Qui profite de la journée de solidarité, votre grand-mère ou votre patron ?
Depuis juin 2004, le lundi de Pentecôte n’est plus un jour férié
comme les autres. Le gouvernement Raffarin (avant que, l’année suivante,
il ne soit obligé de remettre sa démission suite à la magnifique
victoire du non à la constitution européenne) avait alors profité de
l’hécatombe due à la canicule (plus de 19 000 morts) pour entuber, une
fois de plus, les salariés.
Le principe de la “journée de solidarité” est simple : les salariés doivent bosser une journée sans être payés. “Le travail accompli, dans la limite de sept heures, durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération”
comme l’indique l’article L3133-8 du Code du travail. Dans beaucoup
d’entreprises, cette journée de solidarité est le lundi de Pentecôte
(1er juin 2020), mais une décision unilatérale de l’employeur, des
accords d’entreprises ou de branche peuvent fixer un autre jour.
Une partie du gain pour l’employeur est reversé par l’intermédiaire
d’une contribution solidarité autonomie (CSA) qui représente 0,3% de la
masse salariale. Elle est affectée à la Caisse nationale de solidarité
pour l’autonomie (CNSA), afin de financer des actions en faveur de
l’autonomie des personnes âgées ou handicapées. Elle finance les maisons
de retraites, instituts pour handicapés, etc., mais aussi les
départements qui gèrent l’allocation personnalisée d’autonomie et la
prestation de compensation du handicap.
Une aubaine de plus pour les patrons
Ces 0,3% de la masse salariale constituent un montant plus faible que
ce que rapportent à l’employeur les journées de travail ainsi cédées
gratuitement par les salariés. La durée légale du travail en France est
de 35 heures par semaines soit 1 607 heures par an. 7 heures gratuites
sur 1607 heures cela fait 0,4% et non 0,3%. Et surtout, un salarié
rapporte bien sûr plus qu’il ne coûte, c’est de là que viennent les
profits des entreprises. Depuis la mise en place de cette mesure,
celles-ci se sont donc fait des profits sur le dos de la “solidarité”
auprès des plus âgés.
Ces 0,3% sont complétés depuis fin 2012 par une contribution
additionnelle de solidarité pour l’autonomie. François Hollande et son
équipe de bras cassés ont eu en effet une idée géniale : en plus
d’arnaquer les salariés, pourquoi ne pas ponctionner aussi directement
les personnes âgées elles-mêmes, puisque ce sont elles qui vont
bénéficier du dispositif ? Il fallait y penser ! Cette contribution
additionnelle frappe elle aussi au taux de 0,3% les retraites, les
allocations de pré retraites et… les pensions d’invalidité. Taxer les
pensions d’invalidité pour financer l’autonomie des personnes âgées,
c’est hyper logique non ?
Une fois de plus, on le voit, nos gouvernants ont tout fait pour
éviter de faire payer davantage les entreprises et les plus riches. En
2020, la journée de solidarité devrait permettre de collecter 2,948
milliards d’euros uniquement par la contribution des salariés et des
retraités.
Vers une deuxième journée d’escroquerie ?
Le plus consternant, sans doute, est que malgré l’effort des millions
de salariés qui travaillent gratuitement une journée chaque année, la
tragédie du Covid-19 n’a pas été évité, et qu’on a laissé mourir les
plus anciens dans les Ehpad, ou isolés chez eux. L’exposé des motifs de
la loi instituant la journée solidarité indiquait pourtant que “la
canicule du mois d’août 2003 et l’importante surmortalité qui l’a
accompagnée ont cruellement mis en évidence l’isolement d’un trop grand
nombre de nos concitoyens âgés auxquels il n’a pu être porté secours
faute de les connaître. Il importe de tirer les leçons de cet événement
exceptionnel. Les enseignements principaux concernent, d’une part,
l’absence d’alerte, que ce soit dans le domaine sanitaire, libéral ou
hospitalier, ou dans le domaine médico-social, permettant d’appréhender
et d’apprécier en temps réel les difficultés rencontrées et, d’autre
part, la nécessité de disposer d’un réseau de relations permettant
d’atteindre les personnes les plus exposées en raison de leur fragilité
et de leur isolement.” On voit que les milliards versé à la Caisse nationale pour l’autonomie n’ont pas permis de répondre à ces objectifs.
Le risque est grand que pour améliorer cette situation, le
gouvernement impose une deuxième journée de solidarité. En avril 2018,
Macron y voyait une ”piste intéressante”. En Mars 2019, Stanislas Guérini, le délégué général du parti En Marche, avait relancé l’idée.
Plus récemment, l’Institut Montaigne, dans sa fameuse note relayée massivement par les médias, proposait que les salariés travaillent gratuitement le jeudi de l’ascension, reprenant ainsi une préconisation du Medef dans sa brochure sur les 1 million d’emploi.
S’opposer à l’appropriation du travail par les actionnaires
La journée de solidarité est une brèche dans laquelle le patronat
veut s’engouffrer. Elle peut aussi, à l’inverse, contribuer à dévoiler
aux salariés que ce n’est pas seulement pendant cette journée qu’ils
travaillent gratuitement, mais au moins pendant un mois de travail
chaque année. Comme l’indiquait l’économiste Michel Husson en 2013, ”Si l’on traduit en heures de travail la part des dividendes dans la valeur ajoutée en France, on observe qu’aujourd’hui un
salarié travaille en moyenne vingt-six jours par an pour les
actionnaires, contre neuf jours par an au début des années quatre-vingt.
La ponction a donc été multipliée par trois. Cet
accroissement pourrait à la limite être justifié si les actionnaires
avaient apporté davantage au financement du capital. Mais ça n’est pas
le cas. Ce qu’on observe, ce n’est rien d’autre qu’une ponction
croissante sur la valeur ajoutée.” .
Alors pourquoi pas faire une journée de grève chaque année le lundi
de Pentecôte pour s’opposer à toutes ces journées que s’octroient les
actionnaires ? En tout cas, la critique de l’appropriation du travail
d’autrui sera un combat central pour les mauvais jours qui s’annoncent.
Guillaume Etiévant
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