La guerre ? Quelle guerre ?
Jouer sur les mots est la technique de base de toute manipulation. Mais, comme c'est le cas pour sa sœur la publicité, la propagande veille à ce que ses messages apparaissent comme un usage "objectif" du langage alors que les termes utilisés sont le plus souvent des métaphores (rapports de similarité) ou des métonymies (rapports de contiguïté) de vocables qui, eux, seraient pertinents pour les réalités concernées. Un patron peut être un vrai requin, mais un vrai requin ne peut pas être un patron, tout comme, plutôt que de boire une bonne bouteille, d'aucuns comme moi préférent boire le vin qui est dedans. Les rhéteurs antiques avaient déjà recours à ces artifices pour emporter la "conviction" de leur auditoire. Chomsky dirait : leur "consentement".
Ce jeu qui fait tout le sel de la poésie angélique peut se révéler dangereux et même diabolique quand il est pratiqué par les experts en "communication" (comprendre "intox") que sont les médias, les porte-paroles et les chefs d'états eux-mêmes. Les mots aussi sont des armes, et des armes déloyales quand ils sont détournés de leur véritable sens.
Dans la campagne de désinformation concernant les suites du raid du Hamas en Israël du 7 octobre, l’utilisation du mot « guerre » et est une mise en œuvre de cette artillerie langagière. La définition habituelle de ce mot est : "conflit armé entre différentes nations ou états (déclarer la guerre à un pays), ou différents groupes au sein d'une nation ou d'un état (guerre civile)." Ce qui se passe aujourd'hui à Gaza est-il une guerre ? Dans ce cas, il s'agirait de batailles entre adversaires équivalents statutairement et techniquement, disposant de moyens comparables, et dont les revendications seraient sur le même plan.
Or, alors qu'Israël intime à un million de Palestiniens l'ordre de quitter leur domicile pour se rendre vers le sud afin de transformer leur pays en glacis vitrifié et stérilisé sans que les intéressés puissent même emmener les malades hospitalisés, et sans qu'aucune structure ne soit prévue par quiconque pour les héberger, les médias continuent de présenter cette tragédie inhumaine comme une "guerre".
Qu'il soit représentatif ou non, le Hamas est un parti politique, mais pas un état, ni une nation. On peut le taxer de "terroriste" ou tout ce qu'on veut (après l'avoir utilisé et financé pour diviser le camp adverse), mais ce n'est pas plus la Palestine que l'ETA n'est le Pays Basque. La bande de Gaza, un territoire qui abrite 2,3 millions de membres du peuple Palestinien n’est, lui non plus, ni une nation ni un état. C'est une prison à ciel ouvert. Le mur d’acier et de béton de 6 mètres de haut, équipé de capteurs, de systèmes d’armes et de radars télécommandés, de caméras et de capteurs souterrains, constitue un « mur de fer » séparant ce territoire de l'état d'Israël, et l'"exploit" réalisé par le commando du Hamas reste une énigme à élucider, mais ce n'est pas l'objet de cet article.
Pour s'en tenir aux actes militaires des opérations, n’y a aucune commune mesure entre les adversaires qui sont tout sauf des "belligérants". Les combattants du Hamas utilisent des missiles, des drones et des planeurs, mais ne disposent pas d’armée de l’air ni de marine, alors qu'Israël possède la quatrième plus grande armée au monde, une flotte d'avions de combat F-15, F-16 et F-35, 2 200 chars, ainsi que des missiles, des drones et des systèmes de surveillance sophistiqués capables de localiser et de détruire des cibles individuelles (mais qui se seraient mystérieusement mis en veilleuse le 6 octobre dernier).
Peut-on parler de "guerre" contre un territoire dont on contrôle l’espace aérien, les eaux territoriales, les frontières, l’électricité, l’approvisionnement en eau et la circulation des personnes et des biens ? Le vocabulaire utilisé par les médias pour rendre compte de l'actualité au proche-orient est pour le moins décalé par rapport à la réalité historique. Le peuple palestinien de Gaza et de Cisjordanie occupée qui résiste depuis 75 ans au vol de leurs terres, à la colonisation, au meurtre, à la torture, à l’emprisonnement sans procédure régulière, aux punitions collectives, à la manipulation, à l’humiliation et au génocide est aujourd'hui qualifié de « militants » et de « terroristes ». Par contre, les troupes d’occupation israéliennes sont baptisées "forces de défense » ou "commandos".
Mais ces abus de langage ne sont pas nouveaux concernant Israël. Après avoir autoproclamé son statut d'état en 1948, les dirigeants de l'époque ont mis en œuvre le Plan Daleth qui, partout ailleurs dans le monde, aurait été qualifié de "nettoyage ethnique", en appelant au retrait ou au « transfert » systématique des Palestiniens de leur terre. Des opérations militaires ont été organisées pour dépeupler et détruire par la force les centres de population palestiniennes et écraser la résistance.
En 1982, la version officielle d'angélisme défensif concoctée par les experts ès communication a été mise à mal par le bombardement de Beyrouth, mais pour contrer les critiques internationales et reconquérir l’opinion publique, le Congrès Juif Américain a parrainé une conférence à Jérusalem en 1983 et mis en place le "Hasbara" (mot signifiant "explication" en hébreu) dont l'objectif était de garantir le soutien indéfectible des Etats-Unis et de rendre quasiment impossible toute critique des actions d’Israël (sous peine d'être taxé d'antisémite, entre autres). Et c'est cette stratégie qui continue à porter ses fruits aujourd'hui. Le plan Daleth visant à nettoyer ethniquement et à contrôler toute la Palestine est en voie d'accomplissement avec la bénédiction de la "communauté internationale", comme se nomment eux-mêmes les vassaux des Anglo-Américains et leurs maîtres.
Les dirigeants d'Israël sont prêts à tout pour conserver leur pouvoir et leurs colonies et les États-Unis, soucieux de l’avenir de leur avant-poste militaire au cœur du Moyen-Orient, ont donné leur feu vert à la poursuite des bombardements malgré les discours affirmant le contraire.
Lors d'une visite au Moyen-Orient en 1999, Nelson Mandela avait exprimé son soutien à la lutte palestinienne et déclaré : « Il faut choisir la paix plutôt que la confrontation, sauf dans les cas… où nous ne pouvons pas avancer. Alors si la seule alternative est la violence, nous utiliserons la violence." Ce qui se passe en ce moment n'est pas une "guerre", mais une confrontation violente dont le prétexte est un attentat terroriste mais dont la véritable raison est l'acharnement à nier l'existence d'un peuple.
Pour le Haut-Karabakh, d'aucuns ont ici même parlé de "génocide" et de "nettoyage ethnique". Leur silence aujourd'hui est plus éloquent que leurs émois d'hier. Les mêmes mots n'ont pas toujours le même sens pour certains.
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