16.juin.2018
Les USA et le destin du monde
Source : Inder Comar, Consortium News, 23-05-2018
Ce n’est pas une exagération d’affirmer que le destin de la
civilisation dépend des Américains selon leur façon de déterminer
comment ils veulent interagir avec le reste du monde, affirme Inder
Comar dans son commentaire.
Les Américains devraient être plus honnêtes au sujet leur
l’interventionnisme militaire. Il devrait y avoir un débat sérieux à ce
sujet. A la place, il semble que l’on ait trois camps retranchés en
matière de politique extérieure qui ne se parlent jamais.
Le premier est constitué d’impérialistes avoués. Ils sont faciles à
identifier, car ils sont au pouvoir. Ce sont ceux pour qui il n’y a pas
de mauvaise guerre. Ils ont probablement poussé les États-Unis à
s’engager dans un changement de régime en Iran. Et actuellement, ils
mènent une approche parfaitement agressive pour tenter de diminuer les
tensions avec une Corée du Nord équipée d’armes atomiques – une approche
qui connaîtra des retours de flamme au final. Ce camp serait aussi le
plus fort pour nier qu’il y ait un impérialisme américain.
Il y a aussi des gens qui rejettent totalement l’impérialisme sous
toutes ses formes, commis par tout pays, comme une grave erreur. Ce sont
des gens qui reconnaissent qu’il doit y avoir d’autres valeurs qui
lient les relations entre les nations – des valeurs partagées sur le
droit international, les droits de l’homme, la liberté individuelle et
spirituelle, et la loi.
Je pense qu’il s’agit d’un très petit camp.
Et enfin, il y a un troisième groupe, que j’imagine avoir des
opinions partagées. Ils pensent qu’il est possible de maintenir une
politique étrangère armée, tout en disant également qu’ils utilisent la
politique étrangère pour diffuser les valeurs civilisées. Ils veulent se
complaire dans la fausse gloire qui provient de l’empire et s’en
accommoder.
Les discours politiques actuels aux États-Unis – qu’il s’agisse des
médias, des think-tanks ou des principaux acteurs politiques – se
répartissent dans l’un de ces trois camps. Par exemple, la plupart des
Républicains et Démocrates utilisent le discours des droits de l’homme
et de la liberté pour exprimer leurs idées.
Cacher un fil conducteur d’interventionnisme
Mais la réalité de leurs actions, et les conséquences de ces actions,
rend impossible de cacher un fil conducteur impérialiste sous-jacent.
Les personnes qui réfléchissent ne peuvent ignorer que c’est un
démocrate, le président Barack Obama, qui a augmenté l’utilisation des
drones militaires dans plusieurs pays, qui a envahi la Libye, maintenu
et accru la présence américaine en Afghanistan, et même engagé 1 000 milliards de dollars pour renforcer l’arsenal nucléaire américain.
Il n’y a jamais eu un moment plus urgent pour que les gens analysent
et reconsidèrent vraiment la politique étrangère américaine et posent
des questions fondamentales sur le rôle de l’Amérique dans le monde. Il y
a des gens au pouvoir aujourd’hui qui jouent littéralement avec le feu
avec un pays doté de l’arme nucléaire (la Corée du Nord) et qui poussent
un autre pays (l’Iran) à se doter d’armes nucléaires afin de se
défendre contre la menace ouverte d’une invasion américaine.
Une politique étrangère impériale est une politique qui rend le monde
entier beaucoup moins sûr, y compris les États-Unis. Nous ne sommes pas
si différents en tant qu’humains. Les humains, partout, finissent par
en avoir assez d’être intimidés. Et ils finissent par se défendre. Ou
même contre attaquer.
Il y a aussi un autre point qui mérite d’être souligné. Les leaders
sélectionnés qui arpentent les couloirs du pouvoir, leurs facilitateurs
de réflexion et de nombreux Américains, trouvent très souvent un
réconfort faux et pervers dans la domination, l’exploitation et la
souffrance de personnes qui ne sont pas des Américains. C’est vraiment
une chose méprisable, et il faut le dénoncer. C’est ce type de pensée
qui a engendré le génocide aux États-Unis, contre les nations premières
et les peuples autochtones [NDT : les Indiens]. C’est ce type de pensée
qui a tué, et qui continue de tuer, des dizaines de millions de
personnes à l’étranger.
Il y a un choix fondamental que les Américains doivent faire. Et
c’est de savoir s’ils seront d’accord avec l’impérialisme comme
caractéristique déterminante de leur politique étrangère. S’ils veulent
être connus comme un peuple impérialiste. Je pense qu’un jour viendra,
plus tôt que la plupart des gens le souhaiteraient, où ce choix devra
être affronté de face.
Le pire crime de tous
Je pense notamment au terrible crime qui a été commis en 2003,
lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak. Beaucoup de gens rationnels se
demandent pourquoi les prétendues « leçons » de la guerre agressive
contre l’Irak n’ont pas été comprises par les démocrates ou les
républicains de haut rang, et pourquoi le gouvernement américain
continue de faire des menaces sans fondement contre d’autres pays, ou de
menacer de guerre sans justification légale suffisante. Après tout,
d’un point de vue humain et civilisé, la guerre en Irak n’était pas
seulement une catastrophe : c’était un crime international, et le pire
de tous les crimes de guerre, le crime d’agression.
Mais du point de vue de l’impérialisme, l’Irak a été à bien des
égards un succès – il a conduit à la destruction d’un centre de pouvoir
régional, a donné aux États-Unis une couverture pour continuer à
s’impliquer au Moyen-Orient à perpétuité, et a cimenté une alliance
croissante avec Israël et l’Arabie saoudite, deux pays qui sont désireux
de continuer à acheter une grande quantité d’armements américains.
Les Américains ont beaucoup de chance. Ils ont eu la chance de ne pas
avoir un autre grand pays qui leur impose sa volonté. À l’exception de
Pearl Harbor, les Américains n’ont jamais été forcés de ressentir le
poids des politiques impérialistes qui ont conduit à la mort par drone
ou à la mort par missile pour les membres de la famille, les voisins ou
les amis. Les Américains n’ont jamais vu leur pays étouffé à cause des
blocages commerciaux et économiques d’une nation plus dominatrice. Et
les Américains n’ont pas eu à faire face à des coups d’État violents, à
des parodies d’élections et à des dictateurs qui rendent compte à une
élite dirigeante vivant à des milliers de kilomètres de distance, qui ne
se soucient même pas de parler la même langue, qui exploitent les
ressources du pays et qui se moquent pas mal du sort et de la vie des
gens tous les jours.
C’est le triste sort de nombreuses sociétés au cours des 100
dernières années, dont le seul crime était d’être un intérêt stratégique
pour le gouvernement américain.
Mais même alors, en tant qu’Américain, je commence à avoir un
avant-goût de ce que à quoi ces choses ressemblent. Parce que les
politiques impériales à l’étranger s’enracinent maintenant aux
États-Unis et s’épanouissent en tant que politique intérieure. La police
tue indistinctement les manifestants et les personnes de couleur. Les
immigrants sont ciblés en tant qu’objets de haine. Les pauvres et la
classe moyenne sont pratiquement démunis – plus de 40 % des Américains luttent pour se nourrir et se loger.
Et le processus électoral américain est manifestement sous le contrôle
des ploutocrates, qui s’enrichissent aux frais du gouvernement, alors
que chaque jour les gens souffrent.
L’impérialisme à l’étranger crée l’aristocratie chez nous ; et
ensemble, ils ne produisent que la progéniture démoniaque de la
corruption, de la dictature et de la guerre totale.
Il nous appartient à tous, en tant que citoyens, de remettre en
question le récit dominant de l’impérialisme. Et il ne suffit pas de
dénoncer les impérialistes avérés – ils sont faciles à voir.
Leurs paroles et leurs actions sont très claires.
Il est également essentiel à ce moment-ci d’interpeller gens qui
pensent qu’ils peuvent avoir le beurre et l’argent du beurre – qu’ils
peuvent être fiers de l’empire et des droits de l’homme en même temps,
qui pensent qu’il est possible de promouvoir la liberté par le canon
d’une arme à feu.
Ces gens doivent être interpellés sur cette façon de penser. La paix
et la liberté sont promues par des moyens pacifiques et libres. Vous ne
tueriez jamais un homme dans la rue en prétendant l’avoir sauvé. Ce qui
est vrai dans la rue l’est aussi entre les nations. Et les « leaders
d’opinion » et les politiciens qui prétendent qu’ils peuvent faire
avancer un programme civilisé et humanitaire au moyen d’armes, de
menaces, de coups d’État et d’invasions, ne se trompent pas seulement,
ils sont volontairement malhonnêtes – soit envers eux-mêmes, soit envers
le monde entier.
Les Américains ont besoin d’un dialogue civique axé sur la primauté
du droit, les normes relatives aux droits de la personne et les valeurs
communes et civilisées. Les Américains ont besoin d’une politique
étrangère qui affiche ces mêmes valeurs de manière significative et
respectueuse, et qui utilise ces valeurs dans ses relations avec les
autres pays. Pas par la guerre, la domination et l’exploitation. Cela
semble simple à dire, mais la meilleure façon de mettre fin à
l’impérialisme est de simplement mettre fin à l’impérialisme.
Il est temps pour l’Amérique de cesser de compter sur ses armes et de
commencer à s’appuyer sur des principes éthiques et civilisés.
Le destin des États-Unis et peut-être du monde repose sur la
recherche d’une meilleure façon de traiter avec eux-mêmes et avec les
autres. Il n’y aura pas de réponse significative et de préparation au
changement climatique, à l’extinction des espèces et aux grandes crises
de réfugiés à venir, à moins que les États-Unis n’utilisent leur pouvoir
de manière positive et ne contribuent à un monde où le dialogue, la
coopération et la promotion de la paix sont les fondements d’un ordre
civilisé.
Cet article est d’abord paru sur le blog d’Inder Comar.
Inder Comar est le directeur exécutif de Just Atonement Inc, un
organisme juridique sans but lucratif voué à l’édification de la paix et
de la prospérité durable, et l’associé directeur de Comar LLP, un
cabinet d’avocats privé œuvrant dans le domaine de la technologie. Il
est un expert reconnu sur le crime d’agression, la légalité de la guerre
en Irak et les droits de l’homme au niveau international. Il est
titulaire d’un diplôme en droit de la New York University School of Law,
d’une maîtrise ès lettres de la Stanford University et d’une licence ès
lettres de la Stanford University. Son pseudo Twitter est @InderComar.
Source : Inder Comar, Consortium News, 23-05-2018
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