jeudi 9 juillet 2020

Municipales. À propos de l’éventuelle disparition du Parti communiste

Par Serge Regourd, Professeur émérite des universités.
Depuis plusieurs décennies, dès la fin du premier septennat de François Mitterrand, les chroniqueurs politiques des grands médias n’ont cessé d’annoncer la disparition prochaine du Parti communiste. Il serait intéressant de mener une recherche d’envergure, dans le domaine des Sciences de l’information et de la communication, sur cette thématique. Quelques simples clics sur internet permettent, déjà, de recueillir un florilège haut en couleur : chaque échéance électorale est ainsi rythmée par la scansion des « morts qu’il faut qu’on tue ».
Le sort du « communisme municipal » n’échappe pas à cette présentation crépusculaire. Dès avant le premier tour des dernières municipales, le champ lexical réservé aux candidats communistes était univoque : « Vers la fin du communisme municipal ? », « l’éradication de la ceinture rouge », et autres « tentatives de survie »...
Pourtant, le premier tour de ces municipales, en mars dernier, vint contredire ces funestes prévisions. L’élection immédiate de plusieurs dizaines de municipalités communistes, de Montreuil à Dieppe, de Vierzon à Nanterre, de Gennevilliers à Martigues, déjouait, une fois encore, l’agenda politico-médiatique. Les experts cathodiques revinrent alors, sagement, au droit commun selon lequel ils traitent, pour l’essentiel, le PCF hors période électorale : ignorance et occultation.
Leur verve éditoriale a été ranimée grâce à ce qu’il convient bien de qualifier de mauvais résultats du second tour, au terme duquel une vingtaine de villes ont été perdues, parmi lesquelles plusieurs « bastions » historiques et symboliques. L’information « mainstream » a alors trouvé à s’appuyer sur des faits avérés pour ré-alimenter la litanie de la fin prochaine du communisme municipal.
Pourtant, selon les enseignements du sociologue Gaston Bachelard, « voir sans comprendre n’est rien ». Il s’agit donc de comprendre les causes de ces mauvais résultats et d’interroger leur portée : signifient-ils un retournement de situation par rapport au premier tour ? Traduisent-ils un authentique désaveu à l’égard des élus communistes en place ? Y a-t-il une cohérence globale quant à l’échec enregistré de Saint-Denis à Saint-Pierre-des-Corps, ou d’Aubervilliers ?
Certes, dans un certain nombre de cas, des villes ont été perdues par le Parti communiste et d’autres ont été gagnées (comme Bobigny ou Villejuif) selon la logique inhérente à toute consultation électorale et frappant tous les partis. Plusieurs défaites relèvent alors des aléas du scrutin et, parfois, du déplacement d’un petit nombre de voix, comme ce fut, par exemple, le cas à Aubiére, où le maire sortant communiste a été devancé de 5 voix dans une ville de plus de 10 000 habitants (ce très faible écart constituant l’un des critères permettant au juge administratif d’annuler éventuellement les résultats de l’élection).
Pourtant, dans un important pourcentage de villes perdues, des éléments spécifiques fournissent une toute autre explication, ayant permis de diagnostiquer l’échec avant même le dépouillement des bulletins de vote.
Selon cet examen critique, les responsabilités peuvent, dans certains cas, être partagées, et aussi imputables à des responsables locaux du PCF, même si dans la majorité des cas, les candidats communistes n’ont fait que subir des alliances contre nature.
Le cas de Saint-Denis est ambivalent de telles hypothèques. L’échec de la fusion avec la liste de la FI avait scellé le sort de la plus importante ville détenue par le PC au terme d’un déplorable imbroglio, mêlant intransigeance politique et improvisation organisationnelle. 
Selon une autre dramaturgie, l'échec de Gardanne, était également programmé par les choix précédant le second tour. Au premier tour, le candidat officiel du PC était crédité de 23, 78 %, précédant le candidat soutenu par l’ancien maire communiste (22,84 %). Arithmétiquement, la ville était donc assurée de rester dans son ancrage politique. Mais là, alors que de surcroît un candidat RN était également en piste, le candidat arrivé en deuxième position s’est maintenu, permettant à la droite de mettre un terme à la longue tradition communiste.
Ces deux cas de figure ont en commun d’avoir fait prévaloir des questions de personnes, de natures diverses, sur les enjeux électoraux, autorisant ensuite des commentaires politiques en termes d’effondrement de bastions communistes alors que les conditions de leur pérennité étaient réunies. 
Dans nombre d’autres cas - sans que tous puissent être mentionnés -, les candidats communistes ont, simplement, été victimes d’arrangements politiciens d’alliés supposés ayant revêtu l’habit d’adversaires.
Le cas qui mériterait la plus longue explicitation est celui d’Aubervilliers. La profusion des listes de gauche au premier tour a permis à la candidate de droite d’arriver en tête (25 %). Pour le second tour, le candidat du PS (13 %) et le candidat « communiste dissident » (7,43 %) ont choisi de fusionner non avec la maire communiste sortante mais avec la liste dite citoyenne d’un ancien adjoint, dont plusieurs publications et enquêtes (notamment de la revue Marianne) avaient décrypté comment ce caractère citoyen visait à occulter un caractère proprement communautariste. Un socialiste et un prétendu « plus authentique communiste » ont ainsi joué les chevaux de Troie pour offrir les clés de cette ville symbole de la culture ouvrière à la droite.
Situation proche à Seclin, où le maire communiste sortant était à égalité de suffrages avec son concurrent de droite au premier tour (40 %), ayant nettement relégué son ancien adjoint socialiste (10 %) avant que ce dernier décide de fusionner avec... la droite pour le second tour. Le scénario mis en œuvre à Choisy-le-Roi ne fut guère différent : c’est cette fois le candidat EELV du premier tour qui fit alliance avec la droite pour entraîner l’échec du maire communiste sortant.
À Saint-Pierre-des-Corps, citadelle cheminote communiste, les résultats du premier tour étaient clairement favorables au candidat communiste : il était certes précédé par le candidat de droite (29 % contre 27 %), mais il disposait d’importantes réserves à gauche : 15 % côté PS, près de 12 % coté EELV. À ceci près que chacune de ces deux listes, n’ayant pourtant aucune chance de l’emporter, se sont maintenues au second tour, offrant, là encore, la mairie à la droite dans une ville symbole de la gauche.
Sans qu’il soit possible de mentionner chacune des villes en cause, l’échec subi à Givors relève de la même grille de lecture : alors que le maire communiste sortant était en tête au premier tour (24,55 %), la deuxième liste de gauche (20, 52%) s’est maintenue malgré la présence du RN en deuxième position (22%) dans le cadre d’une quadrangulaire, aboutissant à l’échec du maire sortant pour quelques voix (28,24 % contre 28,88 %).
Il apparaît ainsi que si la coagulation de ces différents échecs peut autoriser un commentaire journalistique rituel en forme de longue chronique d’une mort annoncée, l’analyse circonstanciée des résultats ville par ville, conduit à des conclusions sensiblement différentes.
Par-delà l’addition d’un certain nombre de signes négatifs, les dernières municipales ont, à l’inverse, également permis à des candidats communistes de se manifester comme têtes de listes légitimes et offensives de l’ensemble de la gauche dans des grandes villes comme Le Havre ou Nîmes, et grâce à de larges coalitions de gauche, de Bordeaux à Strasbourg, de Marseille à Montpellier, d’élargir le nombre de ses conseillers municipaux et de rester le troisième parti en termes de municipalités dirigées par un maire communiste, avec notamment une vingtaine de villes de plus de 30 000 habitants. Une réalité politique totalement occultée par les représentations médiatiques.

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