Y a-t-il un pilote dans la police ?
Le ministre de l’Intérieur n’est pas devant, mais derrière. Il court après les policiers. Il se tait lorsqu’une députée est jetée à terre. Et il laisse la police à une forme d’autogestion chaotique, entre syndicats, hiérarchie, préfecture. Cette désertion du politique, c’est un symptôme. D’une « classe dirigeante » impuissante à « diriger », qui ne fait plus que « dominer ».
« Comme la police n’est plus dirigée, c’est désormais elle qui dirige ». Je pointais cela, l’année dernière, dans mon rapport parlementaire : la désertion du politique.
« Y a-t-il un pilote dans la police ? Je m’interrogeais. Y a-t-il un ministre à l’Intérieur ? Ou bien, en est-on à une autogestion chaotique, entre syndicats, hiérarchie, préfecture, sans cap politique fixé d’en haut ? »
Les événements récents en témoignent, jusqu’à la caricature : le ministre n’est pas devant, mais derrière. Le mardi, il court après les syndicats de policiers, lors d’une manifestation où il se fait huer. Le jeudi d’après, c’est ma collègue députée Bénédicte Taurine qui, lors d’un rassemblement, est jetée à terre, un fait inédit, et sans une réaction derrière, ni de l’Intérieur ni de Matignon.
Et il en est ainsi depuis près de trois ans, depuis les Gilets jaunes – dont il faut rappeler le bilan : 27 éborgnés, 5 mains arrachées, 321 crânes ouverts, et deux morts. Depuis cette crise, le politique est « à la remorque », muet devant les policiers, les approuvant ou les couvrant, levant parfois un petit doigt, timidement, avant de se rétracter face à un haussement de sourcil syndical.
Mon collègue de droite Guillaume Larivé le disait autrement, en Commission des lois :
« Bien sûr, nous soutenons les forces de l’ordre et nous sommes conscients des difficultés de leur mission. Mais elles doivent être commandées. La chaîne hiérarchique comprend les gradés, les officiers, les commissaires dans la police, les sous-officiers et des officiers dans la gendarmerie, au bout se trouve le ministre de l’Intérieur. Je plaide pour le commandement, qui implique de savoir sanctionner, de dégager des lignes directrices de doctrine, de reconnaître parfois des errements et de les corriger [... ] Le ministre de l’Intérieur ne doit pas être derrière les forces de l’ordre. Il est là pour être devant et les diriger. Au vu des événements des dix-huit derniers mois, le ministère de l’Intérieur devrait engager une réflexion sur d’éventuelles évolutions de doctrine et d’organisation. Je souhaite une chaîne hiérarchique qui assume de sanctionner lorsqu’il y a des errements, qui assure un bon enseignement et qui vérifie que la force est employée de manière légale. Il faut un rendez-vous d’actualisation de la doctrine au sein de la police nationale en 2020. »
Sans reprise en main, la police est la bride sur le cou, en une forme d’autogestion décomposée. L’absence du politique laisse un grand vide, que les syndicats, et les plus incendiaires des syndicats, vient occuper.
Faute de Beauvau, la police part à vau-l’eau.
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Lors de mes auditions, c’est une institution en crise que j’ai découverte.
Faut d’un cap, d’abord. Ou alors, des caps successifs, simultanés, parfois opposés. Qui ont désorienté, plus qu’orienté : « Quelle police voulons-nous ? s’interrogeaient – et m’interrogeaient – les représentants policiers. Pour quoi faire ? Du chiffre ou de la proximité ? »
Aucun discours fort, depuis Sarkozy, pour tracer un horizon. Si bien que la politique du chiffre, autrement appelée la « batonnite » – « Comme les écoliers, on rentre au commissariat, on fait des bâtons dans nos cahiers. Une, deux, trois interpellations. Il vaut mieux arrêter deux shiteux qu’un trafiquant, c’est mieux pour les statistiques... » – la politique du chiffre demeure, bien que contestée, tempérée.
Des tas de réformes se sont pourtant succédées. « Le nouveau management » est arrivé, qui a cassé l’organisation habituelle, traditionnelle, du commissariat – sans fixer d’autre but qu’une vague « productivité ». Comme le résume un officier : « L’esprit “Maison police” a disparu ». Des divisions se sont produites, des divisions horizontales : « Les commissaires sont passés de “chef de service” à “manager de service” », produisant une fracture d’avec leurs hommes.
D’autant qu’entre les deux, un maillon est presque supprimé : « Les relais, ce sont les brigadiers, les chefs d’équipe. C’est le contremaître de la police : il a un pied sur le terrain et un pied dans l’état-major ». C’est le brigadier qui fait le lien entre le haut et le bas, qui donne une cohésion à l’ensemble. Son absence, ou son effacement, en font le chaînon manquant.
Les policiers sont atomisés, « chacun dans son couloir »
« Je me souviens, quand j’ai commencé ma carrière il y a trente ans, un fonctionnaire était désigné à tour de rôle pour faire le café et les sandwichs pour tout le monde. Vous aviez une salle conviviale, où tout le monde venait, on faisait l’appel, on prenait nos consignes, et ensuite on allait tous dans cette salle de repos [...] Tout ça a été supprimé parce que “effectifs, effectifs”, il faut être rentable, etc. Du coup, vous n’avez plus ce rapport humain, vous avez des machines à café, un distributeur de plats tout préparés, un micro-ondes... Aujourd’hui, ces temps communs n’existent plus. »
.....La suite - intéressante, il va sans dire - de l'article de Ruffin dans le blog "Le Grand Soir" ....
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