Personnes âgées :
voilà la circulaire de la honte
PAR DOMINIQUE VIDAL
samedi 9 mai 2020, par Comité Valmy***
Personnes âgées : voilà la circulaire de la honte
À force de la chercher en vain,
j’aurais fini par douter de l’existence de cette circulaire du 19 mars
qu’évoquait « Le Canard enchaîné » la semaine dernière et qui inciterait
les médecins à limiter l’admission en réanimation des personnes
« fragiles ». Et voilà que m’est parvenu ce message d’une personne
active dans un hôpital.*
Appelons-le Matthieu pour lui éviter un licenciement brutal.
« La lecture de votre article “Euthanasie ? Non : Euthanasie !” m’a
fait repenser – écrivait-il – à un document découvert sur le site de la
SFAR portant sur les recommandations relatives à la “Décision
d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins
critiques dans un contexte d’épidémie à Covid-19”. En lisant ce
document, j’ai ressenti un réel malaise avec l’impression que chacun ne
pourrait effectivement pas accéder à la réanimation faute d’un
“équilibre entre les besoins médicaux et les ressources disponibles” ... Je suppose, poursuit mon correspondant, « que vous avez déjà pu lire ce document, mais je vous en laisse le lien ci-contre :
https://sfar.org/download/decision-dadmission-des-patients-en-unites-de-reanimation-et-unites-de-soins-critiques-dans-un-contexte-depidemie-a-covid-19
Quand je l’ai lu, j’ai également pensé que devoir être
confronté à un tel choix pour les soignants et accompagnants de
personnes âgées n’était pas normal.. »
Publié par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, ce document, effectivement daté du 19 mars 2020, a été «
rédigé collégialement par un groupe d’experts régional : Élie Azoulay,
Sadel Belloucif, Benoît Vivien, Bertrand Guidet, Dominique Pateron et
Matthieu Le Dorze ». Il est d’ailleurs cité comme référence par le ministère des Solidarités et de la Santé ( https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/fiche_ehpad_etablissements.pdf ).
Avant d’en venir au contenu de cette circulaire, je
voudrais dissiper une confusion présente dans certains messages reçus
sur ma page Facebook. Il y a, selon moi, deux situations différentes :
celle
du médecin qui décide du sort de son patient, en tenant compte l’avis
dudit patient et de ses proches, mais en en assumant seul la
responsabilité en son âme et conscience. Cela existe depuis la nuit des
temps et ne pose de problème que si la décision est contestable et fait
l’objet d’une plainte ;
celle
d‘un groupe de médecins qui, avec la caution d’un ministère, poussent
vers la mort des milliers de personnes dites « fragiles » qu‘ils ne
connaissent ni d’Ève ni d‘Adam, en incitant le personnel hospitalier à
ne pas les admettre en réanimation. Ceux-là, à mon avis, relèvent du
tribunal. D’autant que ce dernier disposera d’une preuve à charge : un
texte qui, par moments, nous renvoie neuf décennies en arrière.
N’étant pas médecin, j’ai aussitôt consulté le docteur
Pierre-Jacques Raybaud, très engagé dans le combat contre le Covid-19 et
qui, dans sa pratique de généraliste, s’est heurté à plusieurs
reprises, ces dernières semaines, à des responsables hospitaliers
refusant d’admettre en réanimation des patients âgés malades du
Codiv-19 : il peut en témoigner.
Selon lui, ce texte constitue un appel au « triage systématisé des patients ». Comment, poursuit-il, «
peut-on prédire aussi facilement la fin de vie d’un patient ? Tout
médecin a connu dans sa carrière des améliorations spectaculaires dans
des situations extrêmes ». Raybaud s’étonne aussi de la formule « en raison du caractère extraordinaire, mais personnalisé ». Pour lui, « ce
genre d’opposition, c’est le début de la fin. Ce n’est plus de la
médecine. Dire une chose, puis son contraire, en dire une autre et
l’atténuer par divers procédés n’est pas compatible avec la médecine." Les auteurs, souligne-t-il, parlent de « décision collégiale », mais plus loin ils écrivent que « la place laissée aux proches risque d’être limitée dans la décision du refus de réanimation ». Bref, conclut le docteur Raybaud, le document prétend se fonder sur « l’attitude
individuelle de chaque médecin en son âme et conscience », mais en
fait, « tout en prenant la précaution de peser chaque mot, il pousse à
la roue d’un triage systématisé ».
C’est en effet l’impression qui ressort de tout le
texte, mais en particulier du passage consacré, en page 6, à la
« non-admission en soins critiques ». Les médecins évoquent quatre cas,
que je cite ci-dessous in extenso :
i. Soit parce que refusé par le patient (et/ou la famille)
ii. Soit du fait d’une absence de signes de gravité pour
la réanimation (avec poursuite de la prise en charge par exemple sous
couvert d’une oxygénothérapie dans un service classique) ;
iii. Soit parce que l’admission en soins critiques
relèverait d’une obstination déraisonnable, définie par des
thérapeutiques ne bénéficiant pas au patient, disproportionnées par
rapport au bénéfice attendu, qui n’auraient d’autre but qu’un maintien
artificiel — et transitoire — de la vie au prix de souffrance pour le
patient et ses proches, et d’une détresse des équipes. Une telle
admission risquerait aussi de priver un autre patient d’une prise en
charge en réanimation, alors qu’elle/il aurait plus de chance d’en
bénéficier. Ainsi, nous considérons licite de ne pas admettre un patient
en réanimation dès lors qu’il s’agit d’une obstination déraisonnable, y
compris si une place de réanimation est disponible.
iiii. Chez ces patients non-admis en
soins critiques, les soins ne sont pas interrompus, mais s’intègrent
dans le cadre d’un accompagnement en collaboration avec les spécialistes
d’une telle prise en charge palliative afin d’assurer une absence de
souffrance et une fin de vie digne et apaisée, en présence de leurs
proches. »
Vous avez bien lu ? Les signataires n’ont pas le moindre
doute sur la destination vers laquelle ils envoient les patients qu’ils
refusent en réanimation : « Les soins ne sont pas
interrompus, mais s’intègrent dans le cadre d’un accompagnement en
collaboration avec les spécialistes d’une telle prise en charge
palliative afin d’assurer une absence de souffrance et une fin de vie
digne et apaisée. »
Et il s’agit pas là de propos théoriques : selon Le
Canard enchaîné, en quelques jours, « les patients de plus de 75 ans en
réanimation sont passés de 19 % à 7 % et ceux de plus de 80 ans de 9 % à
2 %. »
On frémit à l’idée que des médecins, dans la France du
début du XXIe siècle, se croient autorisés à accompagner vers la mort
des milliers de personnes « fragiles ». Certains amis m’ont reproché
d’avoir évoqué l’Allemagne nazie. C’est qu’ils m’ont mal compris : je ne
pense évidemment pas à la Shoah, mais à la première étape du génocide :
la liquidation des malades mentaux. Plus de 100 000 handicapés
sacrifiés au nom de la liquidation des « bouches inutiles » et de la
libération de lits pour les jeunes soldats blessés.
Comparaison n’est évidemment pas raison. Mais que dire de la sortie de ce vice-gouverneur républicain du Texas déclarant : « Personne
n’est venu me demander si, en tant que personne âgée, j’étais d’accord
pour prendre des risques si cela pouvait sauver l’Amérique que toute
l’Amérique adore et la transmettre à nos enfants et petits-enfants. Si
c’est ce que l’on obtient en échange, je fonce » ? Les signataires
de la circulaire du 19 mars enrobent leurs directives mortifères dans un
discours déontologique politiquement correct. Leur texte n’en transpire
pas moins l’eugénisme.
Dominique Vidal.
28 AVR. 2020
28 AVR. 2020
PS : Une question me taraude : pourquoi la plupart des
médias ne semblent pas intéressés par l’analyse du texte intégral de
cette circulaire ?
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