Revenez après le ramadan, inchallah!
Par Karim Boukhari le 04/05/2019 à 18h05
C’est le mois où le temps devient inutile, voire
vilain et dangereux, comme un adversaire, un ennemi à abattre. Alors on
le tue littéralement, on veut s’en débarrasser, l’effacer, l’éliminer.
Le ramadan est un mois de spiritualité, on
arrête de manger et de faire des bêtises, on prie beaucoup, on pense aux
pauvres, on renoue avec les notions perdues d’entraide et de
solidarité, on sort de notre égoïsme, on oublie les choses
insignifiantes de la vie matérielle, on retrouve la famille, les
proches…
Dans un monde de bisounours, où la vie ressemblerait à une carte
postale, le ramadan donnerait «ça»: une parenthèse enchantée, une
période magique, où le riche et le pauvre seraient enfin réconciliés, à
l’intérieur d’une société égalitaire et juste comme le socialisme et le
communisme réunis n’ont jamais réussi à en produire.
Mais nous ne sommes pas dans un monde de bisounours!
Le ramadan est une parenthèse qui nous ramène à une autre réalité,
qui n’a rien de magique. C’est le mois du non-travail: il y a ceux qui
arrivent en retard et repartent très tôt, qui s’absentent pour prier ou
parce qu’ils sont malades, qui refusent de travailler parce qu’ils sont
irrités et n’ont pas la tête, etc.
C’est le mois de l’infantilisation : ceux qui se cachent pour se
nourrir, qui ont subitement peur de leurs enfants, de leurs parents, de
leurs amis, de leurs voisins, de leurs collègues.
C’est le mois de l’inquisition et de l’intolérance: ceux qui
reniflent les chambres, les escaliers, les bureaux, les voitures, à la
recherche du moindre signe de «non-jeûne». Ceux qui traquent les non
jeûneurs, les montrent du doigt, les maudissent et sont prêts à les
lyncher en public.
C’est le mois de la colère et des nerfs à vif (on s’insulte et on se
bagarre pour rien), des bousculades (aux portes des mosquées, des
commerces, des transports en commun), du non respect du code de la
route et des règles élémentaires de bonne conduite (on klaxonne sans
arrêt, on brûle les feux rouges, les stop, on ne respecte aucune
priorité).
Parce qu’on est «stressés», pressés, paniqués, distraits,
«travaillés» par la faim, la soif, le temps qu’il reste (avant l’appel
du ftour).
C’est le mois des mines grises et décoiffées, des horaires
improbables, des rendez-vous impossibles à obtenir ou à honorer (le
fameux «revenez après le ramadan, inchallah»), des téléphones qui ne
répondent jamais.
C’est, surtout, le mois où le temps devient inutile, voire vilain et
dangereux. C’est prodigieux, incroyable. Le temps devient un adversaire,
un ennemi à abattre. Alors on le tue littéralement, on veut s’en
débarrasser, l’effacer, l’éliminer. En dormant, en jouant aux cartes, en
s’assoupissant devant des rediffusions de séries ou d’émissions
stupides (mais qui ont la suprême qualité d’être interminables), en
palabrant sans fin à propos de tout et de rien.
Ce n’est pas un hasard si beaucoup de Marocains, qui peuvent se le
permettre, choisissent de fuir le pays en temps de ramadan. Ils
cherchent la liberté et la quiétude. Pour déjeuner sans avoir
l’impression de tuer quelqu’un. Ou jeûner tout en profitant de la vie et
du temps qui passe.
Bon ramadan, quand même! Et bon courage surtout à ceux qui vont
devoir se battre pour vivre pleinement leur spiritualité…ou essayer de
travailler et de maintenir un semblant d’activité «normale».
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