J’expire, j’inspire: putain restez chez vous…
Je vous donne communication de ce témoignage émouvant mais révolté
de la fille d’un camarade publié sur facebook . J’ai la haine quand je
pense à tous ces gens dehors, à ces responsables politiques qui ont
détruit notre stock de masque et raconté que cela ne servait à rien, à
ces jeunes cons qui portent des masques visiblement le fruit de larcins
qui manquent tant à ceux qui sont là…vous risquez leur vie! (note de
Danielle Bleitach)
Elise Cordier, en colère.20 h 17 min
Ce matin, en me réveillant, je pleure. En déjeunant, je pleure. En me
préparant, je pleure. En conduisant jusqu’à mon travail, je pleure.
Là, dans les vestiaires de l’hôpital, je sèche mes larmes.
J’inspire. J’expire.
Les gens dans les lits pleurent aussi, et
c’est à moi qu’il incombe de sécher leurs larmes. De leur faire une
petite blague, de leur dire un petit mot, histoire de les faire sourire
un peu. Oublier une seconde qu’ils sont là, coupés du monde, une épée de
Damoclès au dessus de la tête. Tout ceux qu’ils voient sont habillés
intégralement, masqués, protégés, c’est anxiogène. Ils se sentent seuls,
abandonnés.
Alors j’inspire, j’expire.
Je reviens dans la chambre pour la
troisième fois, et tant pis si on me dispute pour le gâchis de blouse,
parce que leur code wifi ne marche pas et que c’est leur seul moyen
d’être en contact avec leurs proches : les visites sont interdites, le
réseau téléphonique ne passe que très mal dans la chambre. Ils pleurent,
parce que tout le monde s’inquiète et que du coup, ils s’inquiètent
aussi, mais veulent avant tout rassurer.
Alors j’inspire, j’expire.
Et je rassure aussi, même si juste
avant le médecin m’a dit que ça puait et qu’il allait probablement finir
la soirée en réa, un tuyau au fond de la gorge. Je parle du temps qu’il
fait, comme un pied de nez de l’univers en période de confinement, mais
je ne parle pas de tous ces gens dehors qui ne respectent pas ces
nouvelles règles.
A quoi bon dire à ce patient, médecin généraliste,
qu’on croise des gens dans la rue, masque FFP2 inutile et incorrectement
mis sur le nez, alors qu’un tel dispositif lui aurait évité à lui de se
retrouver dans un lit d’hôpital.
A quoi bon dire à ce patient que,
pendant qu’il est là à attendre de savoir ce que le destin lui réserve,
tout le monde dehors lui crache à la gueule.
Pendant qu’il est là à
progressivement mais rapidement passer des lunettes à oxygène au masque à
haute concentration à la machine de VNI jusqu’à devoir aller en réa se
faire intuber, à condition qu’il y reste de la place, les gens débattent
de la distance autorisée pour faire leur jogging et de si ils peuvent
promener leur chien à deux.
Alors j’inspire, j’expire.
Je gère les sorties, de bonnes ou de
mauvaises augures, les entrées. Le flux interminable de patients, en
plus ou moins bon état. Je marche, je cours, je vole, ma charlotte me
fait mal au front, mon masque me fait mal au nez et me donne la tête qui
tourne, l’élastique de mon masque, couplé à mes deux paires de
lunettes, me fait mal aux oreilles, mes mains me font mal à force de les
laver.
Mais je prends des tensions, je scoope, je prends des
températures, des saturations, je perfuse, je fais des prises de sang,
des dépistages, je réfléchis, surtout.
Je réfléchis à comment
regrouper mes soins pour éviter le gâchis de matériel d’habillage, je
réfléchis à comment donner des nouvelles aux familles qui appellent sans
trop inquiéter mais sans non plus minimiser, on ne sait jamais, je
réfléchis à combien de temps je vais pouvoir tenir à ce rythme.
Je réfléchis au fait qu’on n’est pas encore arrivés au pic de l’épidémie, par ici.
Je
réfléchis à ce moment inévitable où il n’y aura plus rien pour
s’habiller et se protéger correctement, je réfléchis à ce moment
inévitable où il n’y aura plus de place en réa et où il faudra dire à ce
patient, à sa famille, qu’on ne peut plus rien faire pour lui si ce
n’est espérer, et le soulager.
Alors j’inspire, j’expire.
Ma journée de travail se termine et je passe le relais à un collègue. Je me change. Je prends ma voiture. Je rentre chez moi.
Je
n’allume pas la télé, qui ressasse en boucle le nombre de nouveaux
décès. J’essaie de rester loin des réseaux sociaux, qui ressassent en
boucle les débats futiles des gens face à leur confinement. Je lis les
messages de mes proches, qui me donnent du courage, et je rassure,
encore.
Je lis les initiatives telles que les applaudissements
collectifs à 20h et je pense “au lieu de m’applaudir, j’espère que vous
êtes plutôt resté chez vous aujourd’hui, comme il vous l’a été demandé”.
Au lieu de nous applaudir, j’espère que vous n’oublierez pas et que
vous arrêterez de nous cracher à la gueule.
Alors j’inspire, j’expire, et j’espère.
Je ne suis pas une super-héroïne, je ne fais que mon travail, et j’ai
besoin de tout le monde pour qu’il soit facilité : restez chez vous au
maximum, arrêtez de chercher (et donc trouver) des excuses à la con pour
sortir de chez vous 12 fois par jour, même si “oui mais je fais
attention”.
Profitez de votre canapé, de vos jeux vidéos, de votre
foyer, faites du ménage et de la cuisine avec toutes vos pâtes, pensez à
tous ces lundis où il a été si difficile de sortir de chez vous.
Inspirez, expirez, et ce sera plus facile pour tout le monde.
Inspirez, expirez, puisque vous avez la chance de pouvoir le faire.
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