreur des week-ends en clinique. Aujourd'hui, et tu es du même avis que moi, puisque tu as râlé plusieurs fois, comme moi, je confirme et je signe: il ne fait pas bon être hospitalisé à l'Ormeau pendant les fins de semaine, que ce soit samedi ou dimanche. Et nous avons râlé parce que entre la pollution par le bruit de ceux qui travaillent sous notre fenêtre à l'étanchéité des terrasses, et les fumées des goudrons brûlés au chalumeau qui pénètrent dans la chambre, il y a de quoi s'inquiéter sur les conséquences pour la malade que tu es et qui est là pour être soignée. Pas pour être empoisonnée par cet environnement dangereux.
Je suis arrivé près de toi vers 10 heures: l'équipe qui procède à la réfection de l'étanchéité m'a paru ne pas arrêter de travailler pour prendre un repas. A moins que ce ne soit pour cause de ramadan. A 15 heures, ils travaillaient encore, jusqu'à 17 H, sans que je les ai vus une seule fois s'arrêter pour prendre un casse-croûte. Par contre, qu'est-ce qu'ils avalent comme fumée noire, toxique, évidemment, de ce goudron qu'ils répandent et chauffent avec de gros chalumeaux. Sans masque! Quelle nourriture pour leurs poumons, en plus de la cigarette, pour certains! Comment des entreprises qui en plus travaillent pour des établissements de santé laissent leurs ouvriers s'empoisonner, sans leur donner les moyens et les outils nécessaires, pour se préserver des risques de maladie grave qu'ils encourent. Si tu vois ce que je veux dire, et dont il vaut mieux que je ne te parle pas, toi qui en est déjà la victime malgré toutes les précautions que nous ayons toujours prises.
Autrefois, la première fois que j'ai approché d'un hôpital, quand j'étais gamin, -c'était celui de Tarbes-, ce qui m'avait frappé, et que je garde en mémoire, c'était les panneaux " HÔPITAL SILENCE" placés dans les rues avoisinantes. Aujourd'hui, non seulement on ne respecte ni ne fait respecter aucun silence, mais de plus, je le répète, on empoisonne les malades au sein même de la clinique, sans se poser de question.C'est vrai qu'il faudrait prendre la sage décision de condamner pendant la durée des travaux les chambres trop exposées à cette pollution, reloger ailleurs les malades pour un temps, ce qui, dans notre société au service du seul fric, du capital, qui se fout de l'avenir de la planète, n'est même pas envisageable. Il faut avancer, c'est la loi de l'économie de marché, au service des investisseurs, et des actionnaires, qui mène comme je le crains le monde dans le mur, sans ce préoccuper de "détails secondaires", comme la paix, l'environnement, et la santé universelles, ce qui pourrait entraver ou retarder la marche en avant du profit à tout prix.
Entre les bruits souvent insoutenables et les odeurs tout aussi intenables, nous avons passé une foutue journée. D'autant que la veille, il t'avait à nouveau repris des vomissements, après que je t'ai quittée, vers 20 H: les soignantes avaient oublié de poser la sonnette sur le lit, tu ne pouvais appeler personne, et tu es restée un bon moment bien malheureuse, avant de te faire entendre, et d'être délivrée et nettoyée comme tu en avais besoin. Tu m'avais annoncé çà à l'oreille, dès mon arrivée. "Je vais te raconter quelque chose", m'as-tu murmuré, tellement ta voix est faible, presque inaudible.De quoi m'inquiéter pour toi plus encore pour l'avenir, j'espère que ces soignantes qui sont d'ordinaire attentionnées, douces, patientes, retiendront la leçon: vérifier contradictoirement que le moindre détail n'échappe ni à l'une ni à l'autre. Surtout que la sonnette pour un malade, c'est primordial, non?
Même à l'oreille, je ne puis t'annoncer la mauvaise nouvelle que j'ai appris également ce matin, en arrivant, quand on m'a prié de ne pas entrer, pendant ta toilette: je me suis approché de la chambre de la dame de Bordes, dont j'ai parlé hier. La porte était fermée. J'ai compris que c'était fini, j'ai eu peu après confirmation , je n'ai pas vu son mari. Est-ce que le corps de la pauvre femme avait été emporté? Déjà un grand coup de blues, à l'arrivée à la clinique, même pour cette personne que je ne connaissais pas, mais qui m'avait beaucoup ému. Mais son mari, son fils et son petit fils, qui vivent tous à proximité, vont pouvoir, ensemble, faire le deuil. Pour moi, à mon humble avis, une chance, dans leur malheur.
Ce soir, je pense à eux, avec compassion, au mari, surtout, avec qui j'ai échangé, qui me paraissait un brave homme. Mais je pense surtout à toi, cher amour, je me sens chaque soir de solitude un peu plus brisé, écorché, meurtri, par ce qui nous attend, et que je ne sais ni n'ose envisager. Personne ne mérite de souffrir de cette saloperie comme tu souffres, toi, surtout, ne le méritais pas. Tu es si bonne, tolérante, douce, tu t'accommodes de tout, de tous....Une peur panique que tu me laisses seul. Dans cette maison qui est la notre, la tienne, tout me parle de toi qui ne vas plus revenir, puisqu'on me l'a dit. J'ai si mal de toi, ma biche chérie.
Ne me quittes pas....
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