mardi 13 février 2024

 

Le cas Hans-Georg Maaßen: un fasciste aux sommets de l’État allemand

L’excellent WSWS, ici en relation avec le non moins excellent Junge Welt, révèle une information que la presse française n’a pas relayée et ne relayera pas. Qui s’en étonnera encore ? Elle confirme ce qu’a dit un livre publié depuis des années aux Etats-Unis et dont les faits sont reconnus, à savoir l’opération boomerang (1) qui décrit non seulement le fait qu’il n’y a pas eu dénazification en Allemagne mais qu’au contraire l’Allemagne de l’ouest est devenue un bastion pour les anciens nazis durant la guerre froide. Comme en Pologne avec Tusk, c’est tout un appareil d’Etat qui est mis au service de la guerre contre l’URSS puis la Russie et qui prend aujourd’hui un rôle de pointe dans la guerre en Ukraine en poussant y compris jusqu’à une guerre nucléaire. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Christoph Vandreier

La principale agence allemande de renseignement intérieur, l’Office fédéral de protection de la Constitution, a révélé la semaine dernière qu’elle fichait son ancien patron Hans-Georg Maaßen comme «suspect d’extrême droite». L’agence a été contrainte d’admettre qu’elle avait été dirigée pendant huit ans par un extrémiste de droite.

L’Office fédéral de protection de la Constitution [Bundesamt für Verfassungsschutz ou BfV en allemand], le principal service de renseignement intérieur allemand, a révélé la semaine dernière qu’il fichait son ancien patron, Hans-Georg Maaßen, comme «suspect d’extrémisme de droite». L’agence a été contrainte d’admettre qu’elle avait été dirigée par un extrémiste de droite pendant huit ans.

L’affirmation que Maaßen ne se serait radicalisé que ces dernières années n’est rien qu’une minable excuse. Il a toujours été extrémiste de droite et cela était de notoriété publique. En fait, son accession au sommet du service secret prouve que les cliques fascistes sont systématiquement encouragées et protégées au sein de l’appareil d’État.

Maaßen a lui-même confirmé sur son site web qu’il était surveillé par le renseignement intérieur, après que le magazine politique Kontraste de la chaîne publique ARD en eut informé. La déclaration écrite du Verfassungsschutz concernant Maaßen se fonde exclusivement sur des déclarations qu’il a faites publiquement et qui ne laissent aucun doute quant à ses opinions d’extrême droite et fascistes.

Est cité par exemple un article de Maaßen paru dans l’hebdomadaire suisse Weltwoche dans lequel il affirme que le chancelier Olaf Scholz et la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser (tous deux sociaux-démocrates, SPD) visent à provoquer «l’effondrement de la société allemande» avec leur politique en matière de réfugiés et d’immigration, «afin de construire sur ses ruines un système social néo-socialiste». Il y assimile l’afflux de migrants à un cancer qui doit être combattu par la «chimiothérapie».

Maaßen se voue depuis janvier avec l’Union des valeurs, un groupe qui jusque là faisait partie de la CDU chrétienne-démocrate, à la fondation d’un nouveau parti. Il s’est déclaré prêt à former des coalitions avec le parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) et pourrait aider ce parti fasciste à accéder au pouvoir, notamment dans les Lands d’Allemagne de l’Est. Des représentants de l’Union des valeurs avaient participé à la notoire réunion de chefs de l’AfD et d’autres extrémistes de droite dans une villa de Potsdam, qui planifiait l’expulsion de millions de gens issus de l’immigration.

En tant que dirigeant du ‘‘Groupe de projet immigration’’ au ministère allemand de l’Intérieur, Maaßen a défendu une politique extrêmement restrictive à l’égard des réfugiés et a veillé à ce que Murat Kurnaz, qui est né et a grandi à Brême, reste prisonnier pendant cinq ans, alors qu’il était innocent, au centre de détention de Guantanamo Bay.

En 2012, Maaßen a été nommé à la tête du Verfassungsschutz afin de dissimuler les liens étroits de cette agence d’espionnage avec le groupe terroriste d’extrême droite NSU (Nationalsozialistischer Untergrund – Groupe national-socialiste clandestin) et de préserver le réseau fasciste responsable du meurtre d’au moins neuf immigrés et d’une policière.

Après sa création, l’AfD a pu compter sur le soutien de Maaßen et de son agence. Il est avéré que Maaßen a rencontré plusieurs fois Frauke Petri, alors présidente de l’AfD, son successeur Alexander Gauland et au moins un représentant de son aile fasciste. Il a discuté avec eux, entre autres, des rapports de l’agence de renseignement.

Tout en rapprochant le service de renseignement des milieux d’extrême droite, il s’en est pris de façon agressive à tous ceux qui s’opposaient à la droite politique. En 2018, Maaßen a ordonné que le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Parti socialiste pour l’égalité) soit inclus dans le rapport du Verfassungsschutz en tant qu’«organisation d’extrême gauche» et soit donc soumis à la surveillance des services de renseignement. Pour justifier sa décision, le Verfassungsschutz a déclaré que le parti était «contre le prétendu nationalisme, l’impérialisme et le militarisme» et qu’il dénigrait le capitalisme.

Le SGP a intenté une action en justice contre cette décision et a ainsi démontré que le gouvernement allemand renouait directement avec les traditions de l’interdiction du Parti social-démocrate (SPD) par Bismarck et de la persécution des sociaux-démocrates et des communistes sous Hitler: «Aujourd’hui, la grande coalition et ses services secrets préparent une troisième édition des lois anti-socialistes», a écrit le SGP. «Ils adoptent la politique de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et menacent d’interdiction quiconque critique ce parti d’extrême droite».

C’est précisément la raison pour laquelle Maaßen a été nommé à la tête du renseignement intérieur. Il s’agissait de renforcer les réseaux d’extrême droite et de rendre le marxisme illégal. Il n’a été contraint de démissionner qu’après l’indignation publique suscitée par le fait qu’il avait défendu les déchaînements de l’extrême droite contre les migrants et les juifs dans la ville de Chemnitz en 2018 et fulminé contre les «forces de l’extrême gauche au sein du SPD».

Le renvoi de Maaßen n’a pas changé le moins du monde l’agenda antidémocratique du BfV. Les réseaux d’extrême droite qu’il couvrait sont restés intacts et des centaines d’employés embauchés pendant qu’il était en fonction sont restés à leur poste. Thomas Haldenwang, qui avait travaillé en étroite collaboration avec Maaßen pendant cinq ans en tant que vice-président de l’agence, a été nommé à sa tête. Le SGP est resté sous surveillance et les attaques ont été étendues à d’autres formations de gauche, comme le groupe de protestation anti-changement climatique Ende Gelände et le quotidien Junge Welt.

La continuité au sein du renseignement intérieur prouve qu’il ne s’agit pas simplement d’un individu, mais de l’agenda politique de la classe dirigeante. C’est pourquoi Maaßen a été soutenu par tous les partis politiques. C’est le ministre de l’Intérieur du SPD, Otto Schily, qui l’a nommé à la tête du «Groupe de projet immigration» en 2001. La CDU, la CSU (Union chrétienne sociale) et les libéraux-démocrates (FDP) l’ont ensemble nommé à la tête du BfV. Le Parti de gauche a lui aussi maintenu des contacts étroits avec lui et l’a même invité à une réunion publique en 2013.

Le SGP est dans le collimateur de cette conspiration politique parce qu’il a mis au jour les réseaux d’extrême droite aux plus haut niveau de l’establishment politique allemand et qu’il a montré comment la classe dirigeante en Allemagne renouait avec ses traditions fascistes. L’AfD a été systématiquement construite et son agenda d’extrême droite en matière de réfugiés, de guerre et de politique intérieure mis en œuvre par les gouvernements d’Angela Merkel et d’Olaf Scholz. Dans le livre « Warum sind sie wieder da ? » [Pourquoi sont-ils de retour ?], qui examine le retour du fascisme en Allemagne, nous avons expliqué:

Si la conspiration de l’élite dirigeante en 1933 était basée sur un mouvement fasciste existant, aujourd’hui c’est l’inverse. La montée de l’AfD est le produit d’une telle conspiration. On ne peut la comprendre sans examiner le rôle du gouvernement, de l’appareil d’État, des partis, des médias et des idéologues dans les universités qui lui ont ouvert la voie.

Le livre traite en particulier de la manière dont les atrocités commises par les nazis sont banalisées dans les universités allemandes afin de rendre acceptables les positions de l’extrême droite et de laver le militarisme allemand de ses crimes historiques afin de «renouer avec les objectifs [de l’impérialisme allemand] des deux guerres mondiales».

Lorsque nous avons critiqué le professeur de l’Université Humboldt Jörg Baberowski pour avoir déclaré dans Der Spiegel qu’Hitler n’était «pas cruel» et que l’Holocauste était en substance la même chose que les fusillades durant la guerre civile russe, les représentants de tous les partis parlementaires et de la plupart des médias se sont rangés du côté du professeur d’extrême droite. Lorsque des dizaines de conseils d’étudiants et des milliers d’étudiants ont adopté les critiques du SGP et protesté contre les doctrines d’extrême droite, le renseignement intérieur est intervenu et placé le SGP sur la liste des organisations extrémistes.

Le cas Maaßen montre à quel point notre évaluation était correcte. Les réseaux terroristes d’extrême droite au sein de l’appareil d’État et l’AfD fasciste ne sont pas des corps étrangers dans un organisme par ailleurs sain, mais les pires symptômes d’un système rongé par la maladie. Comme dans la première moitié du XXe siècle, le capitalisme conduit à des formes extrêmes d’inégalités et à des guerres impérialistes de plus en plus brutales. La guerre menée par l’OTAN contre la Russie et le génocide israélien contre les Palestiniens en témoignent.

La classe dirigeante allemande joue à nouveau un rôle particulièrement agressif dans l’éruption mondiale de la guerre impérialiste. Elle se prépare ouvertement à une guerre directe avec la Russie et réarme massivement pour que l’Allemagne soit de nouveau «bonne à la guerre». Dans la politique des réfugiés également, le programme de l’extrême droite fait depuis longtemps partie de la politique gouvernementale. Pas plus tard que le 18 janvier, le Bundestag, avec les voix des partis de la coalition au pouvoir, SPD, Verts et FDP, a adopté la loi dite «d’amélioration du rapatriement», qui jette les bases d’une déportation massive des réfugiés.

Cette politique impitoyable ne peut être imposée contre l’énorme opposition de la population qu’avec les méthodes de la dictature et du fascisme. C’est pourquoi l’extrême droite est renforcée et courtisée par tous les partis, non seulement en Allemagne, mais dans le monde entier. Partout, la classe dirigeante se tourne vers des formes de pouvoir dictatorial.

Mais la résistance à ces formes de pouvoir s’accroît également dans le monde entier. Les manifestations de masse qui ont lieu depuis des semaines contre l’AfD montrent à quel point l’opposition au retour du fascisme et de la guerre est grande en Allemagne. Mais elles soulèvent aussi avec la plus grande urgence la question de la perspective politique. Dans la lutte contre la droite fasciste, on ne peut pas s’appuyer sur l’appareil d’État bourgeois et sur les partis qui le défendent, qui défendent le capitalisme et qui courtisent la droite. Seul un mouvement international de la classe ouvrière contre le capitalisme peut arrêter la guerre et le fascisme.

(Article paru en allemand et anglais le 7 février 2024)

(1) Le Boomerang américain, editions delga

29.00€

«Le Boomerang américain atteint enfin le public francophone après 35 ans de censure de fait et ce, dans une conjoncture internationale, la guerre russo-ukrainienne ou plutôt la guerre Russie-OTAN, que sa lecture éclaire. Son auteur, le journaliste Christopher Simpson [décrit que] cette “politique de Libération du bolchevisme”, concept puisé à l’arsenal sémantique du IIIe Reich, avait nécessité l’embauche américaine (britannique et française), précoce et systématique, de criminels de guerre, nazis allemands et collaborateurs du Reich dans toute l’Europe occupée, URSS comprise. Les services de renseignements américains, dominés par l’Office of Strategic Services (OSS, ancêtre de la Central Intelligence Agency, CIA) lié au département d’État et par le Counterintelligence Corps (CIC) du secrétariat à la Guerre, savaient tout, quand ils engagèrent ces criminels, allemands et “européens”, de leurs activités: ils avaient depuis 1941 consigné par écrit le moindre détail du palmarès sanglant, à travers le continent européen, des organisateurs, exécutants et tortionnaires de massacres et reconstitué leur cursus d’avant-guerre, déjà éloquent. Ces dossiers et listes interminables comportaient des millions de noms, allemands et “européens”, consignés dans l’immense registre américain de la “recherche des criminels de guerre” (Central Registry of War Criminals and Security Suspects, Crowcass).


Aucun commentaire: