Qui peut se permettre d'écrire aujourd'hui un
livre dont le titre est une vraie provocation, à moins que ce ne soit tout simplement une ineptie : L'avenir du
communisme ? Quand je vous aurai dit qu'il s'agit
d'un prêtre, psychanalyste de surcroît et que le communisme ne lui fait
pas peur, qu'il lui paraît même la seule solution
pour sortir de l'abîme où nous sombrons, je devine que je vais
déclencher des réactions indignées - du genre : "curé, lacanien,
stalinien ! il cumule, le mec. Comment peut-on lire des
trucs à ce point aberrants ?" Non seulement on peut, mais il faut
lire L'avenir du communisme.
Maurice Bellet,
puisque c'est de lui qu'il s'agit, a derrière lui une oeuvre
atypique et riche, qui n'est soumise à aucun sectarisme théologique,
analytique ou politique et qui ne se soucie pas de plaire aux
uns et aux autres. Son seul souci, sa seule exigence, la recherche
d'une vérité ouverte et vivante.
D'entrée
de jeu, Bellet se place dans une perspective thérapeutique. Le monde
est malade, et sa maladie risque fort
d'être mortelle ; le monde est fou, folle l'idéologie dominante
qui prétend que tel est l'ordre des choses et qu'on n'y peut rien
changer. Les plus conscients, jusqu'à présent, n'ont
proposé que de mettre un peu de pommade
sur les plaies des pauvres et sur celles de la planète. Personne n'ose
s'attaquer à un changement radical de
notre rapport au monde et aux autres - le rêve même de la
révolution a été perverti par les marchands qui en ont fait un slogan
publicitaire pour vendre leur merde. Nous n'avons le choix
qu'entre l'attente fataliste de la catastrophe finale et la
crispation identitaire et intégriste sur un passé révolu.
Mais
il est une voie à explorer : celle du communisme. Non pas celui qu'a
tué définitivement le stalinisme, et
ses pitoyables avatars, mais ce qui, au départ, représentait une
réelle" puissance de séduction et son lien à la grande espérance."
"L'avenir du communisme n'est pas la simple prolongation de
ce qu'il en reste. C'est la reprise de l'espérance qui s'incarnait
en lui et qui, dans la crise où nous sommes, est plus nécessaire que
jamais." (p.17) Au
départ, la volonté de Marx était bien de se battre pour qu'on en
finisse "avec l'inhumain, avec des relations humaines qui sont en fait
destructrices." (p.35) Ce qui
l'amenait à "un réalisme qui critique à fond tous les arrangements,
qu'ils soient de religion, de morale, de philosophie, qui sous prétexte
de Dieu, de
Devoir ou d'Idée, consentent en fait à un état de choses
inadmissible." C'est à une telle force inaugurale qu'il nous faut
retourner, avec la lucidité que l'Histoire nous a enseignée et avec le
courage d'une espérance plus forte que toutes les désespérances.
"Du coup, ce qui s'annonce c'est un mode de pensée qui est
fondamentalement instable, non parce qu'il s'égare dans la confusion,
mais parce qu'il ne peut que basculer en avant."(p.44)
Le
monde dans lequel nous vivons et qui nous entraîne dans sa course
insane vers un toujours plus qui ne se peut
atteindre qu'en excluant une majorité d'hommes du simple
nécessaire fonctionne sur le "mixage" pervers et mortifère entre la
science, la technique et l'économie. Et certes sont sortis de là ce
que l'on peut appeler des progrès (médecine, etc)." Mais le pire
habite le meilleur. Il y croît, il y prospère, comme le cancer dans le
corps humain. Il y prend la forme du crime
organisé. Pas la bande de malfrats qui casse les banques, mais la
banque, quand elle devient refuge de l'argent sale."Le résultat est la
mort de l'humain dans l'homme, le délire consumériste
dont les plus pauvres ne sont pas forcément à l'abri, "la
compulsion [comme] fixation de l'insatiable." (p.61)
Nous
voici donc appelés à une radicalité extrême seule à même de nous sauver
de l'extrémité radicale vers où nous
sommes précipités. Violence contre violence. Refus de
l'inadmissible et ouverture vers un autre type de relation entre les
hommes où se brise " le cercle qui sans cesse se referme, enfermant
les humains dans ce que le Pouvoir leur impose." Le nom de cet
autre type de relation entre les hommes est "amour". "Au coeur de ce
typhon, le seul lieu qui peut rester intact et se retrouver
comme vierge, c'est cette donation toute primitive qu'aucun nom ne
peut égaler, sauf le nom propre de ceux qui s'aiment.'(p.90)
Ouvrir ce qui est clos,
s'ouvrir à ce qui vient, à la création nouvelle en laquelle
l'homme se risque - " il y a une générosité de création, de partage, de
donation qui donne à la vie un goût de
jubilation."(p.98) Belet
reprend les termes compris jusqu'à présent dans leur sens
démentiellement économique en leur donnant une tout autre portée. Ainsi
de la croissance :"il faut croître beaucoup plus, mais dans la
subversion de notre conception de la croissance, étrécie et finalement
perverse."(p.108)
J'entends les ricanements, je vois les épaules se lever - utopie que tout cela, rêve de vieillard. Utopie, oui, le
terme est assumé, rêve aussi - on est ici proche d'Ernst Bloch et du Principe Espérance,
proche du ressort essentiel
du messianisme qu'il soit chrétien ou marxiste, proche de Levinas
et de son interdit premier "tu ne tueras pas". Et il ne s'agit pas
d'idéalisme, la violence de cette conversion n'est pas
occultée; ni d'angélisme, puisque c'est bien ici-bas que le combat
se mène et que ce qui est à sauver c'est d'abord le corps de l'homme,
de l'homme malade, de l'homme souffrant. "Le corps
humain dans sa complexité, est plus riche et plus vaste que le
reste de l'univers. Le corps éveillé de l'homme est le centre du monde,
car c'est par lui qu'il y a un monde qui s'éveille hors de
la torpeur sans fond des choses. La planète Terre vaut plus que
tout ce que l'astronomie a pu découvrir jusqu'ici."(p.120)
Vive
l'homme de l'instabilité puisque lui seul est vivant et donne la vie !
sinon que reste-t-il sinon à aller
rendre hommage aux temples de la consommation, acheter, vendre,
des choses, se vendre, acheter celles ou ceux qui se vendent, des êtres
humains, voler, violer, piller. ? Qu'est-ce que nous
attendons ?
Le 13 Décembre 2013
PATRICK RODEL
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