dimanche 10 mars 2024

 

Remarquable leçon de (géo)politique de Jacques Sapir

Jacques Sapir balaie l’ensemble de la situation géopolitique et politique française, et c’est très intéressant nous dit Franck Marsal à propos de cette vidéo.

Quelques idées forces :

  1. L’économie de la Russie va (très) bien. Cela lui donne la capacité d’augmenter sa productions d’armes et de munitions.
  2. L’armée ukrainienne manque de munitions, elle perd plus d’effectifs qu’elle ne peut en renouveler et ceux qui sont mobilisés récemment ne peuvent être formés correctement. Sa situation se dégrade désormais irrémédiablement. Le risque est désormais celui de la survie de l’Ukraine en tant qu’état. La logique pour l’Ukraine serait donc de négocier au plus vite, afin d’éviter l’effondrement. Il y a des signes de ces tentatives de négociations : la navette diplomatique de la Chine a repris et la Turquie a, à nouveau, proposé ses services. On pourrait se demander d’ailleurs dans quelle mesure la sortie médiatique de Macron sur les troupes de l’OTAN envoyées en Ukraine ne serait pas une sorte de service commandé pour torpiller ces négociations, comme l’avait fait Boris Johnson au début de la guerre. Notons au passage que l’on n’entend plus guerre le gouvernement anglais, qui se contente de reclasser les décideurs ukrainiens mis à l’écart par Zelenski : après Reznikov, l’ancien ministre de la défense, c’est au tour de Zalouzhny d’être nommé ambassadeur à Londres.
  3. Les pays européens ne sont plus en capacité de soutenir l’Ukraine. Quant aux USA, ils sont confrontés à 3 questions stratégiques : Taïwan, le Moyen Orient, et l’Ukraine, dans cet ordre selon Jacques Sapir, Taïwan étant en tête car produisant massivement les microprocesseurs indispensables à l’industrie US.
  4. Rien n’indique qu’en cas de victoire, la Russie voudrait aller plus loin et attaquer des membres de l’OTAN, la priorité serait de reconstruire une armée conventionnelle capable d’assurer une défense correcte, en premier échelon avant une éventuelle utilisation de la force nucléaire.
  5. L’amateurisme assumé et avéré de la politique internationale de Macron et la perte générale de compétences internationales, qui s’accompagne d’une perte de qualité de la presse française, revenue à ses vieux démons des années 20 et 30.
  6. L’évolution sociale et politique interne remarquable de la Russie :
    1. le soutien croissant de la population envers le gouvernement qui a réussi à relever les défis militaires et économiques
    2. L’amélioration de la situation économique de la classe ouvrière russe
    3. La reprise par le gouvernement russe du pans entiers du programme du Parti Communiste (KPRF), dans laquelle Jacques Sapir voit une manière Vladimir Poutine de “tirer le tapis” sous les pieds de ce parti, mais (c’est un de mes rares et légers désaccords avec ce long entretien de Sapir), on peut le voir à l’inverse comme une progression remarquable de l’influence des idées portées par le KPRF.
  7. Enfin, la dimension historique de la montée en puissance des BRICS.

La France prise dans ses vieux démons, et la Russie qui retrouve un chemin de construction et de développement dans un monde qui bascule d’un centre de gravité à un autre … , que parviendra-t-on à en dire dans la campagne des élections au parlement de l’UE ?

La France, elle aussi, peut retrouver le chemin de la cohésion sociale, du développement matériel et moral, mais c’est un changement radical qu’il faut préparer. L’UE appartient au passé. Les nations européennes ne se sont pas unifiées et elles ne parviendront pas à le faire dans le cadre capitaliste. La France peut retrouver un rôle positif dans son environnement géographique, en sortant l’Europe de son auto-enfermement paranoïaque et en redonnant à la classe ouvrière sa place motrice du développement. L’Europe forteresse prend l’eau de toutes parts. Elle se disloque et n’a pas l’ombre d’un projet. La France n’est pas un “petit pays” qui devrait sans cesse se mettre à l’abri des grands (en 40 l’Allemagne, ensuite les USA). La France est le 20ème pays du monde par la taille de sa population et le 40ème par la taille de son territoire. Sans parler des atouts économiques, scientifiques, historiques ou linguistiques qui sont les nôtres, c’est déjà tout à fait suffisant pour se faire respecter … à condition de commencer par se respecter soi-même.

La question de la défense nationale n’est pas un mauvais point d’entrée dans le sujet. Un pays doit s’assurer de sa défense et il doit le faire avec toute l’autonomie stratégique nécessaire. On ne peut pas compter sur les autres pour assurer sérieusement sa défense. Parce que les autres, chaque pays, a ses préoccupations, ses intérêts, ses difficultés. Etre adulte, c’est être responsable de soi-même, c’est assurer sa propre sécurité, y compris en évitant de prendre des risques inconsidérés. C’est distinguer l’important de l’accessoire, c’est éviter de se faire manipuler par des gens malsains et c’est aussi apprendre à nouer des relations saines avec son entourage, ce qui suppose comme l’indique vertement Jacques Sapir, d’apprendre à le connaître. La diplomatie est la première et plus importante ligne de défense d’un pays. En se laissant volontairement instrumentaliser par des puissances étrangères et en détruisant et méprisant la diplomatie, Macron met notre pays en danger.

Ensuite, assurer sa défense impose de se mettre en bonne condition physique et mentale. Cela place donc d’emblée le questionnement sur le terrain des capacités de production et des capacités de développement scientifique et technologique. On parle donc d’investissements, de classe ouvrière, d’éducation et de recherche, et tous cela doit se construire avec un bon équilibre entre une base d’autonomie et des coopérations bien réfléchies.

L’autonomie et les coopérations équilibrées s’articulent dialectiquement. Une coopération saine ne peut s’établir qu’entre nations autonomes et souveraines, capables de s’engager sans dépendre du veto d’une tutelle extérieure. Une nation souveraine est nécessaire pour choisir les coopérations pertinentes et non subir des coopérations imposées, comme c’est le cas aujourd’hui, tant au sein de l’UE que de l’OTAN. En même temps, il est clair qu’un pays comme la France ne peut pas développer sa souveraineté sur une base autarcique mais a besoin d’établir les bonnes coopérations. Il faudra pour cela regarder non le monde du passé, dominé par l’occident et les USA mais le monde de demain, tellement riche d’opportunités à la fois dans le lointain (Asie) que dans le proche (Afrique) en en adoptant les nouvelles règles, en particulier celle d’un égal respect dans les relations entre toutes les nations.

Cela nécessite un profond renouvellement politique et social, semblable à celui amorcé à la Libération, mais coupé dans son élan par la révocation des ministres communistes, la répression militaire des grèves de 47-48, la signature du Plan Marshall et la soumission volontaire de la France aux USA et aux institutions soi-disant “européennes”, la CECA devenue CE puis UE aujourd’hui.

Cela nécessite aussi d’engager la transition vers le socialisme, car seule une organisation socialiste de la société française serait aujourd’hui capable de relever les défis de la souveraineté, de la réindustrialisation et de la construction d’un nouveau modèle productif, maîtrisant le risque climatique. Sortir du modèle de profit et d’accumulation capitaliste, planifier les investissements nécessaires à grande échelle et mobiliser les énergies créatrices du peuple dans le sens de l’intérêt collectif.

Un tel changement ne peut pas être le fruit d’une organisation politique seule (aussi efficace fut-elle). Il y a une alliance de classe à construire. Celle-ci ne peut pas prendre la forme de la “gauche” au sens d’une alliance dirigée par la petite-bourgeoisie qui instrumentalise le mouvement ouvrier, mais une alliance populaire dirigée par la classe ouvriére et bâtie sur ses principes.

(Note de Franck Marsal pour Histoire&Société)

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