À diffuser dans vos réseaux : Lettre ouverte des femmes françaises mariées à des Palestiniens au Président de la République
Par Sept épouses françaises de Palestiniens qui
craignent des représailles pour elles-mêmes et
leurs familles si elles publient leurs noms.
Jérusalem, le 1er juin 2018
Monsieur le Président de la République,
A l’heure où la Palestine fait tragiquement
l’actualité avec la répression sanglante des
manifestations à Gaza et l’annonce de
l’intensification de la colonisation en
Cisjordanie, et où le comité des droits de
l’homme des Nations Unies dénonce la détention
administrative de notre concitoyen Salah
Hamouri, nous, ressortissantes françaises
mariées à des Palestiniens de Cisjordanie et de
Jérusalem, inquiètes pour l’avenir de nos onze
jeunes enfants franco-palestiniens et subissant
nous-mêmes des restrictions israéliennes à nos
droits fondamentaux, vous exprimons notre vive
émotion de vous voir recevoir le Premier
Ministre israélien à l’occasion de la saison
France-Israël 2018.
Permettez-nous de vous exposer un échantillon
des pratiques israéliennes à l’encontre des
familles franco-palestiniennes résidant en
territoire palestinien occupé. Ces pratiques,
qui visent avant tout nos conjoints palestiniens
ne sont qu’une méthode parmi tant d’autres pour
les pousser à l’exil ou les punir de leur
activisme, en instrumentalisant notre
nationalité française, avec des conséquences
graves sur nos vies quotidiennes. Ainsi, deux
d’entre nous sont actuellement bloquées à
l’extérieur, sans accès à leur domicile ni
perspective de retour.
Pourtant extrêmement privilégiées par rapport à
notre entourage palestinien, nous sommes
régulièrement traitées comme des criminelles,
objets de suspicions infondées et de harcèlement
administratif et moral, risquant ou subissant
l’expulsion du territoire, enfant à naître
compris, simplement parce que nous aspirons à
vivre une vie de famille normale dans le pays de
nos époux et de nos enfants. Ce harcèlement nous
place régulièrement devant un choix impossible :
l’éclatement de notre famille ou l’illégalité.
Qu’il s’agisse de Jérusalem-Est ou de la
Cisjordanie, c’est Israël qui s’arroge la
prérogative de décider d’accorder ou non le
regroupement familial. En Cisjordanie, il est
gelé depuis 2009, en représailles des
pourparlers de réconciliation entre le Fatah et
le Hamas, confirmant l’affection des autorités
israéliennes pour la punition collective. En
pratique, ce sont des milliers de dossiers dans
les limbes et autant de familles vivant dans
l’instabilité des visas court séjour, aux durées
aléatoires, pouvant être refusés à tout moment,
souvent assortis de conditions exorbitantes.
Ainsi, celles d’entre nous mariées à des
Palestiniens de Cisjordanie se voient refuser
l’accès à leur consulat à Jérusalem Est et
privées de leur liberté de mouvement par des
visas “Judée et Samarie seulement”, pourtant
illégaux au regard du droit international. Elles
sont interdites de voyage par l’aéroport Ben
Gourion et doivent se procurer un visa pour la
Jordanie à chaque fois qu’elles souhaitent
prendre l’avion. En violation du droit, les
autorités israéliennes inscrivent
quasi-systématiquement le numéro d’identité
palestinien des enfants dans leurs passeports
français, avec des conséquences réelles pour ces
familles, lorsque la mère et l’enfant - même
mineur - par exemple, ne sont pas toujours
autorisés à sortir du territoire par le même
terminal. L’ingérence israélienne dans la vie de
nos familles va même jusqu’à tenter de nous
priver du droit de travailler pour subvenir aux
besoins de ces dernières, nous refusant des
visas sur la base de contrats de travail
pourtant valides en droit palestinien.
Quant à celles d’entre nous mariées à des
résidents permanents de Jérusalem Est, nos
familles font face à d’autres difficultés,
directement liées au projet ouvertement assumé
des autorités israéliennes de judaïsation de
Jérusalem-Est et à la politique de révocation du
statut de résident permanent de milliers de
Palestiniens de Jérusalem (au moins 14 000
depuis 1967), confirmée et étendue par une loi
votée par la Knesset le 7 mars 2018 qui prévoit
la révocation en cas notamment de “violation de
l’obligation de loyauté”, menaçant
potentiellement nos conjoints et enfants. Comme
les résidents palestiniens de Jérusalem, nous
devons prouver que notre centre de vie se trouve
“du bon côté” du mur de séparation et nous
rencontrons des obstacles pour faire enregistrer
les naissances de nos enfants, c’est-à-dire leur
obtenir un acte de naissance et un numéro
d’identité.
Trois de nos enfants sont ainsi
non-enregistrés, alors que les estimations d’ONG
israéliennes suggèrent que le phénomène touche
plus de 10 000 enfants à Jérusalem Est.
Les autorités nous renvoient constamment à
notre nationalité française, nous enjoignant
d’enregistrer les enfants au consulat. L’enjeu
est clair : il s’agit pour les autorités
israéliennes d’utiliser la double-nationalité
des enfants pour les priver de leur droit à être
enregistrés et à vivre dans leur pays d’origine,
et, par la même occasion, à pousser dehors -
manu militari s’il le faut - les familles
concernées.
Nous avons fait part de nos situations à
M. Pierre Cochard, Consul général à Jérusalem
qui, malgré ses efforts répétés, n’a pu obtenir
de réponses de la part des autorités
israéliennes sur nos cas. En désespoir de cause,
nous avons exposé nos problèmes au Ministre de
l’Europe et des affaires étrangères lors de sa
visite d’avril dernier, qui s’est engagé à agir.
Nous avons également écrit au Premier Ministre,
et sommes régulièrement en contact avec les
services consulaires et diplomatiques, sans
résultats à ce jour.
Dans ce contexte, vous comprendrez, Monsieur le
Président, que nous nous émeuvions de l’accueil
festif réservé, sur le territoire français, à un
chef de gouvernement qui soutient les tirs à
balles réelles sur des enfants et des civils
désarmés, et dont l’administration viole
allègrement et quotidiennement les droits les
plus fondamentaux des personnes protégées sous
son contrôle - les nôtres et ceux de nos
conjoints et enfants inclus. Puisqu’elle doit
avoir lieu, nous espérons, a minima, que cette
rencontre sera l’occasion pour la France de
demander d’Israël le respect du droit
international et notamment des droits de tous
les ressortissants français concernés par les
pratiques israéliennes, sans discrimination.
Sept épouses françaises de Palestiniens qui
craignent des représailles pour elles-mêmes et
leurs familles si elles publient leurs noms.
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dimanche 10 juin 2018
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