Les vignes brûlées dans le Sud ne sont pas une calamité agricole
Ce qui s’est produit dans les vignes du Gard et de l’Hérault vendredi 29 juin, est d’une tout autre nature, d’un tout ordre, ou plus exactement d’un tout autre désordre.
Je suis vigneronne. Je n’écris pas en qualité de vigneronne.
Je
n’écris pas non plus en qualité de vigneronne victime d’une calamité
agricole, d’une catastrophe naturelle ou d’un accident climatique. Ce
qui s’est produit dans les vignes
du Gard et de l’Hérault vendredi 29 juin, est d’une tout autre nature,
d’un tout ordre, ou plus exactement d’un tout autre désordre.
J’écris
en qualité de témoin du changement climatique à l’œuvre, qui est en
fait un bouleversement, qui ne concerne pas ici des vignerons, là des
arboriculteurs, hier des pêcheurs, demain des Parisiens asphyxiés, mais
bien tous, citadins ou ruraux, habitants du Sud comme du Nord, de
l’Ouest, ou de l’Est.
J’écris en qualité d’hôte de la terre. Nous sommes chacun, individuellement, interdépendants les uns des autres.
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J’étais
vendredi matin dans les vignes pour faire un tour d’inspection des
troupes et ramasser des abricots dans la haie de fruitiers que j’ai
plantée en 2010 entre les terret et les cinsault. Il faisait déjà très
chaud. Je ne sais pas combien, je ne veux pas ouvrir le livre des
records. Je suis rentrée au frais, et je me suis plongée dans la lecture
d’un livre passionnant, La vigne et ses plantes compagnes de Léa et
Yves Darricau. J’ai repoussé la plantation de 30 ares de vignes à
l’origine programmée pour cette année, à plus tard, à quand je saurai
comment et quoi planter. Je cherche.
À 18 heures, Laurent, mon voisin de vignes avec qui je fais de l’entraide, m’appelle:
- Là-haut à Pioch Long, les syrah sont brûlées.
- Comment ça brûlées?
- Oui, brûlées, les feuilles, les raisins, comme si on les avait passé au chalumeau.
J’ai
pris ma voiture, et je suis allée dans les vignes. Quand j’ai vu à La
Carbonelle, les grenaches, feuilles et grappes brûlées, grillées, par
zones, sur la pente du coteau exposée sud-ouest, je n’ai pas pensé à la
perte de la récolte. J’ai vu que certaines étaient mortes, que d’autres
ne survivraient pas. Il faisait encore très très chaud et j’ai été
parcourue de frissons. La pensée m’a traversée que c’était là l’annonce
de la fin de l’ère climatique que nous connaissons, la manifestation de
la limite de l’hospitalité de la terre. Puis je suis passée sur le
plateau de Saint-Christol, là où depuis le XIIe siècle, l’homme a planté
des vignes pour qu’elles bénéficient pleinement des bienfaits du soleil
et du vent. Et là, à droite, à gauche, j’ai vu des parcelles de vignes
brûlées, grillées dans leur quasi totalité.
Il y aura des voix, celles des porte-parole des vignerons, chambre
d’agriculture, représentants des AOC, et c’est leur rôle, pour évaluer
les pertes de récolte, la mortalité des ceps, et demander des
indemnisations.
Il y aura les voix invalidantes de la
culpabilité, celle des gestes que l’on a faits dans la vigne les jours
précédents et que l’on n’aurait peut-être pas dû faire, ou ceux que l’on
n’a pas faits et que l’on aurait dû faire. Et si j’aurais su…. A
ceux-là, je réponds, les si n’aiment pas les rais.
Il y aura des
voix pour dire qu’à cela ne tienne, on va généraliser l’irrigation, et
si cela ne suffit pas, eh bien on plantera des vignes, plus haut dans le
Nord, ailleurs. Peut-être même y en aura-t-il pour s’en réjouir. A
ceux-là, je réponds qu’ils sont, au mieux des autruches, au pire des
cyniques absolus et immoraux, dans les deux cas des abrutis aveugles.
Ce qui s’est produit ce vendredi 29 juin dans les vignes du Midi, est
un avertissement, un carton rouge. Ce n’est pas seulement les
conséquences d’un phénomène caniculaire
isolé doublé d’un vent brûlant, mais la résultante de trois années
successives de stress hydrique causé par des chaleurs intenses et de
longues périodes de sécheresse qui, année après année, comme nous
prenons chaque année des rides, ont affaibli les vignes, touchant ce
vendredi 29 juin, celles qui étaient plantées dans ce qui était
jusqu’alors considéré comme les meilleurs terroirs. C’est aussi la
résultante d’un demi-siècle de pratiques anagronomiques.
La Carbonelle est plantée de vignes depuis 1578. C’est un mamelon en
forme de parallélogramme bien exposé au vent et soleil. Ce qui s’est
passé le 29 juin, dit que l’ordre des choses s’est littéralement
inversé. Le vent et soleil ne sont plus des alliés de l’homme. La
solution de l’irrigation est la prolongation d’un défi prométhéen. On se
souviendra qu’il lui arrive quelques bricoles à Prométhée. Cela dit
aussi que le changement va plus vite que la science agronomique et ses
recherches appliquées, cela nous précipite dans un inconnu. Il nous faut
radicalement changer notre rapport à la terre, ne plus nous en
considérer comme des maîtres, mais des hôtes, que l’on soit paysan ou
citadin.
Ceux qui voudraient circonscrire à la viticulture du Midi ce qui
s’est produit le 29 juin s’illusionnent. Le phylloxéra a été identifié
en 1868 à Pujaud dans le Gard. Les vignerons des autres régions ont cru
ou feint de croire qu’ils seraient épargnés. En 1880, le puceron avait
éradiqué la totalité du vignoble français, et gagné toute l’Europe. Le
phylloxéra était lui-même la « récompense » de notre quête du mieux, du
plus. Il a été à l’origine de la seule grande émigration française et
d’une reconstruction du vignoble qui a profondément changé l’équilibre
même de la vigne. Nous en sommes les héritiers directs.
Ceux qui voudraient circonscrire le phénomène à la viticulture se
dupent aussi. La vigne nous accompagne, sur notre territoire, depuis
plus de deux millénaires, et l’homme depuis plus de 6000 ans. Sa culture
est tout à la fois un pilier et un symbole de notre civilisation. Si la
vigne n’a plus sa place dans le Midi, l’homme ne l’aura pas davantage
car le soleil et le vent seront brûlure sur sa peau.
Nous,
vignerons, devons en tout premier lieu renouer avec la dimension
métaphysique de notre lien à la terre et alors, nous pourrons changer
radicalement nos pratiques. Mais il faudra autant de temps pour
retricoter ce que nous avons détricoté. L’œuvre elle-même est vaine si
par ailleurs, nous, vous, moi continuons à prendre l’avion comme nous
allons promener le chien, goûtons aux fruits exotiques comme si on les
cueillait sur l’arbre, mettons la capsule dans la machine à café comme
un timbre sur une lettre, ainsi de suite.
Ce que les vignes disent, c’est que notre civilisation elle-même est menacée.
Les abeilles l’ont aussi dit, avant la vigne. Mais nous ne les avons pas entendues.
Les abeilles l’ont aussi dit, avant la vigne. Mais nous ne les avons pas entendues.
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