lundi 10 février 2020

Vietnam : capitalisme ou socialisme ?


Au Vietnam, le capitalisme le plus brutal — illustré par la ruée sur les terres paysannes — fait bon ménage avec une propagande communiste toujours très présente. Sur les bâtiments, dans les rues et au bord des routes continuent de flotter des bannières à fond rouge, frappées de la faucille et du marteau, parfois illustrées du visage de Ho Chi Minh, sur lesquelles sont inscrits des slogans censés justifier la politique d’urbanisation décidée par le parti : « Développer l’esprit révolutionnaire, réaliser victorieusement l’industrialisation, la modernisation et l’intégration internationale du pays ! » Ou encore : « Tous ensemble pour atteindre l’objectif : un peuple riche, un pays fort, une société équitable, démocratique et civilisée ! » Certains mots reviennent systématiquement. « Le terme “capitalisme” reste connoté très négativement, explique Thang, jeune urbaniste enseignant à l’université polytechnique de Ho Chi Minh-Ville. Il est donc interdit. À la place, le parti utilise les mots “développement”, “modernisation” ou “intégration internationale”. »
Revient aussi le terme « civilisation ». « Derrière ce mot, commente l’économiste Nguyen Van Phu, il faut entendre le modèle singapourien ou japonais : se comporter poliment, ne pas sortir en pyjama dans la rue, ne pas cracher par terre. Dans l’imaginaire vietnamien, ces comportements non civilisés appartiennent à notre passé de paysans, dont nous cherchons à nous extraire. » Les habitations basses et irrégulières, comme les commerces de rue, n’appartiennent pas à l’urbanisation « civilisée ». « Les masses paysannes, même si elles ont subi des expropriations, admirent ces grands ensembles bétonnés qui poussent partout en ce moment, explique la chercheuse Danielle Labbé. Pour elles, la terre et les rizières n’ont rien de romantique ni de charmant. Cela évoque la boue, les sangsues, la fatigue et la pauvreté. »
Une grande partie des Vietnamiens, surtout au sein des nouvelles générations, ne prêtent pas attention à ces slogans. « En revanche, je sais que mes parents continuent d’être influencés par eux, admet Mme Ly, Saïgonnaise de 28 ans qui travaille dans la mode. Il faut dire qu’ils n’ont que les médias d’État pour s’informer. Cela provoque des discussions souvent conflictuelles. » Pour diffuser ses messages, le Parti communiste, qui compte 4,5 millions de membres, s’appuie aussi sur un vaste réseau d’institutions et d’organisations de masse : la police (1,2 million de membres), l’armée (5 millions de réservistes) et le Front de la patrie — qui regroupe lui-même plusieurs associations de femmes, de vétérans, de travailleurs, de jeunes, etc. 
À l’inverse, les paysans expulsés de leurs terres sont prompts à dénoncer les contradictions entre les discours et les actes de leurs dirigeants. « En principe, le communisme, c’est pour le bien du peuple, non ? », fait mine de s’interroger une habitante de Thu Thiem, à Ho Chi Minh-Ville. De son côté, Mien, dont la mère a passé quatre ans en prison pour avoir manifesté devant les pelleteuses à Duong Noi, rappelle que, « pendant la guerre contre les Français, Ho Chi Minh a rallié à lui les paysans miséreux en leur promettant de leur rendre leurs terres, spoliées par les colonisateurs. Et, aujourd’hui, c’est le Parti communiste qui nous les vole ! ».
Pierre Daum
Blog El Diablo

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