Non, ce qui se passe en Afghanistan n’est pas une « guerre des civilisations » !
lundi 30 août 2021 par Bruno Drweski (ANC)
Réponse de Bruno Drweski à un article de Michel Rogalski paru dans « Liberté », hebdomadaire du PCF-59
Dans un entretien accordé
par Michel Rogalski paru dans Liberté-Hebdo du 20/26 août, ce dernier
constate que la défaite des États-Unis face aux talibans en Afghanistan
change l’ordre international, ce à quoi on peut a priori souscrire.
Ce qui surprend par contre, c’est son affirmation péremptoire que
l’hyper-puissance US avec son complexe militaro-industriel, semble
devoir désormais s’évanouir puisqu’il ne devrait plus y avoir « de
grandes expéditions guerrières possible de la part des États-Unis », y
compris en Amérique latine donc ?
Pour ce qui est du Moyen-Orient, les jeux semblent définitivement faits car « Il n’y a plus aucune force pour s’opposer » à « l’islam radical (qui) s’est affirmé ».
La Syrie laïque et victorieuse avec ses alliés semble donc avoir disparu, à moins évidemment de repousser, selon des critères essentialistes, les pays musulmans de « l’axe de la résistance » dans le même camp des « islamistes radicaux » que celui des pétromonarchies pro-occidentales, de leurs réseaux de mercenaires et de terroristes.
Ce destin funeste devrait d’ailleurs être aussi le nôtre puisque « La France est dans la même situation vis à vis du Sahel aujourd’hui ». On remarquera au passage qu’Israël, qui joue tout de même un rôle majeur dans la fragilisation de la région et dans la généralisation des frustrations des populations musulmanes, est carrément oublié comme fauteur de guerre.
Dès lors, la suite coule de source, exit la lutte des classes, exit
l’impérialisme, la cause des conflits peut être réduite à un « choc de
civilisations » car, Rogalski l’affirme : « Samuel Huntington
prédisait qu’il n’y avait pas de guerre gagnable contre une autre
civilisation (…). Depuis vingt ans on a beaucoup assisté à de nombreux
conflits de type « civilisationnel ».
Pour un « chercheur » se réclamant en principe du socialisme
scientifique et de l’internationalisme, on croit rêver. Ce n’est même
plus du marxisme à géométrie variable, c’est carrément de l’opportunisme
rejoignant les conceptions essentialistes de la droite la plus
réactionnaire et la plus rance.
« Islam radical » ou pillage impérialiste ?
Et pour enfoncer le clou, les conséquences de la défaite US devraient, selon l’auteur, entrainer des exodes de masse car « ce type de régimes radicaux va provoquer des mouvements de populations ». Les migrations seraient donc dues à ces régimes, et non aux guerres d’intervention étrangère ni au pillage par le capitalisme mondialisé.
On se demande dès lors si les masses d’Ukrainiens, de Baltes, de Syriens, de Bangladais ou autres Sénégalais et Marocains qui fuient vers l’Ouest ou vers le Nord, le font aussi à cause de l’« islam radical » et non pas à cause de la misère, des guerres et de l’absence de perspectives de développement endogène.
Cerise sur le gâteau, des pays comme l’Iran, le Pakistan ou la Turquie « émergent de plus en plus du fait de l’absence des États-Unis ».
Conclusion, « quand le chat n’est pas là, les souris dansent »,
et ces pays ne posséderaient aucune vitalité propre qui pourrait
expliquer pourquoi ils « émergent ». Vision néocoloniale que l’on espère
inconsciente !
Peu après les attentats du 11 septembre 2001, lors de la réunion du
Conseil d’Orientation d’Espaces Marx, Michel Rogalski croyait sans doute
pouvoir profiter de l’effet de surprise pour prolonger le communiqué
d’un PCF alors en pleine « mutation » qui appuyait la réaction des
« États-Unis et des dirigeants qu’ils se sont donnés ».
Il prôna ouvertement à cette occasion une alliance des communistes avec
les États-Unis pour combattre l’islam. Ce qui fut rejeté. Vingt ans plus
tard, la même idée resurgit sous une forme plus habile, et elle trouve à
s’affirmer dans un hebdomadaire qui se réclame d’une tradition
anti-impérialiste !
Un monde sans perspective ou des possibilités de progrès ?
Le monde que nous promet Rogalski est donc sans aucune perspective
progressiste puisque États-Unis, France, Russie, Chine, Pakistan, Iran,
Turquie « Chacun va avancer ses pions. Le problème c’est que ce sera sur le dos des populations », donc aucune lutte, aucune révolution, aucun progrès possible semble-t-il, les jeux sont faits.
Rogalski a toutefois raison sur deux points, cette défaite de l’ensemble
USA/OTAN est plus profonde encore que la défaite du Vietnam car on
pouvait tenter de justifier cette dernière par la force du camp d’en
face, alors soutenu par l’URSS, alors qu’en Afghanistan, il n’y a pas de
camp d’en face… et pourtant, c’est la défaite.
Et un autre grand perdant en Afghanistan, c’est bien l’Inde… ce qui permet toutefois à Rogalski de ne pas mentionner l’autre grand perdant, Israël, car on peut supposer que le processus d’intégration de l’Eurasie allant de l’Asie orientale jusqu’aux rivages syro-libano-palestiniens de la Méditerranée va peut-être s’accélérer si les talibans à la recherche de développement économique s’y insèrent, diluant du coup leur « radicalisme » au passage.
Car, sans qu’il soit question de baisser la garde contre l’obscurantisme qu’ont favorisé partout la contre-révolution anticommuniste et l’unilatéralisme états-unien de moins en moins triomphant, peut-être existe-t-il des perspectives réelles et prometteuses de progrès dans une région débarrassée des armées impérialistes ?
Bruno Drweski, Maître de conférence HDR, INALCO, Paris et membre du bureau de l’ANC (responsable du secteur international).
Michel Rogalski, économiste au CNRS, est directeur de la revue Recherches internationales (Paris).
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