mardi 24 juillet 2018

LE PROLÉTARIAT A-T-IL CONSCIENCE DE LA FORCE DE SA CLASSE ?


Le prolétariat classe de la conscience

24 Juillet 2018 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate, #GQ, #Réseaux communistes, #classe ouvrière
Le prolétariat classe de la conscience
Le terme « prolétariat » est sorti de l’usage courant, et c’est bien dommage. Il a une grande précision conceptuelle : repris au vocabulaire fiscal de la république romaine, où il désignait les citoyens romains libres mais trop pauvres pour contribuer autrement à la République qu’en lui offrant leur progéniture pour le service militaire, il a signifié dès le début du XIXème siècle le travailleur libre mais exploité, donc le « libre-esclave », cette contradiction dont le développement aboutira au dépassement révolutionnaire du capitalisme (si le capitalisme ne détruit pas l’humanité avant).
Ce qui caractérise socialement le prolétariat depuis le début de son existence consciente, aussi bien dans la conscience de soi que dans celle de son antagoniste que sont les sciences sociales bourgeoises, prise de conscience qui remonte à la première moitié du XIXème siècle (1848 ou même 1789), c’est non la misère ou la pauvreté absolue, mais d’abord le fait d’être sorti de cette pauvreté absolue avec le progrès industriel et technique, et ensuite de pouvoir y replonger n’importe quand ; et d’autre part l’accroissement vertigineux des inégalités et des vices qu’elles provoquent, et donc aussi des formes de désir inassouvi de consommer par imitation et de la frustration croissante qui vont avec la consommation de masse croissante.
Déjà 1789 est du point de vue populaire – rousseauiste - une révolution « pour préserver des acquis » !
Donc non la misère mais d’une part le reliquat de précarité impossible à réduire dans un système basé sur l'exploitation, et la pauvreté relative croissante que ce système suppose et produit. La pauvreté sans doute, mais avec le remède qui paraît à la porté de la main. La pauvreté ne devient un scandale que quand elle n’est plus nécessaire. La pauvreté est produite par la richesse des autres, non pas comme un simple défaut de partage, mais comme image tentatrice de la vraie vie impossible (où "tout est permis, et rien n’est possible", selon la formule forte de Michel Clouscard).
Marx, dans sa définition de la valeur de la force de travail a soin de préciser que cette valeur est conditionnée par l’état de développement social général. Un empereur romain ne buvait pas de café et Napoléon n’avait pas de téléphone portable, il n’empêche que la valeur du café et d’un téléphone portable font partie du nécessaire qui définit aujourd’hui la valeur minimale de la force de travail du plus humble travailleur.
Les prolos modernes (et postmodernes) ne sont pas les pauvres absolument pauvres, les « exclus » qui obtenaient autrefois la sollicitude bavarde et mesurée des prêtres saint-sulpiciens et obtiennent aujourd'hui celle des ONG, mais les travailleurs plus ou moins pauvres qui sont exploités (qui travaillent ou qui cherchent du travail) qui ont conscience qu’il est possible avec le progrès technique et scientifique de pouvoir sortir de la pauvreté.
C’est donc la classe de la conscience.
L’identification du prolétariat à la classe ouvrière provient de ce que c’est la naissance de cette classe précise et fortement identifiée qui permet au prolétariat de se reconnaître et d’agir concrètement dans l’espace de la ville et de l’usine : ce qui caractérise l’ouvrier, c’est son intelligence dialectique et son adaptabilité, car il a été éduqué par le capital, et aussi par la conscience de l’exploitation. Intelligence, conscience et exploitation sont liés, car la conscience surgit de la confrontation avec la résistance de l’altérité matérielle. L’intelligence réelle n’a que peu de chose à voir avec la maitrise des discours comme on le croit aujourd’hui partout, à commencer par l’école.
La formule terminale du Manifeste, « L’ouvrier n’a rien d’autre à perdre que ses chaines » doit être comprise ainsi : il ne va que gagner à la révolution ; il est dépositaire de la véritable force de production. Cela ne signifie pas qu’il ne possède rien. L’ouvrier en question n’est pas un pauper. Il ne faut pas entendre la formule littéralement, car il commence justement à avoir des choses à perdre, et pas simplement sa vie.
Dans le Capital, Marx développe la dialectique de la paupérisation et de la réglementation du travail, et les premiers succès de la lutte pour la journée de travail qui en proviennent.
La controverse sur le niveau de vie lancée par Hayek en 1944, qui consistait à tenter d’invalider le Capital en voulant prouver que celui des ouvriers ne cessait de monter pendant la période classique de la révolution industrielle (1780 à 1850) manque son but dès le principe… (voir Hayek et Hobsbawm) car peu importe la quantité de thé importée pour la consommation populaire anglaise, le travail sera finalement payé à sa valeur, c'est-à-dire avec les valeurs d’usages nécessaires à sa reproduction générale. Et sa valeur pouvait comporter une grande et croissante quantité de thé. Aujourd’hui elle comporte une automobile, son carburant, un pavillon, un excessif crédit téléphonique pour toute la famille. Et l’exploitation est toujours là.
La paupérisation des ouvriers au moment des crises est un accident de parcours qui brise la lente progression du « niveau de vie » (expression d’économiste paternaliste sujette à caution ; disons, du thé, des maisons et des portables qui participent à la valeur de la force de travail), et c’est cet accident même qui est un des éléments de la situation révolutionnaire ; mais quand la crise devient permanente, le maintien en position stagnante de la consommation ouvrière depuis quarante ans par le chômage et la déflation (au prix ultime de la croissance) a précisément pour but d’écarter la situation révolutionnaire.
Il est probable que la bourgeoisie a auto-limité sa propre richesse en se convertissant à la déflation ; d’où sa rage de prédation (privatisation des services publics, destruction du droit du travail) et l’émergence d’une superclasse financière et culturelle, parasitaire et impérialiste qui est riche de contradictions nouvelles.
Il y a longtemps que l’on sait que le capitalisme n’est pas nécessaire pour gérer le capital et produire la plus-value sociale indispensable. Le travailleur exploité est à l’origine de tout. Mais s’il est dépositaire de la vraie force de production, il l’utilise de manière aliénée : pour produire des biens qui serviront à la guerre, à la destruction du milieu, ou à la consommation de la bourgeoise ; cette contradiction est originaire dans le prolétariat. C’est vrai maintenant, mais ce fut toujours le cas, et particulièrement vrai pour les ouvriers révolutionnaires de Londres, de Paris et de Lyon au moment de l’épiphanie du socialisme de la première moitié du XIXème siècle. Ils travaillaient à produire des biens spécifiques pour la consommation bourgeoise, et en cas de victoire après avoir éliminé de la scène économique les consommateurs privilégiés ils auraient eu l'obligation d'inventer d'autres produits. Les ouvriers révolutionnaires de ce temps là souvent étaient des artisans qualifiés, carrossiers, doreurs, ébénistes, typographes … et pas des plus jeunes. Dès la répression sanglante à Paris en juin 1848, la bourgeoisie instrumentalise les jeunes, y compris les jeunes ouvriers, contre les prolétaires conscients.
La base de fer du PCF de 1920 à 1975 environ était formée des ouvriers qualifiés de Belleville et des autres quartiers ouvriers en France, et ils étaient organisés à partir du local de section, avec pignon sur rue, ils travaillaient dans des ateliers éclatés, des arrière-boutiques, des usines de 50 personnes …
La grande unité de production, surtout lorsqu’elle devint l’objet de l’ingénierie sociale tayloriste et fordiste, n’était pas du tout spontanément le milieu de l’auto-organisation ouvrière; le syndicat de lutte des classes y pénétra après de longues années d’effort, par la force de la conscience et du sacrifice. Mais la Fiat à Turin, en 1919 ou Renault à Boulogne-Billancourt en 1968 s’avérèrent finalement des forteresses ouvrières.
L’ouvrier actuel est plus instruit que son prédécesseur du XIXème siècle, mais bien plus éloigné de la transformation de la matière et donc plus influençable par la culture scolaire et médiatique, les idées dominantes qui sont les idées de la classe dominante. Et l’évolution technologique de l’économie a rendu sans doute impossible le rêve de l’autogestion, du gouvernement à partir de l’usine. La classe ouvrière reste une composante du prolétariat, mais dispersée et délocalisée elle n'est plus sa partie hégémonique. L'aménagement du territoire en France est la mise en œuvre de ce plan séculaire de dispersion du prolétariat par la destruction du faubourg révolutionnaire et de ses avatars.
Il est avéré aussi que la culture ouvrière spontanée, au delà d’un certain point de cristallisation se retourne contre la conscience prolétarienne. La culture ouvrière est particulièrement forte en Grande Bretagne et en Allemagne, la culture populaire est forte et créative aux États-Unis précisément dans ces pays où la conscience prolétarienne s’est implantée faiblement, a toujours été minoritaire, ou a été éradiquée. Marx pensait que l’action revendicatrice ouvrière devait engager l’ouvrier dans la voie de la révolution, forcément dans une échelle de temps limitée (une génération), et non engranger des conquêtes sociales qui lui paraissaient contredire les lois de paupérisation immanentes au capitalisme.
Mais ce n’est pas son savoir-faire, son langage et sa culture proprement ouvriers qui sont à la base de son potentiel révolutionnaire. Les prolétaires sont caractérisés par la psychologie de la perte de l’illusion, ils sont l’anti « homo economicus », l'homme fictionnel a-historique présupposé par les économistes et qui est censé être mu par un intérêt rationnel bien compris; car ce type de calcul leur paraît immédiatement un marché de dupes. Dans la destruction créatrice de la marche en avant capitaliste, ils se trouvent toujours du coté des ruines. Ils se retrouvent alors dotés sans l’avoir cherchée de la vraie conscience dans une société de classe. Par contre, la fausse conscience n’est rien d’autre que la psychologie individualiste et vaine de l’idéalisme qui valide et qui couvre la distinction entre travailleurs intellectuels et manuels. Elle est intériorisée en bas âge avec l'apprentissage du rôle de consommateur passif, structurellement incapable de comprendre le caractère social de la richesse et de sa production.
Aujourd’hui la contradiction entre mode de production et forces productives s’accuse ( on en voit un reflet dans la sourde lutte entre les monopoles du net et des logiciels libres qui devrait mettre en crise le principe même de propriété intellectuelle, essentiel à la bourgeoisie) mais la conscience prolétarienne semble effacée (y compris dans l'ex Tiers Monde, sous une dérivation développementiste et nationaliste, en Chine par exemple).
La tâche principale serait dans ces conditions et si cette esquisse d’analyse est juste, de travailler au retour de la conscience, qui n’est pas à confondre avec la fierté ouvrière, mais plutôt à trouver du coté du sentiment de la puissance illimitée du travail sous sa forme socialisée. Toute forme de négation ou de marginalisation de celui-ci serait donc malgré les bonnes intentions de ses partisans, tout à fait ruineuse pour la classe prolétarienne. Si les travailleurs n’ont même plus leur travail, que leur reste-t-il ?
Un dernier point : une des bases théoriques du refus de l’écologisme est l’anti-malthusianisme de Marx : c’est la croissance même du capitalisme, débridée et déchainée qui doit produire à long terme (deux, ou trois générations) le passage au socialisme, et non les efforts pour en limiter et mesurer l’effet. Cela ne signifie pas que les limites physiques de la croissance n’existent pas ; mais pour pouvoir gérer ces limites il faut accéder au socialisme. Le capitalisme meurt sans la croissance ; le socialisme comme organisation de l’économie par les prolétaires peut choisir la croissance, ou la refuser. Il peut orienter la technologie. Il peut modifier, par la conscience, toute la production. En fait, la conscience collective des travailleurs peut tout ce qui est possible, et peut être plus. Mais elle n'apparait à elle même et au monde que dans la conscience de soi incarnée par le parti communiste au pouvoir.
Par contre la bourgeoisie n'a pas de conscience, ou plutôt elle n'a que la conscience réactive et horrifiée de sa fin, qu'elle interprète comme la fin de l'humanité elle même : la conscience de la bourgeoisie est l'anticommunisme, et l'anticommunisme actif et déterminé n'est autre que la réaction fasciste.
GQ, 8 novembre 2015

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