La faute de Benalla n'est pas qu'une défaillance individuelle, elle est le symbole du système macronien
Le
journaliste François Bazin dresse le bilan de l'affaire Benalla et
analyse la communication d'Emmanuel Macron durant ces dernières
semaines. Il y voit la faillite d'une gouvernance fondée sur la promesse
d'une «République exemplaire».
Ancien
rédacteur en chef du service politique du Nouvel Observateur, François
Bazin est l'auteur d'une biographie de Jacques Pilhan intitulée Le sorcier de l'Élysée, l'histoire secrète de Jacques Pilhan (Plon, 2009). Son dernier ouvrage, Rien ne s'est passé comme prévu. Les cinq années qui ont fait Macron est paru le 1er juin chez Laffont. Il tient le blog Lirelasuite.fr.
L'affaire
Benalla est-elle désormais close ou, pour le moins sous contrôle, comme
le suggèrent les porte-parole d'Emmanuel Macron?
François BAZIN.- Si
tel était le cas, encore faudrait-il expliquer comment un pouvoir qui
se prétend jupitérien a failli se noyer «dans un verre d'eau». Ceux qui
prétendent par ailleurs qu'une «affaire d'été», par définition, doit
s'éteindre à la rentrée confondent la fin de l'acte et la fin de la
pièce. Cette affaire est à tiroirs, tout comme celui qui en est le
héros. Chaque jour qui passe apporte de nouveaux rebondissements. C'est
un vrai feuilleton, passionnant à ce titre. Les premiers épisodes ont
été détonnant. La suite, ce sont des mèches mal éteintes qui, à tout
instant, peuvent relancer l'incendie.
Avec une meilleure communication, cet incendie aurait-il pu être circonscrit d'emblée?
La
communication ne peut pas tout. Ça ne sera jamais le coup de baguette
d'un prestidigitateur. Dans ce genre d'affaire, une bonne communication
doit proposer un récit qui soit à la fois crédible et honorable pour
ceux qui sont mis en cause.
Cela
suppose de la rapidité, de la franchise et de la netteté, y compris
dans le sacrifice de quelques positions trop évidemment indéfendables.
L'objectif, ce n'est pas la recherche du fusible mais l'installation
d'un pare-feu ou d'un dérivatif pour que la lecture de l'événement s'en
trouve modifiée. Or dans l'affaire Benalla, tout a été fait à l'inverse
et à contretemps.
Pourquoi?
Si
l'on refait le film des premiers jours, on voit d'abord qu'à l'Élysée,
on n'imaginait pas que deux mois et demi après les dérapages du 1er mai,
la responsabilité de Benalla puisse être soudain établie dans la
presse. Pas vu pas pris! Rien n'avait été préparé pour le cas contraire.
Quand le directeur de cabinet du Président est interrogé par Le Monde,
il ne peut que reconnaître la faute, agrémentée d'une sanction a
minima. Ce qui est évidemment trop court pour qu'on en reste là. Si
Benalla a été sanctionné, c'est qu'il n'était pas innocent mais alors
pourquoi a-t-il été ménagé à ce point, en catimini? Il y a là dès le
départ une grande contradiction.
Alors
que la mèche du soupçon vient d'être ainsi allumée, intervient alors le
porte-parole de l'Élysée. Sa déclaration solennelle est proprement
extravagante puisqu'elle repose sur une contre-vérité évidente: le
caractère inédit de la mise à pied provisoire de Benalla. Pour éteindre
le feu, on vient ainsi de l'arroser d'essence. Chapeau!
Pour
compléter le tout, ce jour-là, manque de chance, le Président est sur
le terrain et ne peut échapper aux questions des journalistes. On le
cherche mais il se dérobe sous l'œil des caméras, ce qui n'est pas
glorieux et montre surtout une gêne qui, dès lors, signale une forme de
complicité.
Pour vous, à partir de là, la messe est donc dite?
Elle
l'est en tout cas suffisamment pour qu'enquêteurs, commentateurs et
autres procureurs s'engouffrent dans la brèche avec les effets que l'on
sait. L'accusation, à ce stade, repose sur des pièces reconnues et
vérifiables tandis que la défense n'a pas le début d'un argumentaire
élaboré.
J'en
tire deux conclusions. La première est qu'une fois encore dans ce genre
affaire - Fillon pourrait en témoigner - vouloir gagner du temps en
improvisant ou en biaisant, c'est prendre le risque d'être emporté par
la vague. La seconde, propre au système Macron, est que son
hyper-centralisation le rend terriblement fragile, dès lors que le
Président montre dans la tourmente, une étonnante absence de réactivité.
À quoi bon se vanter d'être maître des horloges quand on est, dans les
faits, constamment en retard sur l'événement?
Macron aurait dû selon vous s'expliquer beaucoup plus vite en public?
Je
pense surtout qu'il n'a pas fallu longtemps avant que les Français
comprennent tout seul les ressorts principaux de cette affaire. En ce
sens, ils n'avaient guère besoin d'explications. Ils attendaient plutôt
des mots et des actes qui prouvent une reconnaissance immédiate de la
faute.
Si
celle-ci découle d'un sentiment d'impunité au sommet de l'État, par
manque de contrôle, si le système élyséen tel qu'il s'est mis en place
depuis un an sécrète l'excès de pouvoir, alors n'est-ce pas tromper son
monde que de se proclamer «responsable de tout» tout en sachant très
bien que, constitutionnellement, on ne l'est en fait de rien.
Responsable mais pas coupable: cette ligne de défense a déjà servi, sans
grande efficacité, me semble-t-il.
Une République exemplaire n'est pas une République infaillible, dit-on à l'Élysée…
J'entends
bien. Le Code de la route n'a jamais empêché les chauffards. Mais une
République qui, au sommet, faillit, masque la vérité et tarde à ce point
à prendre les sanctions qui s'imposent, a-t-elle encore un caractère
d'exemplarité?
Une défaillance individuelle, fut-ce d'un collaborateur du chef de l'État, permet-elle de condamner l'ensemble d'un système?
Plutôt
que de se contenter d'un JT sur TF1 où il apparaissait comme un gentil
garçon, poli et mesuré, Benalla a choisi de raconter par le détail, dans
deux autres interviews de presse écrite, son action et son rôle. Le
faire, soit dit en passant, sous la houlette d'un homme aussi
controversé que Marc Francelet, c'était comme aller chercher un brevet
de virginité chez Madame Claude.
La
caque, on le sait bien, sent toujours le hareng. Au-delà, ce qu'a
dessiné cette volée d'entretiens, c'est le portrait rêvé, non pas d'un
simple fantassin mais d'un jeune colonel de la macronie, sorte de Julien
Sorel bodybuildé, monté de sa province à force d'énergie et
d'hypocrisie, et qui aurait préféré au rouge et au noir le bleu de la
police en revoyant sans cesse Kevin Costner dans Bodyguard plutôt que de relire le Mémorial de Sainte Hélène.
Macron
aime Stendhal au point d'avoir posé un volume de son œuvre sur le
bureau de sa photo officielle. Benalla est plus qu'une pièce dans le
système présidentiel. C'est un personnage central dans le roman du
quinquennat.
Sa
faute, sur aucun plan, ne peut donc avoir le caractère d'une
défaillance individuelle. A mon sens, elle dit tout: le système, son
imaginaire, sa folie aussi.
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