Municipales. À propos de l’éventuelle disparition du Parti communiste
Par Serge Regourd, Professeur émérite des universités.
Depuis
plusieurs décennies, dès la fin du premier septennat de François
Mitterrand, les chroniqueurs politiques des grands médias n’ont cessé
d’annoncer la disparition prochaine du Parti communiste. Il serait
intéressant de mener une recherche d’envergure, dans le domaine des
Sciences de l’information et de la communication, sur cette thématique.
Quelques simples clics sur internet permettent, déjà, de recueillir un
florilège haut en couleur : chaque échéance électorale est ainsi rythmée
par la scansion des « morts qu’il faut qu’on tue ».
Le sort du « communisme municipal » n’échappe pas à cette
présentation crépusculaire. Dès avant le premier tour des dernières
municipales, le champ lexical réservé aux candidats communistes était
univoque : « Vers la fin du communisme municipal ? », « l’éradication de
la ceinture rouge », et autres « tentatives de survie »...
Pourtant, le premier tour de ces municipales, en mars
dernier, vint contredire ces funestes prévisions. L’élection immédiate
de plusieurs dizaines de municipalités communistes, de Montreuil à
Dieppe, de Vierzon à Nanterre, de Gennevilliers à Martigues, déjouait,
une fois encore, l’agenda politico-médiatique. Les experts cathodiques
revinrent alors, sagement, au droit commun selon lequel ils traitent,
pour l’essentiel, le PCF hors période électorale : ignorance et
occultation.
Leur verve éditoriale a été ranimée grâce à ce qu’il
convient bien de qualifier de mauvais résultats du second tour, au terme
duquel une vingtaine de villes ont été perdues, parmi lesquelles
plusieurs « bastions » historiques et symboliques. L’information «
mainstream » a alors trouvé à s’appuyer sur des faits avérés pour
ré-alimenter la litanie de la fin prochaine du communisme municipal.
Pourtant, selon les enseignements du sociologue Gaston
Bachelard, « voir sans comprendre n’est rien ». Il s’agit donc de
comprendre les causes de ces mauvais résultats et d’interroger leur
portée : signifient-ils un retournement de situation par rapport au
premier tour ? Traduisent-ils un authentique désaveu à l’égard des élus
communistes en place ? Y a-t-il une cohérence globale quant à l’échec
enregistré de Saint-Denis à Saint-Pierre-des-Corps, ou d’Aubervilliers ?
Certes, dans un certain nombre de cas, des villes ont été
perdues par le Parti communiste et d’autres ont été gagnées (comme
Bobigny ou Villejuif) selon la logique inhérente à toute consultation
électorale et frappant tous les partis. Plusieurs défaites relèvent
alors des aléas du scrutin et, parfois, du déplacement d’un petit nombre
de voix, comme ce fut, par exemple, le cas à Aubiére, où le maire
sortant communiste a été devancé de 5 voix dans une ville de plus de 10
000 habitants (ce très faible écart constituant l’un des critères
permettant au juge administratif d’annuler éventuellement les résultats
de l’élection).
Pourtant, dans un important pourcentage de villes perdues,
des éléments spécifiques fournissent une toute autre explication, ayant
permis de diagnostiquer l’échec avant même le dépouillement des
bulletins de vote.
Selon cet examen critique, les responsabilités peuvent,
dans certains cas, être partagées, et aussi imputables à des
responsables locaux du PCF, même si dans la majorité des cas, les
candidats communistes n’ont fait que subir des alliances contre nature.
Le cas de Saint-Denis est ambivalent de telles
hypothèques. L’échec de la fusion avec la liste de la FI avait scellé le
sort de la plus importante ville détenue par le PC au terme d’un
déplorable imbroglio, mêlant intransigeance politique et improvisation
organisationnelle.
Selon une autre dramaturgie, l'échec de Gardanne, était également programmé par les choix précédant le second tour. Au
premier tour, le candidat officiel du PC était crédité de 23, 78 %,
précédant le candidat soutenu par l’ancien maire communiste (22,84 %).
Arithmétiquement, la ville était donc assurée de rester dans son ancrage
politique. Mais là, alors que de surcroît un candidat RN était
également en piste, le candidat arrivé en deuxième position s’est
maintenu, permettant à la droite de mettre un terme à la longue
tradition communiste.
Ces deux cas de figure ont en commun d’avoir fait
prévaloir des questions de personnes, de natures diverses, sur les
enjeux électoraux, autorisant ensuite des commentaires politiques en
termes d’effondrement de bastions communistes alors que les conditions
de leur pérennité étaient réunies.
Dans nombre d’autres cas - sans que tous puissent être
mentionnés -, les candidats communistes ont, simplement, été victimes
d’arrangements politiciens d’alliés supposés ayant revêtu l’habit
d’adversaires.
Le cas qui mériterait la plus longue explicitation est
celui d’Aubervilliers. La profusion des listes de gauche au premier tour
a permis à la candidate de droite d’arriver en tête (25 %). Pour le
second tour, le candidat du PS (13 %) et le candidat « communiste
dissident » (7,43 %) ont choisi de fusionner non avec la maire
communiste sortante mais avec la liste dite citoyenne d’un ancien
adjoint, dont plusieurs publications et enquêtes (notamment de la revue Marianne)
avaient décrypté comment ce caractère citoyen visait à occulter un
caractère proprement communautariste. Un socialiste et un prétendu «
plus authentique communiste » ont ainsi joué les chevaux de Troie pour
offrir les clés de cette ville symbole de la culture ouvrière à la
droite.
Situation proche à Seclin, où le maire communiste sortant
était à égalité de suffrages avec son concurrent de droite au premier
tour (40 %), ayant nettement relégué son ancien adjoint socialiste (10
%) avant que ce dernier décide de fusionner avec... la droite pour le
second tour. Le scénario mis en œuvre à Choisy-le-Roi ne fut guère
différent : c’est cette fois le candidat EELV du premier tour qui fit
alliance avec la droite pour entraîner l’échec du maire communiste
sortant.
À Saint-Pierre-des-Corps, citadelle cheminote communiste,
les résultats du premier tour étaient clairement favorables au candidat
communiste : il était certes précédé par le candidat de droite (29 %
contre 27 %), mais il disposait d’importantes réserves à gauche : 15 %
côté PS, près de 12 % coté EELV. À ceci près que chacune de ces deux
listes, n’ayant pourtant aucune chance de l’emporter, se sont maintenues
au second tour, offrant, là encore, la mairie à la droite dans une
ville symbole de la gauche.
Sans qu’il soit possible de mentionner chacune des villes
en cause, l’échec subi à Givors relève de la même grille de lecture :
alors que le maire communiste sortant était en tête au premier tour
(24,55 %), la deuxième liste de gauche (20, 52%) s’est maintenue malgré
la présence du RN en deuxième position (22%) dans le cadre d’une
quadrangulaire, aboutissant à l’échec du maire sortant pour quelques
voix (28,24 % contre 28,88 %).
Il apparaît ainsi que si la coagulation de ces différents
échecs peut autoriser un commentaire journalistique rituel en forme de
longue chronique d’une mort annoncée, l’analyse circonstanciée des
résultats ville par ville, conduit à des conclusions sensiblement
différentes.
Par-delà l’addition d’un certain nombre de signes
négatifs, les dernières municipales ont, à l’inverse, également permis à
des candidats communistes de se manifester comme têtes de listes
légitimes et offensives de l’ensemble de la gauche dans des grandes
villes comme Le Havre ou Nîmes, et grâce à de larges coalitions de
gauche, de Bordeaux à Strasbourg, de Marseille à Montpellier, d’élargir
le nombre de ses conseillers municipaux et de rester le troisième parti
en termes de municipalités dirigées par un maire communiste, avec
notamment une vingtaine de villes de plus de 30 000 habitants. Une
réalité politique totalement occultée par les représentations
médiatiques.
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