26 mai 2018
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Le jeune président de la Start-up Nation était en fait un vieux con comme les autres.
Affordance Info
Je
partage à peu près autant les idées d’Emmanuel Macron que la
déclaration d’impôt de Patrick Balkany. Mais il est deux points sur
lesquels j’espérais que la raison puisse l’emporter sur mes convictions.
Primo il était "jeune". Et deuxio il ne se ferait pas prendre le mulot dans le bon coin puisqu’à l’instar du proctologue, il voyait du digital partout.
Et
puis il y eut #Parcoursup. Alors là j’avoue qu’au delà de l’algorithme
tout moisi, en plus de faire bien pire que le déjà sinistre APB, ma
sidération fut totale. Tout le monde savait que la fin de la
hiérarchisation des voeux allait causer un bordel innommable. Tout le
monde l’avait expliqué et démontré. En tout cas tous les gens sérieux.
Mais je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas qu’un gouvernement et un
ministère puissent en toute connaissance de cause assumer le fait que
sur les 750 000 lycéens de terminale, plus de 400 000 d’entre eux soient
"en attente" ou "sans affectation" alors que le démarrage des épreuves
du bac était fixé au 8 juin. Je ne comprenais pas davantage, sauf à
vouloir littéralement mettre le feu aux lycées et à la jeunesse, que ce
même gouvernement assume et revendique l’éventuel déblocage de places en
université "au fil de l’eau" : c’est à dire qu’il puisse choisir de
distiller le stress au jour le jour pour que cette jeunesse là n’ait
jamais de répit. Et puis d’un coup j’ai compris. La logique du truc
m’est apparue.
J’ai compris que le projet politique de notre jeune
président était de semer une graine : celle de l’humiliation
quotidienne, celle de l’intranquillité permanente qui fait grandir la
résignation qui, à son tour, façonnera le corps et l’âme de la chair à
Managers dont a besoin le patronat. Et puis bien sûr, la graine de la
concurrence. Toujours mettre les gens en concurrence.
Le lendemain
des résultats de Parcoursup il y eut des classes entières de terminale
où aucun, je dis bien aucun lycéen n’avait autre chose que "refusé" ou
"en attente". Je vous laisse juste imaginer l’ambiance et la tête du
prof y débarquant le matin. Et si l’imagination vous fait défaut alors
allez voir sur Twitter, sur Facebook, ou dans les journaux.
Donnez-moi
les explications que vous voudrez mais les faits sont têtus : plus de
la moitié d’une classe d’âge s’est trouvée, à 15 jours de l’examen du
baccalauréat, avec un avenir qui indiquait "refusé" ou "en attente". On
n’est pas sérieux quand on a 17 ans. Mais l’on n’a pas davantage envie
d’être "refusé" ou "en attente" comme seule alternative sérieuse.
Mais
cela n’était pas suffisant. Pour que l’humiliation soit totale, pour
qu’elle achève de bâillonner les rêves et de cisailler la colère à la
racine, il fallait lui montrer, à cette jeunesse, à quel point la vie
était injuste et précaire et qu’elle l’accepte comme une norme
raisonnable. Que l’envie même de la colère lui soit ôtée. Et pour cela
rien de mieux que la stochastique, l’aléatoire, l’irrégularité, le
brouillage des repères, des quelques repères restants, et la mise en
concurrence.
Alors on vit fleurir, notamment sous le hashtag
#Parcoursupercherie, beaucoup d’incompréhension : les meilleurs dossiers
avec les meilleures moyennes se voyaient refusés là où leurs camarades
avec de bien moins bonnes notes et de moins bons dossiers se trouvaient
pris. A l’incompréhension s’ajouta le dégoût qui était le début du
renoncement : puisque même cela devenait incohérent, à quoi bon lutter, à
quoi bon résister ? Bien sûr certains bons dossiers étaient, eux, pris
partout. Ils seraient les premiers de cordée de demain, eux seuls
auraient le choix c’est à dire non seulement la possibilité de choisir
pour eux-mêmes mais également la responsabilité bien plus écrasante
d’aliéner et de subordonner l’avenir des autres à leur choix propre.
Tant qu’ils n’auraient pas renoncé à tel ou tel voeux, tant qu’ils
n’auraient pas "choisi", les autres resteraient "en attente". Quand on
veut fabriquer de l’oppression il faut donner à certains cet avant-goût
du sentiment de toute puissance que ressent l’oppresseur et espérer
qu’ils y prennent goût.
Ce pari de l’humiliation de la jeunesse,
s’il était mené à son terme, serait une victoire éclatante : la victoire
des managers. Car toute cette histoire n’est rien d’autre qu’un
conditionnement, une préparation aux formes routinières de management
par le stress qui attend cette jeunesse et que réclame le Medef.
Comme
dans tout pari osé bien sûr il y avait un risque. Le risque d’une
rébellion. Et que cette rébellion prenne. Toute étincelle si faible
qu’elle soit devait immédiatement être douchée.
Ils sont une
vingtaine de lycéens et de lycéennes, tous et toutes mineur(e)s, à avoir
passé 48 heures en garde à vue et à être aujourd’hui mis en examen. A
17 ans. Motif ? Refus de résignation. Refus d’humiliation. Refus du
bâillon. Ils ont, avec des adultes dont certains sont enseignants, osé
tenté d’occuper un lycée parisien. Je dis bien "tenté d’occuper".
Pacifiquement qui plus est. Le jeune président et son ministre de
l’intérieur cacochyme, mais le jeune président avant tout, a collé en
garde à vue et mis en examen plus d’une vingtaine de lycéens mineurs
parce qu’ils ont voulu manifester leur sentiment d’humiliation devant
une machinerie sociale qui craque de toute part et où chaque repère est
patiemment foutu en l’air par une agitation qui se veut "réformatrice"
et qui n’est que destructrice.
On n’est pas sérieux quand on a 17
ans. On n’est pas sérieux, on n’est pas en garde à vue, on n’est pas mis
en examen. La honte et la colère que je ressens ce soir n’est pas prête
de s’éteindre. Mais ma colère ne compte pas.
Le jeune président est avant tout un vieux con, certain de son pouvoir, mais qui a peur. Réprimer la jeunesse pour l’exemple
n’a jamais été une marque de fermeté mais le signe d’un vieux con
apeuré. Qui a peur de la jeunesse, de toutes les jeunesses, qu’elles
soient dans les idées ou dans les corps. Alors il noie quelques Zadistes
sous des tombereaux de grenades. Alors il met en garde à vue et en
examen des lycéen(ne)s. Alors il dit les yeux dans les yeux à 400 000
lycéens : apprenez à avoir peur de l’avenir, apprenez à attendre,
apprenez à vous soumettre aux désirs et aux choix des premiers de cordée
qui demain seront vos managers, apprenez à vous résigner, apprenez à
renoncer. Pour y parvenir mieux il traîne avec lui un Gérard Collomb
dont la jouissance cacochyme ne tient qu’à l’illusion qu’il a d’être
autre chose qu’une place manquante en EHPAD et dont le nom est moins un
patronyme qu’une métonymie digestive mal orthographiée.
Le jeune
président, c’est à porter à son crédit, n’a jamais prétendu être le
président des jeunes. Il est désormais, pour une immense partie de la
jeunesse, devenu ce qu’il n’avait jamais finalement cessé d’être : juste
un vieux con de plus.
Et comme tous les vieux cons qui l’ont
précédé dans ces fonctions, son avenir à lui n’est ni "en attente" ni
"refusé". On raconte qu’il était plutôt sérieux quand il avait 17 ans.
Et qu’il a eu ses tilleuls verts, et sa promenade. S’il s’imagine
Rimbaud rappelons-lui qu’il n’est qu’un Créon. Et qu’il prend le risque
de fabriquer une génération d’Antigone.
Et que nous ne le laisserons pas faire.
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