UN PEU AVANT L’EFFONDREMENT –
Par Georges Kuzmanovic
Le 18 juillet 2022
Ce matin j'ai emmené une de mes filles à la gare Montparnasse pour qu'elle rejoigne une de ses grands-mères.
Tôt. Un peu au radar. L'air est déjà lourd. Mais les petits enfants qui ont la chance de partir en vacances sont contents. Peu importe l'heure, la chaleur ou l'ambiance.
Mais pour l'adulte éveillé, quelque chose ne tourne pas rond. L'approche de la gare Montpanasse ressemble à ce dont j'ai pu être témoin à Belgrade ou à Moscou dans les années 90 : des pays en ruines sur lesquels sont passés des tsunamis économiques et des guerres, rongés par la corruption, livrés aux mafias, sans avenir.
Les gares sont des révélateurs.
Ici, ça sent la pisse de manière violente à 6h15, même dehors, même sur l'esplanade de la gare ! Ça doit être la chaleur. Allons, il ne faut pas y voir autre chose.
Des déchets en tout genre jonchent le sol, partout des papiers gras, des mégots, des mouchoirs, même des serviettes hygiéniques.
Les poubelles débordent ou sont éventrées ou ne sont pas. Sûrement tous ces feignants de syndicalistes de la voirie qui ne veulent pas se lever tôt pour travailler. Toute autre explication serait inconvenante.
On croise deux seringues qui prennent l'air matinal, visiblement épuisées des services rendus dans la nuit. Trois adeptes des opiacés, les yeux vitreux, ne semblent pas bien inquiets du manque de policiers.
Deux rats ( surmulots) morts et un pigeon éventré (sec, la mort n'est pas récente) en 150 mètres.
Le sol est tapissé d'arabesques immondes superposées, oeuvre de la rencontre de vieilles pisses, de vomis toujours là, de traces de liquides improbables.
Ici et là des trucs en travaux qui, comme partout, semblent voués à une éternité d'efforts sans que jamais on n'en voie le bout.
Des choses récemment plus ou moins refaites à neuf s'écaillent, se fissurent, se gondolent. Sisyphe a dû élire domicile à Paris, sinon c'est incompréhensible. Mais ça donne l'occasion aux Chinois de passage de rire de nous - c'est important, les bonnes relations entre les peuples.
La moitié des escalators sont en panne - sûrement dans le but de limiter la consommation d'énergie pour, en même temps, sauver la planète et faire s'effondrer l'économie russe ; toute autre interprétation serait politiquement incorrecte.
Les visages épuisés et amers de deux handicapés face au énième escalator à l'arrêt sont un crève-cœur. Heureusement, la solidarité humaine est là pour pallier.
D'horribles blocs de béton dignes des plages du Débarquement encombrent la chaussée. Une piste cyclable est sûrement en voie de réalisation. En attendant son achèvement pour 2024, ça permet de créer quelques bouchons au petit matin.
Des gens errent.
De petits groupes de migrants epuisés, certains l'air mauvais, croisent sur le petit matin du désespoir des sans-abris bien trop nombreux. La solidarité humaine a visiblement des limites. Eux vont subir avec violence la canicule du jour dans les remugles de pisse. Mais la mairie de Paris a bien fait les choses : un panneau numérique, où toutes les lettres ne s'affichent pas bien, rappelle dans une novlangue bisounours de bien s'hydrater. Ça ira.
Et pourtant, la France n'a pas été en guerre récemment sur son territoire. Certes, les génies qui nous gouvernent mènent une guerre economique à la Russie, qui bientôt, bientôt aboutira (dire le contraire vous classe dans la catégorie des agents du Kremlin) - étant la 5ème puissance militaire mondiale et la 7ème économie mondiale, on devrait y arriver.
Nous n'avons pas subi un tsunami économique. Bon, certes, des pans entiers des classes populaires et moyennes peinent à sortir la tête des consequences de la crise de 2008, jamais vraiment résorbée par les genies qui nous gouvernent, mais depuis des décennies les richesses s'accumulent. Et puis ça va. Il n'y a presque plus de chômage (le fou rire est interdit).
Le pays est presque chaque année plus riche. La croissance, même réduite, est quand même là. La France bat des records d'enrichissement des plus riches : + 430% en dix ans ; quatre fois plus qu'en Russie, trois fois plus qu'aux USA ! C'est dire si on est des champions ! Faire plus fort que les oligarques russes, ça demande quand même du talent, un art, un être au monde si parfaitement incarné par le locataire de l'Élysée.
Grâce au ruissellement de ce pognon de dingue, les premiers de cordée nous emmènent assurément vers les sommets.
Ou alors, peut-être qu'ils nous laissent là pour voir comment on va s'en sortir après qu'ils ont pillé la Nation et sabordé la France ?
Ce que nous observons partout, ce ne sont pas les conséquences d'un effondrement, c'est pire : ce sont ses prémices.
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