NUPES ta mère…
Sonnez hautbois, résonnez musettes, il est né le divin enfant. Il s’appelle « nouvelle union populaire écologique et sociale » – notez l’ordre des mots « écologique » et « sociale », ce n’est certainement pas une coïncidence si le premier passe devant le second – et si l’on juge par les conditions de sa naissance, il n’a guère de chances d’atteindre sa trente-troisième année. Et son destin le plus probable est plutôt l’oubli que la crucifixion.
Cohn-Bendit considéra en son temps que la plus grande réussite de sa vie fut de faire défiler en mai 1968 « les staliniens de la CGT » derrière le drapeau noir. Mélenchon pourra, lui, s’enorgueillir d’avoir vu la gauche en général et le Parti socialiste en particulier faire campagne derrière l’affiche « Mélenchon premier ministre ». On a les victoires qu’on peut. Car cette « nouvelle union populaire écologique et sociale » (« nouvelle union etc. » pour ceux qui, comme moi, n’ont pas envie de réécrire à chaque fois le nom complet) est en apparence la réalisation du rêve terrestre de Mélenchon : un peuple (de gauche), un programme, un leader. Mais les apparences, on le sait, sont trompeuses. Raison de plus pour essayer de voir, derrière la poudre aux yeux des « discussions programmatiques » quelle est la réalité de cette négociation.
D’abord, pas la peine de s’exciter sur le programme, sur le « nucléaire or not nucléaire », sur l’absurdité qui consiste à imaginer qu’on peut « désobéir » aux règles de droit issues des traités européens tout en « respectant l’état de droit ». Ce programme vivra ce que vivent les roses : il sera oublié le soir du deuxième tour. Parce qu’il n’y aura pas une majorité de gauche, et par conséquent Mélenchon ne sera pas Premier ministre, et qu’après l’élection chaque composante de la « nouvelle union etc. » formera son groupe parlementaire et défendra son programme, que cela plaise ou non aux gardiens du temple. D’ailleurs, si – Satan nous en préserve – la gauche devait emporter une majorité, il y a fort à parier que le programme en question subirait à peu près le même sort que celui du « contrat de gouvernement » conclu en en 1997 lors de la constitution de la « gauche plurielle », vous savez, celui qui prévoyait l’arrêt de toute privatisation. Ce qui n’a pas empêché ce gouvernement de devenir le meilleur privatiseur dans l’histoire de la Vème République…
Non, la question essentielle pour chacun des participants aux discussions, existentielle même pour certains, c’est la question du partage des circonscriptions. De son côté, LFI redoute de voir le score du premier tour de la présidentielle, gonflé par la dialectique du « vote utile » et par le charisme du Gourou, se diluer dans une élection qui reste locale. Bien sûr, Mélenchon reste un tacticien de génie, et son coup du « Mélenchon premier ministre » le montre amplement. Par ce moyen, il espère « nationaliser » l’élection : dans chaque circonscription, les électeurs ne seront pas appelés à voter pour le candidat X ou Y au charisme douteux, mais indirectement pour Mélenchon lui-même. Mais ce coup de génie risque d’être insuffisant : pour être élu, le prête-nom du Gourou doit arriver au deuxième tour – et avec un taux d’abstention important, cela implique d’arriver dans les deux premières places (1) – et pour cela les quelques points de pourcentage que peuvent apporter communistes, socialistes ou écologistes seront critiques.
Pour les socialistes, les communistes et les écologistes la motivation n’est pas la même. Socialistes et communistes craignent avant tout de perdre leur groupe parlementaire, les écologistes voudraient en ravoir un. Socialistes et écologistes – et en moindre mesure les communistes – sont virtuellement en faillite, et ont besoin pour se requinquer de la manne que constitue le financement public des partis politiques, financement qui n’est acquis que pour les organisations présentant un minimum de 50 candidats ayant obtenu au moins 1% des suffrages, et qui est ensuite partagée en proportion des suffrages recueillis (1ère partie) et du nombre de parlementaires élus (2ème partie). Par ailleurs, les frais de campagne ne sont remboursés qu’aux candidats dépassant 5%. Ces organisations ont donc désespérément besoin de se voir attribuer en exclusivité – c’est-à-dire, sans risque de se voir opposer un autre candidat de gauche – des circonscriptions dans lesquelles elles peuvent faire des scores importants, voire avoir des élus.
Le rapport de forces entre LFI et ses partenaires n’est donc pas aussi déséquilibré qu’il paraît. Sans accord, tout le monde risque d’y perdre beaucoup. Et c’est pourquoi les partisans d’un accord général pouvaient être raisonnablement optimistes. La seule difficulté étant la répartition effective des circonscriptions. Une fois accepté le principe selon lequel on préserve les sortants, il restait à repartir les circonscriptions « gagnables » et celles où un bon score est possible. Il semble que ce soit chose faite. Curieusement, alors que circulent allègrement les textes des discussions programmatiques, rien ou presque n’a filtré sur la liste des circonscriptions proposées aux uns et aux autres. Etranges pudeurs…
Tout ce bel édifice va buter très vite sur une difficulté réelle, qui est celle du pouvoir qu’ont – ou plutôt que n’ont pas – les structures parisiennes pour imposer aux échelons locaux de respecter les accords qu’elles ont conclu (2). Car il ne faut pas oublier que la gauche politique est aujourd’hui largement féodalisée. Paris peut dire ce qu’il veut, mais sur le terrain ce sont les « barons » locaux, notables et élus, qui commandent et qui font un peu ce qu’ils veulent. Il y a fort à parier que le « baron » socialiste ou écologiste qui a envie de se présenter dans sa circonscription et qui pense pouvoir être élu sur son nom n’hésitera pas à défier le candidat « officiel » investi par « la nouvelle union etc. » en présentant une candidature indépendante. Et que fera alors l’organisation nationale ? Rien, bien entendu. Parce que ce sont les « barons » qui ont les clés – et les financements. Au pire, les dissidents écoperont d’une « suspension » sans effet. Et si vous ne me croyez pas, pensez au cas des « grands féodaux » comme Jumel, Peu ou Faucillon, qui ont appelé à la présidentielle à voter pour un candidat autre que celui désigné par leur parti – un motif d’exclusion explicitement mentionné dans les statuts du PCF – et qui malgré cela non seulement n’ont fait l’objet d’aucune sanction, mais en plus ont été investis officiellement par le PCF comme candidats à leur réélection.
On peut donc s’attendre à une floraison de candidatures dissidentes conduites par des « barons » locaux, mécontents du sort qui leur est fait par les accords nationaux. C’est particulièrement vrai chez EELV et chez les socialistes, deux partis au sein desquels on trouve des forts courants opposés à l’accord avec LFI et ayant un fort tropisme vers LREM… mais on voit déjà des exemples chez les communistes, avec la candidature Picard à Vénissieux.
L’édifice risque aussi d’être ébranlé par la réaction des électeurs. Mélenchon, en homme de son temps – c’est-à-dire, du XXème siècle – s’imagine encore qu’on peut encore raisonner comme à l’époque de l’union de la gauche, quand du fait de la discipline de l’électorat –un accord avec le PCF était aussi fiable qu’un chèque de banque, honoré dans les urnes. Mais ces temps ne sont plus, et la discipline de vote est rangée au musée de la politique. Ce n’est pas parce que la direction des partis accepte de retirer leurs candidats respectifs et appellent à voter pour un autre que les électeurs suivront. Beaucoup d’électeurs EELV ne voteront pas pour un candidat communiste quand bien même Jadot et Rousseau frapperaient à leur porte et leur demanderaient à genoux. Et beaucoup d’électeurs socialistes ne voteront pas Mélenchon – pardon, le candidat désigné par Mélenchon – quand bien même les mânes de Blum et de Jaurès apparaîtraient devant leurs yeux pour les en supplier.
Et c’est par ce biais là qu’on revient au programme. Parce que pour que les électeurs aient envie de voter pour le candidat « d’union », il faut que cette union ait un sens en termes de projet, qu’elle soit autre chose qu’un simple rapprochement technique destiné à sauver les meubles. Et ce sens ne se construit pas en trois jours, en particulier lorsque « l’union » réunit des organisations qui ont tiré à boulets rouges les unes sur les autres sans discontinuer pendant des années. Le problème, c’est que les partis ne travaillent pas sur le long terme. La politique, c’est aujourd’hui le royaume du tacticien plutôt que du stratège. Le « projet commun » qui pourrait aujourd’hui mobiliser les électeurs de gauche et les pousser à voter pour le candidat unitaire quel qu’il soit, il aurait fallu commencer à le travailler en 2017, en prenant son temps. A quelques semaines du scrutin, il est trop tard. On en est réduit donc à se contenter d’un « programme » qui n’est que le minimum commun dénominateur, qui évite soigneusement les sujets qui fâchent comme sur le nucléaire, qui marie la carpe et le lapin comme sur l’Europe. Et que les militants n’auront ni le temps ni l’envie de s’approprier.
Et puisqu’on parle d’anticiper, il faudrait commencer à se poser quelques questions. Par exemple, quelle sera la position de la « nouvelle union etc. » dans les circonscriptions où le deuxième tour se jouera entre le candidat du Rassemblement national et celui des Républicains ou de La République en marche… là aussi, pas mal de contorsions en perspective.
Descartes
(1) Pour se maintenir au deuxième tour, il faut soit arriver dans les deux premiers, soit avoir atteint au moins 12,5% des inscrits (article L.162 du Code électoral), ce qui, avec une abstention prévisible autour de 50% donne une barre à 25%. On peut prévoir que le candidat arrivé en troisième position sera, dans la plupart des cas, éliminé.
(2) Et encore, ce n’est pas parce que l’accord est signé au niveau des négociateurs qu’il sera ratifié. Le débat au conseil national du Parti socialiste ce soir risque d’être houleux, avec des « barons » hollandistes vent debout contre l’accord. Vous noterez d’ailleurs une étrange particularité : côté EELV l’accord a été ratifié par un vote du comité fédéral, côté PCF par un vote du comité national, côté PS le conseil national est appelé à se prononcer. Mais qui ratifie l’accord côté France Insoumise ? Aucun débat, aucun vote d’un organe collectif n’est prévu… étonnant, n’est-ce pas ?
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