......LE PETIT ROI ET SON MÉPRIS DU DROIT
UN REGARD JURIDIQUE SUR L'ACTUALITÉ AVEC RÉGIS DE CASTELNAU
La presse nous rapporte ce qu’aurait déclaré,
en garde à vue, celui que beaucoup appellent désormais « le gorille à
Manu ». La première chose qui frappe, c’est l’étonnant culot dont il
fait preuve. La seconde, c’est qu’il est clair qu’il a été dûment
chapitré et que la stratégie de la Macronie sera de semer la confusion
en espérant continuer à profiter de la complaisance dont elle a
bénéficié d’une partie du haut appareil judiciaire. C’est la raison pour
laquelle il est utile sinon indispensable de revenir sur un certain
nombre d’aspects essentiels de la partie qui se joue aujourd’hui.
D’autant plus essentiels qu’ils constitueront les enjeux du débat
judiciaire. Or, avec un exécutif aujourd’hui plaqué au sol et un
législatif transformé en cirque, la justice est le seul des trois
pouvoirs dont on puisse espérer qu’il sera capable de rester à peu près
debout.
Gare au « gorille »
Le jour du déclenchement du scandale, après avoir vu la vidéo des faits, nous avions établi la nature des infractions qui devaient être reprochées à
Alexandre Benalla et le caractère inadmissible de la protection dont il
avait bénéficié après ses exactions. Le feuilleton qui se déroule
désormais nous apporte une révélation toutes les heures sur le statut et
les avantages délirants, et manifestement indus, dont bénéficiait le
« gorille ». Chacun de ces faits doit faire l’objet d’une analyse
juridique qui permette d’en caractériser l’aspect pénalement
répréhensible, et d’en identifier les auteurs.
Dans
la mesure où les événements que nous allons étudier ont fait l’objet de
décisions prises par des fonctionnaires dans le cadre de structures
hiérarchiques, rappelons les principes de responsabilité qui gouvernent
cette matière.
Tout d’abord, en application de l’article 28 de
la loi sur le statut de la fonction publique, le fonctionnaire est tenu
à un devoir d’obéissance. Assorti d’un devoir de désobéissance si
l’ordre qui lui est donné est manifestement illégal. L’article 122–4 du Code pénal exonère
le fonctionnaire auteur d’une infraction accomplie sur ordre à la
condition qu’il n’en ait pas connu le caractère illégal. Apparemment
accordés à la demande d’Emmanuel Macron, les avantages dont a bénéficié
Monsieur Benalla ont fait l’objet pour chacun de décisions
administratives. Tous les fonctionnaires impliqués sont donc
responsables et il est indispensable qu’ils en répondent.
Viens chez moi, j’habite chez un copain
Premier exemple, la rémunération exorbitante (environ 10 000 euros par mois) perçue par l’homme de main, selon Le Parisien.
S’agissant de fonds publics, il est clair qu’il ne peut y avoir
d’arbitraire dans la fixation de la rémunération des collaborateurs de
l’Élysée. De ce que l’on comprend aujourd’hui, le montant était
directement lié, non pas à l’utilité de la mission, mais à la faveur du
prince. Celle-ci ne saurait servir de support à une décision régulière.
Les chiffres qui circulent dans la presse sont effectivement
complètement excessifs, et peuvent encourir les foudres de l’application
de l’article 432–15 Code pénal relatif
au détournement de fonds publics. Le président de la République et ses
collaborateurs, et notamment son chef de cabinet, sont responsables du
maniement des fonds publics dont ils sont dépositaires. Les engagements
de dépenses doivent être conformes à l’intérêt public et non pas le
fruit de faveurs voulues et dispensées par le chef de l’État. Emmanuel
Macron sera protégé par son immunité présidentielle. Ce n’est pas le cas
de son directeur de cabinet qui a dû signer le « contrat de travail »
et saisir le comptable public de l’engagement des dépenses correspondant
à la rémunération. Il est indispensable qu’il en réponde dans le cadre
d’une procédure judiciaire. Ceci n’a rien de fantaisiste, on apprend par
un télescopage du calendrier, que Maryse Joyssains, maire
d’Aix-en-Provence, vient d’être condamnée pour avoir promu indûment son chauffeur et fourni à ses proches des emplois de complaisance !
Deuxième
exemple, le logement de fonction. Accordé, rappelons le, le 8 juillet
dernier, alors même que les communicants de l’Élysée, empêtrés dans
leurs mensonges, nous affirment que le « gorille à Manu » était puni.
Dans la fonction publique, concernant les logements de fonction, en
application du décret du 9 mai 2012, il existe deux régimes de « concession de logement ». D’une part, celle par « nécessité absolue de service »
qui impose au fonctionnaire une disponibilité totale, et ne donne pas
lieu à perception d’une contrepartie, c’est-à-dire d’un loyer. D’autre
part, une concession avec paiement d’un loyer, pour les fonctionnaires
qui sans être assujettis à la nécessité absolue sont tenus d’accomplir
un service d’astreinte. Il est clair que Monsieur Benalla, au statut
complètement flou, ne rentre dans aucune des catégories. Et que l’on ne
nous parle pas de sécurité, celle-ci est assurée dans le cadre de la loi
républicaine par le Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR),
composé de fonctionnaires formés. Qui a pris la décision d’attribuer ce
logement ? Quelle modalité a été choisie ? Quelle est la justification
de cet avantage en nature ? Monsieur Benalla est-il assujetti au
versement d’un loyer en application des stipulations du décret du 9 mai
2012 ? Si cette attribution, ce qui est fort probable, est contraire à
la réglementation, l’article 432–15 du Code pénal trouvera encore à
s’appliquer. Même motif, même punition pour celui qui a signé sur ordre
le contrat de bail.
Aux armes, etcaetera
Parlons
maintenant de la pseudo-sanction infligée au faux policier après ses
exploits place de la Contrescarpe. Il apparaît d’ores et déjà que les
soi-disant mise à pied et rétrogradation sans salaire n’ont jamais été
appliquées. Qu’en est-il de la rémunération? Le bruit court qu’elle
aurait quand même été versée, contrairement à ce qui a été dit. Et
pourquoi donc ? À la demande de qui ? Encore le 432–15 ? Cela devient
une habitude. Il serait bien de s’en expliquer devant un juge
d’instruction.
Il
y a également l’attribution au « gorille » d’un permis de port d’armes.
Autorisation invraisemblable, mais manifestement sur ordre du château
après un premier refus circonstancié de la préfecture de police. Tout
simplement parce que les conditions juridiques n’étaient probablement
pas réunies. Qu’à cela ne tienne, le prince cède à son homme qui rêve
depuis longtemps d’être « enfouraillé ». Comme le démontre la lecture
des «Macronleaks », il en avait formé la demande pendant la campagne
présidentielle. La valeur juridique de cette nouvelle autorisation
mériterait d’être regardée de près. Son grand ami Vincent Crase, le
salarié du parti LREM, s’est quant à lui passé de l’autorisation légale
puisqu’il parade, place de la Contrescarpe, avec un flingue bien visible
sur les photos et les vidéos. Sous les yeux des policiers vrais et faux
mélangés que ça n’a pas l’air de gêner. Port d’arme prohibé, et de
première catégorie, excusez du peu. Là aussi, il serait intéressant de
savoir pourquoi et comment des civils aussi douteux que nos duettistes
peuvent se promener ainsi armés jusqu’aux dents. Cela relève des
investigations d’un juge d’instruction.
Et ça continue encore et encore…
Nous avons ensuite l’hérésie d’attribuer un pass d’entrée donnant
accès à tous les locaux de l’Assemblée nationale et notamment à
l’hémicycle (!) à notre homme de main qui ne pouvait bien sûr y avoir
droit… Il serait intéressant que François de Rugy, le président de
l’Assemblée nationale, vienne s’expliquer sur ce manquement gravissime,
qui serait de nature à éclairer sur le dispositif qu’Emmanuel Macron
commençait à mettre en place pour privatiser à son profit les services
de sécurité de l’Élysée.
On parlera aussi de la fulgurante montée en grade d’Alexandre
Benalla (il était réserviste) dans la gendarmerie. Plusieurs
fonctionnaires de police ont déjà été mis en garde à vue et mis en examen. Trois d’entre eux, aux grades conséquents, ont trouvé tout à fait normal de trahir leur secret professionnel et de mettre à la disposition d’une personne visée par la justice des éléments strictement confidentiels. Encore bravo !
La
liste devrait normalement s’allonger. Alors à ce stade, à tous ceux
qui, par cupidité, arrivisme ou lâcheté, ont prêté la main aux dérives
voulues par le chef de l’État, on rappellera l’existence d’un autre
article du Code qui les concerne tous. L’article 433-1 du Code pénal, celui qui
réprime tous ceux qui ont pris des mesures pour faire échec à
l’exécution de la loi. Tous les faits, toutes les manœuvres, tous les
ordres qui viennent d’être décrits ci-dessus en relèvent.
Mais que fait la justice ?
Depuis
déjà un moment, la justice s’est laissée déshonorer par les agissements
de la juridiction d’exception du Pôle financier flanquée du Parquet
national financier (PNF). Outil politique acharné à fausser l’élection
présidentielle, d’abord contre Nicolas Sarkozy puis contre François
Fillon. Outil dirigé plus récemment contre le Rassemblement national. Il
semble symétriquement avoir servi d’étouffoir dès lors que des choses
très gênantes pouvaient être reprochées aux amis du Parti socialiste ou à
la Macronie. Que sont devenus Kader Arif, Bruno Leroux, Faouzi Lamdaoui
? Où en sont les affaires Ferrand, Collomb, Las Vegas, les irrégularités financières grossières de la campagne électorale du candidat Macron ?
En
allant au fond des choses, le parquet de Paris et les juges
d’instruction du même tribunal ont l’occasion de commencer à
reconstruire une crédibilité et une légitimité lourdement entamées
auprès de l’opinion. Il serait vraiment opportun de la saisir. Pas sûr
que l’histoire repasse les plats.
Quant
au président de la République, il pourrait apparaître comme l’auteur
initial, et par conséquent le responsable, de tout ce que le scandale
vient de mettre au jour. Sachant que ce n’est probablement pas fini. À
l’abri de son immunité, il va peut-être enfin faire un peu l’expérience
du fait que la politique est d’abord et avant tout un rapport de force.
Son
inconséquence l’a singulièrement isolé et il pourrait faire
l’expérience de l’ingratitude des hommes, et de leur capacité à
rapidement chercher des passerelles pour quitter le navire.
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