vendredi 8 mai 2020



l'autre 8 mai 1945, de l'autre côté de la Méditerranée

Publié le 8 Mai 2020


Pendant qu'en France
la joie éclate,
déferlement du feu
colonialiste en Algérie

Manifestation à Setif 8 mai 1945
Manifestation à Setif 8 mai 1945
Canaille le Rouge a repris cet article très documenté sur le site du Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure :


L’autre 8 mai 1945 : les massacres coloniaux de Sétif, Guelma, Kherrata


Le 8 mai 1945 : jour de liesse. Un vent nouveau se lève, annonciateur d’une ère de liberté ! Mais alors que la France fête la Victoire, l’un des plus effroyables épisodes de la répression coloniale débute à Sétif, Guelma et Kherrata.
Pour comprendre, il faut se reporter cinq années en arrière. En 1940, dans ce département français nommé Algérie, le monde colonial, qui s’était senti menacé par le Front populaire, accueille avec enthousiasme Vichy et le pétainisme. Le Parti du peuple algérien (PPA) et le Parti communiste algérien (PCA) sont dissous. Avec le débarquement américain de 1942, le climat évolue. Alger devient la capitale de la France libre, le siège du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et celui de l’Assemblée consultative provisoire (ACP). La revendication nationaliste reprend. "Les nationalistes prennent au mot l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942), écrit Mohammed Harbi.(1) Ferhat Abbas(2), transmet aux Américains le 10 février 1943, avec le soutien du PPA de Messali Hadj(3) un « Manifeste du peuple algérien ». A l’exception de Messali Hadj, placé en résidence surveillée, les prisonniers politiques sont libérés en avril 1943. Les tirailleurs algériens, dont plusieurs milliers sont tués, s’illustrent à la bataille de Montecassino, participent à la libération de la Corse, de la Provence. Ils sont les premiers à franchir le Rhin le 31 mars 1945. Ce qui fait dire à Ferhat Abbas :"L’opinion musulmane veut être associée au sort commun autrement que par de nouveaux sacrifices."
Messali Hadj
A l’occasion du 1er mai 1945, les manifestations organisées par les mouvements nationalistes pour rappeler les promesses qui leur ont été faites, sont brutalement réprimées. Il y a des morts à Alger et à Oran. Le PPA décide alors d’organiser le 8 mai des manifestations pacifiques en mettant en avant le mot d’ordre d’indépendance.
Sétif
Ce mardi 8 mai 1945, à Sétif comme à Paris, c’est aussi la liesse. On fête la Libération, à laquelle les tirailleurs algériens, comme d’autres soldats coloniaux, ont pris une part décisive : 138 000 jeunes Algériens ont participé à la libération de la France. Les bâtiments officiels sont pavoisés, la foule converge vers l’avenue Georges Clemenceau et se dirige vers le monument aux morts. Les manifestants brandissent des drapeaux alliés, dont celui de la France et l’emblème algérien, précédés par des scouts qui portent la gerbe destinée à être déposée devant le monument aux morts. A l’appel des Amis du Mouvement de la Liberté (AML)(4), aux slogans de liberté se mêlent des mots d’ordre nationalistes : « A bas le colonialisme ! », « Vive l’Algérie libre et indépendante ! ». Des militants du PPA réclament la libération de leur chef, Messali Hadj, arrêté deux semaines plus tôt et déporté à Brazzaville. On entonne Min Djibalina, l’hymne des indépendantistes. Un jeune scout, Saal Bouzid, porte une bannière en vert et blanc, frappée d’un croissant et d’une étoile rouges. C’est le drapeau algérien ! Pour les autorités coloniales, c’en est trop, c’est une provocation. Le préfet de Constantine, Lestrade-Carbonnel, qui avait prévenu à l’issue du 1er mai : « il y aura des troubles et un grand parti sera dissous », ordonne : « Faites tirer sur tous ceux qui arborent le drapeau algérien ».
Les policiers reçoivent l’ordre de se saisir du drapeau. Ils tirent. Saal Bouzid s’effondre. Des Européens tirent également depuis les fenêtres des immeubles. D’autres manifestants tombent à côté. Le défilé pacifique se transforme en émeute.
Les miliciens ou policiers pillent, volent, violent, tuent. Présent dans la manifestation, Kateb Yacine, alors lycéen, décrira dans son roman Nedjma, la confusion qui règne : « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, y a pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus rien autour de moi ». Alors que se répand la nouvelle de l’assassinat du porte-drapeau, la révolte gagne toute la ville, puis se diffuse dans les campagnes alentour. La population européenne est prise pour cible dans une explosion de colère et de vengeance longtemps contenues. Ces émeutes coûtent la vie à une centaine d’Européens. En réponse au soulèvement qui se propage dans le Nord-Constantinois, le général Duval (5) mobilise l’aviation et la marine, et se met alors en place une répression d’une sauvagerie inouïe jusqu’au bombardement de populations civiles. L’armée ratisse les villages et les bombarde.

Guelma, Kherrata
Le soir, à Guelma, sans attendre, le sous-préfet (socialiste) André Achiary(6) fait tirer sur la foule. Il a organisé trois semaines plus tôt, des milices composées d’Européens, toutes tendances politiques confondues. Il met sur pied des tribunaux d’exception, dits de salut public, en dehors de toute légalité. De pacifiques, en réaction les manifestations deviennent violentes. L’armée, aidée par les milices européennes, réprime sauvagement la révolte : manifestants tués, femmes violées...L’aviation mitraille et bombarde les villages. Depuis la baie de Bougie, le croiseur Duguay-Trouin bombarde les douars de Kabylie. A Périgotville, près de Guelma, on fusille tous ceux qui savent lire et écrire. Des prisonniers fusillés sont jetés dans les gorges de Kherrata, on fait disparaître les corps, jetés et brûlés dans les fours à chaux de Marcel Lavie, entrepreneur et conseiller général.
Les arrestations se multiplient, les condamnations pleuvent, les exécutions sommaires sont nombreuses. Tout cela s’accompagne de véritables razzias ; les tueurs, miliciens ou policiers, pillent, volent, violent, massacrent à tout va. Ces milices forment le creuset d’une « culture politique séditieuse » préfigurant l’ OAS (7). L’historien Alain Ruscio explique que « Le fossé entre les communautés était tel que la simple rumeur d’une insurrection générale des Arabes, savamment reprise puis orchestrée par certains administrateurs et élus coloniaux, avait littéralement plongé dans les transes la quasi-totalité de la population européenne ».
La répression, qui dure sept semaines, fait plusieurs dizaines de milliers de morts. Des milliers de personnes sont condamnées par les « tribunaux », totalement illégaux, dits de « salut public » et internées.
Ainsi "pendant que l’on fêtait la victoire en métropole, des « indigènes » étaient arrêtés en masse, exécutés sommairement, fusillés à Sétif et Guelma parce qu’ils avaient osé revendiquer l’application des principes de liberté, d’égalité, de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes contre l’ordre colonial."(8)
Monument aux morts de Kherrata
Combien de morts ? Le bilan est impossible à établir. Du côté européen, il est précis : 102 tués, 86 civils et 16 militaires. Du côté algérien, le ministère de l’intérieur a concédé 1 000 à 1500 morts, le PPA en a dénoncé 45 000. Les historiens estiment l’ampleur des tueries entre 15 000 et 30 000. La guerre des chiffres ne peut en tout cas dissimuler la disproportion dans l’exercice de la violence. « Le caractère massif de la répression explique cette imprécision. Il rend très aléatoire, en effet, le décompte des morts. » (9)
" La guerre d’Algérie a commencé à Sétif", affirme Mohammed Harbi.
A la fin de ces événements sanglants, le général Duval, commandant en chef des forces françaises en Algérie, assure dans un rapport à ses supérieurs : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. » Mais rien ne sera fait.
En fait, cette répression a créé une situation irréparable. Ce bain de sang est un point de non-retour. Il s’inscrit comme le prologue de la guerre d’indépendance algérienne déclenchée neuf ans plus tard, le 1er novembre 1954. En 1947, le PPA mettra en place une structure paramilitaire, prélude à la fondation du FLN.
L’événement a été noyé dans la joie de la victoire sur l’Allemagne nazie. Ce qui a contribué à confisquer la mémoire de ces événements. C’est seulement le 27 janvier 2005, année du 60ème anniversaire, qu’un officiel français, l’ambassadeur Hubert Colin de Verdière évoque à l’université Ferhat-Abbas de Sétif « cette tragédie inexcusable ». Et il a fallu attendre soixante-dix ans pour qu’un ministre se rende à Sétif, exprimer « la reconnaissance par la France des souffrances endurées et rendre hommage aux victimes algériennes et européennes de Sétif, Guelma et de Kherrata »(10) Reconnaissance timide et tardive. En Algérie, la plaie est vive.
En 2009, pour la première fois, un espace public, la mairie de Paris, se souvient de ces événements ignorés par l’histoire française. A l’initiative de l’historien Olivier Lecour Grandmaison et de l’Adjointe (PCF) au maire de Paris, Catherine Vieu-Charier, un colloque s’est tenu pour dit-elle « faire connaître ces événements, très complexes, très douloureux et injustifiables qui ont été les grands oubliés de l’histoire de la France », expliquant cette amnésie par le fait « qu’il semblait insupportable de reconnaître de telles horreurs, quand on était à dénoncer celles de l’Allemagne nazie. » Si le travail de mémoire est défaillant, le travail d’histoire se développe comme le montre la bibliographie partielle en annexe.
Zouhir MEKARBI
45 000 Algériens ont été, ce jour-là, assassinés non pas par la France, mais au nom de la France. Soulevons le couvercle sur cet aspect volontairement caché...
Article complet blog "Le Grand Soir"

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