Pourquoi l’Ukraine intéresse tant
les États-Unis?
- 08 Fév 2022
Les États-Unis disent vouloir « protéger l’Ukraine de la Russie ». Mais ce qu’ils ne disent pas, c’est que l’Ukraine est une pièce maîtresse de leur propre stratégie de domination économique. Une stratégie intégralement au service de leurs multinationales, et où la classe travailleuse n’a rien à gagner.
Pour les États-Unis, le contrôle de l’Ukraine répond à trois objectifs principaux : renforcer l’OTAN, affaiblir la Russie et contrôler les routes du gaz.
1. Renforcer l’OTAN
L’OTAN est une alliance militaire créée en 1949 pour faire face à la « menace soviétique ». L’organisation n’a cependant pas disparu avec la chute de l’URSS. Au contraire, elle n’a cessé de grandir, intégrant peu à peu tous les anciens pays socialistes : Hongrie, Pologne et République Tchèque en 1999, les pays baltes et la quasi-totalité des Balkans entre 2004 et 2020. Aujourd’hui, l’OTAN est la plus grosse organisation militaire au monde, regroupant la majorité des pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Et alors qu’à l’origine, elle ne pouvait recourir à la force qu’en cas de légitime défense, ce statut a changé. Désormais, elle s’autorise à intervenir partout où les intérêts de ses membres – États-Unis en tête – sont menacés, y compris en dehors de son territoire.1
Pour les États-Unis, l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine – le plus grand pays d’Europe – est un objectif de première importance. En 1997, Zbigniew Brzezinski, l’un des plus influents stratèges américains, écrivait que la collaboration de l’OTAN avec l’Ukraine « pourrait devenir la colonne vertébrale géostratégique de l’Europe ».2 Dès 2007, le Congrès américain a aidé l’Ukraine financièrement pour faciliter son adhésion à l’OTAN. Peu avant le 20e sommet de l’OTAN, en 2008, le président Bush s’est rendu à Kiev. Il y a publiquement déclaré son souhait de voir l’Ukraine rejoindre l’OTAN et a remercié les Ukrainiens pour leurs contributions militaires en Irak, Afghanistan et au Kosovo.3
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre toute l’aide militaire que les États-Unis fournissent à l’Ukraine. Depuis 2014, cette aide est évaluée à 2,5 milliards de dollars par les États-Unis eux-mêmes.4 C’est aussi dans ce cadre qu’il faut comprendre l’important développement de l’armée de terre ukrainienne, qui est passée de 6 000 soldats en 2014 à 150 000 aujourd’hui, selon une étude du service de recherche du Congrès américain.5 L’évolution de l’armée ukrainienne est encadrée de près par les États-Unis, pour qui l’Ukraine doit devenir un partenaire militaire de premier plan.
2. Affaiblir la Russie
Dans les années 1990, juste après la chute de l’URSS, la Russie était largement soumise aux États-Unis et ne les inquiétait pas beaucoup (les entreprises américaines faisaient à peu près ce qu’elles voulaient dans le pays). Cela a changé avec l’arrivée de Poutine au pouvoir en 2000. Celui-ci s’est efforcé de ramener la Russie au rang de grande puissance en favorisant les oligarques russes au détriment des investisseurs étrangers. Naturellement, cela n’a pas plu aux États-Unis.
Ceux-ci ont donc entrepris d’affaiblir Moscou par tous les moyens, notamment en l’empêchant de créer un bloc économique indépendant avec l’Ukraine. « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire, a expliqué le stratège Brzezinski en 1997.
« Pour Moscou, rétablir le contrôle sur l’Ukraine – un pays de cinquante-deux millions d’habitants doté de ressources nombreuses et d’un accès à la mer Noire – c’est s’assurer les moyens de redevenir un État impérial puissant. »6
L’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN vise aussi à affaiblir la Russie. On lit ainsi dans un Rapport au Congrès américain de 2008 que l’adhésion de l’Ukraine serait « une garantie contre les possibles tentatives de la Russie de faire renaître son « empire » ».7
Cette volonté d’affaiblir la Russie est d’autant plus actuelle que la Russie se rapproche de la Chine, l’autre grande rivale des États-Unis. Les accords commerciaux entre les deux pays ne cessent d’augmenter. En 2019, lors d’une visite du président chinois en Russie, les deux puissances se sont d’ailleurs entendues pour progressivement se passer du dollar dans leurs échanges commerciaux.8
3. Contrôler les routes du gaz
Nord Stream II est un projet de gazoduc de plus de 1 000 kilomètres reliant la Russie à l’Allemagne. Il permettrait de doubler la livraison de gaz naturel vers l’Europe. Les États-Unis, qui se disputent avec la Russie la place de premier fournisseur mondial, voient d’un très mauvais œil la construction de ce gazoduc. En 2018, Donald Trump a exigé l’abandon pur et simple du projet et accusé l’Allemagne d’être à la solde de la Russie.9 Il a ensuite fait passer une loi menaçant de sanctions toute entreprise liée au projet.10 Pousser les pays d’Europe dans un conflit avec la Russie peut être un moyen pour les États-Unis de faire capoter le projet de gazoduc, notamment en mettant un maximum de pression sur l’Allemagne. Les États-Unis espèrent ainsi pouvoir fournir leur gaz de schiste à l’Europe, pourtant plus cher et plus polluant, et affaiblir encore une fois la Russie. Dans tous les cas, c’est encore une fois les intérêts des multinationales qui sont en jeu, et non pas ceux de la classe travailleuse, que ce soit en Ukraine ou dans le reste de l’Europe.
Conclusion
Si les États-Unis s’intéressent tant à l’Ukraine, ce n’est pas pour « protéger les Ukrainiens de la menace russe ». C’est avant tout pour défendre leurs propres intérêts économiques et géostratégiques. Par leur politique de confrontation, les États-Unis jouent à un jeu dangereux dont la classe travailleuse européenne pourrait être la grande perdante. D’abord par la menace de conflit armé qui augmente. Ensuite parce que les États-Unis poussent les pays occidentaux dans une surenchère de dépenses militaires, au détriment des budgets sociaux. Enfin parce que leur volonté de mainmise sur le gaz pourrait encore entraîner une hausse des prix de l’énergie, alors que de plus en plus de ménages européens n’arrivent plus à se chauffer. La classe travailleuse n’a rien à gagner dans un conflit ouvert entre l’Ukraine et la Russie. C’est pourquoi il vaut mieux privilégier une désescalade de la violence en favorisant des solutions diplomatiques et en mettant fin à l’expansion de l’OTAN.
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