Ignacio Ramonet : Le monde d’il y a quelques mois a disparu
Le journaliste, écrivain et spécialiste de la communication Ignacio Ramonet a limité ses déplacements et respecte, à La Havane – où il jouit d’une excellente santé –, les mesures d’isolement social • Cependant, de ce repos apparent est né un essai qui mérite l’intérêt en tant qu’outil pour aider à comprendre les circonstances et les conséquences de la covid-19 pour l’Humanité : « Face à l’inconnu… la pandémie et le système-monde » (traduction de Danielle Bleitrach pour histoire et societe)
Auteur: Omelio Borroto Leiseca | informacion@granmai.cu
29 juin 2020 14:06:52
Afin d’en savoir plus sur les implications de la maladie mondiale sur
la géopolitique mondiale et la communication sociale, Ramonet nous a
fait part de quelques réflexions.
« Je définirais la pandémie comme un fait social total. C’est un
concept issu des sciences sociales qui indique que, parfois, un fait
social peut perturber tous les acteurs, toutes les institutions et
toutes les valeurs d’une société. Il y a peu de faits sociaux totaux,
mais la pandémie en est un, ce n’est pas seulement une crise sanitaire.
La question qui se pose aujourd’hui est précisément de savoir si le
néolibéralisme a une part de responsabilité dans la tragédie sanitaire.
Dans quelle mesure ? Dans la mesure où le néolibéralisme est favorable
par la réduction de la taille de l’État et aussi dans la mesure où le
néolibéralisme cherche, précisément, à céder le maximum de pouvoir au
marché, au détriment de l’État.
« Dans nombre de pays, tout ce qui relève de la Santé publique a vu
son budget réduit. Dans le cas de l’Italie et de l’Espagne, il y a aussi
les conséquences de la crise de 2008. Au sein de l’Union européenne,
les pays du Nord, l’Allemagne en premier lieu, ont exigé, pour aider les
pays qui avaient subi l’effondrement de leur modèle économique et
financier imposé par le néolibéralisme (Grèce, Espagne, Italie,
Portugal, Irlande), qu’ils mènent des politiques d’austérité de l’État,
qu’ils fonctionnent avec moins de dépenses, si bien que le système de
santé a été réduit, des hôpitaux ont été fermés, en particulier les lits
des unités de soins intensifs, les respirateurs, et avec l’arrivée de
la pandémie, ce n’est pas un hasard si l’Espagne et l’Italie sont
confrontées aux difficultés qu’elles ont rencontrées, tout comme le
Royaume-Uni d’ailleurs.
« Que se passera-t-il lorsque la pandémie sera passée et que les
sociétés feront le point et demanderont des comptes aux membres du
gouvernement qui ont mal réagi dans tous les grands pays du monde ?
Pourquoi n’ont-ils pas prévu cette pandémie ? Je démontre dans cet essai
que, de toute façon, aux États-Unis, il s’agit de la pandémie la plus
annoncée au monde. Je donne des exemples de rapports de la cia, du
Pentagone, de scientifiques, d’autres dirigeants étasuniens, d’hommes
d’affaires comme Bill Gates, qui ont tous annoncé qu’un coronavirus, pas
un virus, un coronavirus apparaîtrait avant 2025, et qu’il provoquerait
ce qu’il provoque aujourd’hui, et qu’il trouverait les États sans
masques, sans suffisamment de lits, sans écrans faciaux, sans
combinaisons de protection, sans lits d’aucune sorte. La mauvaise
gestion de ces dirigeants a causé des milliers et des milliers de morts,
et ces morts ont des familles. Ce ne sont pas des morts qui se sont
rendus coupables de quoi que ce soit, ce sont des morts innocents.
« L’autre aspect est d’ordre géopolitique. Comment allons-nous nous
sortir de cette situation ? À quoi ressemblera le monde après cela ? Le
monde ne peut pas être le même après cette pandémie, car nous ne savons
pas comment elle va se terminer, combien de morts il y aura à la fin.
Dans ce monde différent, ce que nous pouvons constater, d’un point de
vue géopolitique, c’est que le leadership des États-Unis a fait
naufrage.
Ce pays n’a pas été à la hauteur de la situation, notamment parce
qu’il a été très mal administré. S’il est un dirigeant, parmi les
dirigeants des grands pays du monde, qui s’est comporté, disons, de
manière totalement imprésentable, totalement excentrique, c’est bien le
président Trump, qui s’est comporté, dans bien des cas littéralement,
comme un clown dans une situation aussi tragique, pour un pays ayant
tant de responsabilités comme les États-Unis. Cette gestion va-t-elle
coûter à Trump son élection ? C’est une autre des questions à laquelle
nous n’avons pas encore de réponse, mais il ne fait aucun doute que tout
cela l’a affaibli.
« Nous nous acheminons vers une catastrophe économique mondiale qui
sera identique ou plus grave que celle de la Grande dépression de 1929,
qui est la plus grande crise que le capitalisme ait connue depuis son
apparition au 18e siècle. Alors, que se passera-t-il dans le
monde ? Que se passera-t-il dans les pays du Sud qui sont déjà
confrontés à des milliers de problèmes ? Quel genre de crise sociale et
politique ? Que se passera-t-il dans les pays ravagés par des conflits
militaires ? Nous ignorons, au niveau géopolitique, ce qui va se passer
dans le monde, nous voyons l’aspect sanitaire du problème, mais cet
aspect sanitaire déclenche une vague de situations. Évidemment, il
laisse entrevoir un deuxième acte, qui sera économique, et un troisième
acte, qui sera politique et social, et c’est ce qui va manifestement
arriver.
« Certes, le virus n’est pas une révolution, mais il nous permet de
voir, par exemple, comment dans de nombreuses sociétés les pauvres
meurent, non pas parce qu’ils sont atteints du coronavirus, mais parce
qu’ils sont pauvres, parce que la santé est hors de leur portée. Un
traitement aux États-Unis coûte en moyenne 35 000 dollars . Tout le
monde n’a pas cet argent, tout le monde n’a pas une assurance pour
pouvoir se faire soigner ; les clandestins, les immigrants, qui se
comptent par millions, n’ont même pas accès aux soins médicaux.
« En termes de communication, il y a évidemment un débat pour imposer
un récit, car c’est la première bataille, celle de la communication,
avec 4,5 milliards de personnes enfermées chez elles. La première leçon
est que ce qui s’impose c’est la communication numérique, tout le monde a
développé la communication numérique à travers les réseaux sociaux, à
travers la messagerie, c’est ce qui a prévalu. Les gens n’ont pas eu
accès au papier, les librairies ont été fermées, les kiosques à journaux
également. Il y a donc eu un plus grand triomphe du numérique, je
dirais l’apothéose. Une autre leçon, et c’est quelque chose que nous
avions déjà annoncé, c’est que les données sont la matière première
dominante de notre époque. Ce sont ces données qui ont aujourd’hui de la
valeur, et c’est ce qui fait qu’il y ait de nouveaux empires, les
nouvelles entreprises de données, le Big Data.
« Il y a aussi le problème de la vie privée. On dit que les pays qui
ont le mieux combattu la covid-19 sont ceux qui ont utilisé les
nouvelles technologies, en particulier les caméras de surveillance et
les applications téléphoniques.
« En termes de communication, il y a eu une volonté d’imposer un récit, ce qui a donné lieu à une grande arnaque de fake news,
fausses nouvelles contre-vérités, et il n’y a jamais eu autant de
fausses nouvelles qu’à cette époque. Il convient également de rappeler,
pour conclure, que la crise sanitaire est un aspect de la crise
climatique, la véritable crise que connaît la planète est la crise
climatique, qui demain pourrait réellement détruire la planète, comme
l’avait annoncé Fidel Castro. »
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