samedi 30 juin 2018

MARX, L’ÉCOLOGIE, LE CAPITALISME ET LES BALEINES

vendredi 29 juin 2018
Par
Auteur de « Ne soyons pas des écologistes benêts », éd. Mille et une nuits, 2010.
C’est en 1866 que le mot « écologie », la science des rapports des organismes avec le monde extérieur, proposé par le biologiste allemand Ernst Haeckel, entrait dans la littérature scientifique1. Pour placer le cadre dominant de l’époque, la conquête coloniale du globe s’achève, les sociétés européennes sont en pleine expansion industrielle, mais sous cette belle assurance du progressisme dominant, se manifestent déjà des inquiétudes sur les effets dévastateurs de l’industrialisation.
Il n’en demeure pas moins que la tendance générale est de considérer la science comme toujours apte à régler positivement des contradictions jugées passagères. Ainsi le chimiste allemand Justus von Liebig2, théoricien de la chimie agricole, publie en 1840 un traité de la Chimie organique appliquée à la physiologie végétale et à l’agriculture et décrit le fonctionnement des cycles chimiques, notamment de l’azote et du phosphore qui président à la fertilité des sols. Karl Marx, comme le rappelle John Bellamy Foster3, s’appuie sur les travaux de Liebig pour analyser la production agricole capitaliste en Angleterre qui épuisait la fertilité des sols. Ainsi, pour compenser l’appauvrissement que le système de production agricole faisait subir aux sols, l’Angleterre importait comme engrais, dans un premier temps de plus en plus d’ossements, y compris ceux laissés sur les champs des batailles napoléoniennes, avant d’importer dans un second temps le guano péruvien qui s’avérait être une ressource peu chère capable de remplir les même fonctions nutritives. Ces ressources très rapidement épuisées révélait la fragilité intrinsèque d’un tel système et ouvrait la voie au développement industriel des engrais synthétiques. Les observations de Marx, suivies d’autres, ajoutent une perspective environnementaliste au changement social, permettant plus une critique socio-écologique plus large de la société capitaliste.
Un second exemple permet de mesurer la logique productiviste et destructrice d’un système qui ne peut, par sa nature même, respecter les ressources naturelles de la planète. Les ressources océaniques sont d’accès libre et elles ont presque toujours été utilisées à l’excès4. La chasse à la baleine en est un cas exemplaire. Les baleines ont connu une existence paisible pendant des millions d’années, ayant peu de prédateurs. La chasse a commencé à l’époque préhistorique et s’est poursuivie sur un mode quasi identique (poursuite de la proie et harponnage de l’animal) jusqu’au 19ème siècle. Les Vikings et les Basques furent les pionniers de cette chasse en pleine mer, mais certaines indications suggèrent que les japonais ont pratiqué cette chasse mille ans avant les Basques. La révolution industrielle a accéléré le rythme de la chasse à la baleine, l’huile de cachalot servant de lubrifiant pour les machines et les fanons trouvant de multiples usages dans les corsets, parapluies et haubans. En 1860, les espèces les plus faciles à capturer avaient pratiquement disparu. La chasse se porta sur les espèces boréales vivant en mer de Béring. Les campagnes d’extermination menées par les Américains en 1890 amena la famine parmi les populations locales Aléoutes et Tchouktches. Les espèces survivantes appartenaient au groupe des rorquals (grandes baleines à fanons, notamment la baleine bleue le plus grand animal dans l’histoire de la vie de la planète) dont la nage est trop rapide pour une poursuite en canot à rames5. La relance de la chasse à la baleine fut redevable à Svend Foyn, capitaine norvégien d’un baleinier, qui mit au point la technique du canon-harpon qui permet de lancer des grenades explosives sur les baleines. Le carnage reprit de plus belle avec une seconde innovation technologique, concevant l’installation d’une rampe de soute sur un baleinier et permettant de hisser à bord une baleine bleue de 100 tonnes, de la dépecer, rendant ainsi possible le concept du bateau-usine. Le carnage devenait rentable et de nombreux pays y prirent part :Grande-Bretagne, Norvège, Argentine, États-Unis, Danemark, Allemagne, Japon, URSS. La cuisson de l’huile de baleine donne comme sous-produit de la glycérine, nécessaire à la fabrication de la dynamite (nitroglycérine). L’ingéniosité humaine, le savoir chimique transforma des millions de baleines en margarine, en savon et en explosifs. Dans l’océan Austral, 150 000 à 200 000 baleines bleues étaient estimées en 1900, il n’en restait plus que 500 en 1990. Dès 1935 des réglementations furent mises en place sous l’égide de la Société des Nations, sans effets. En 1946 se créa la Commission Baleinière Internationale dont le premier objectif visait à la défense du prix de l’huile de baleine et non des baleines. Dans les années 1960, la Commission changea d’approche et se décida à préserver les stocks de baleines. Le moratoire conclu dans les années 1980 fut contourné par les norvégiens, islandais et japonais, arguant que les baleines étaient tuées chaque année « à des fins scientifiques » échappant ainsi aux obligations du moratoire. On estime que les innovations technologiques permirent la prise de 1,5 millions de baleines dans l’Océan Austral entre 1904 et 1985. Les chasseurs de baleine au 20ème siècle ont littéralement tué la poule aux œufs d’or de manière délibérée. Les baleines se reproduisent lentement et il n’était pas rentable de soutirer une telle ressource tout en la préservant. La rationalité économique capitaliste du court terme dictait donc de liquider toutes les baleines aussi vite que possible.

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