« Vague verte » aux municipales : un mythe pas innocent
Le mythe de la « vague
verte » qui aurait déferlé au second tour prépare le terrain aux
suppressions d’emplois et à l’austérité salariale renforcée, en harmonie
avec le « Pacte Vert » de la Commission européenne.
Près de deux semaines après le second
tour des élections municipales, la poussière est un peu retombée : on
peut donc s’interroger sereinement sur la réalité de ladite « vague
verte ».
Que les écologistes répandent cette
légende avec enthousiasme, c’est de bonne guerre (encore que ces
derniers devraient être prudents : une vague est par nature un mouvement
ascendant qui ne manque jamais de retomber peu après). Mais qu’une
armée d’analystes, d’experts et de commentateurs répète et alimente ce
qui relève manifestement du mythe, voilà qui n’est sans doute pas
innocent. Après tout, un mythe est un récit imaginaire dont la
construction et la pérennité influencent ensuite la réalité.
C’est le second scrutin à propos duquel on vante de toute part la « poussée écologiste » : ce fut déjà le cas lors des élections européennes de mai 2019,
où l’on nous avait même décrit cette dernière comme déferlant sur le
Vieux continent, et ce, alors même que les forces se réclamant de
l’écologie politique n’avaient progressé – souvent de manière modeste –
que dans sept ou huit pays de l’Union européenne, qui en comptait (à ce
moment) vingt-huit. Cette échéance électorale avait déjà été marquée par
une abstention considérable (49,5 % en France, 49%, dans l’UE). La
liste des Verts français avait obtenu 13,4% dans ce contexte de faible
participation.
Cette fois encore, la caractéristique
majeure du scrutin du 28 juin est l’abstention massive, et, surtout,
bien plus inhabituelle pour une élection locale : plus de 58%
d’électeurs sont restés chez eux. C’est un record historique sans
précédent pour ce type de scrutin. Dès lors, tirer des leçons et asséner
des conclusions à partir d’une élection qui n’a mobilisé, lors du
second tour, que deux électeurs sur cinq – bien moins, même, car une
partie des citoyens n’est pas inscrite sur les listes électorales – est
pour le moins aléatoire.
L’ampleur de cette désaffection des
urnes n’a pu évidemment échapper à personne. Pour ne prendre que
l’exemple de Grenoble, seule ville de plus de 100 000 habitants ayant à
sa tête un maire sortant étiqueté EELV, l’abstention atteint des sommets
avec près de 65% des inscrits. Eric Piolle, présenté comme le maire
Vert exemplaire, obtient ainsi 16 000 suffrages, pour une commune qui
compte près de 160 000 habitants. En matière de tsunami électoral, on a
vu plus impressionnant…
Si le peuple avait souhaité massivement
exprimer son enthousiasme écologique, le résultat eût été plus marquant.
Qui plus est, dans cette ville comme dans tout le pays, ceux qui se
sont abstenus le plus sont, sans surprise, les électeurs des milieux
populaires, ainsi que les jeunes.
Or la jeune génération est précisément
celle qui est souvent présentée comme le fer de lance des combats
environnementaux. Si les urnes avaient vraiment exprimé une volonté de
« transition écologique », pourquoi ceux qui sont censés en être les
champions les auraient-ils boudées à ce point ?
La progression des Verts au premier tour correspond à une « rééquilibrage » au sein de la « gauche ». Ainsi qu’à un transfert des voix d’Emmanuel Macron vers l’écologie
La thèse de la « vague verte qui déferle
sur le pays » s’appuie sur un fait réel : le parti EELV conquiert une
douzaine de villes de plus de 30 000 habitants, notamment parmi les plus
grandes, telles que Lyon, Bordeaux ou Strasbourg. Pourtant, cet
affichage doit être relativisé. Car il y a tout de même plus de 250
communes de taille au moins égale à ce seuil. Et le Parti communiste,
par exemple, pourtant décrit comme en perdition, en conserve plus d’une
vingtaine.
Une analyse sérieuse des rapports de
forces électoraux ne peut, en tout état de cause, que se baser sur le
premier tour. Egalement marqué par une très faible participation (45%),
ce dernier avait eu lieu le 15 mars, et avait certes marqué une certaine
progression des Verts. Mais celle-ci correspond en fait à une
« rééquilibrage » au sein de la « gauche ». Ou bien, comme à Bordeaux, à
un transfert des voix d’Emmanuel Macron vers l’écologie au sein des
catégories aisées. Il n’est un secret pour personne que les écolos font
leurs meilleurs scores parmi ces dernières. Tout particulièrement dans
les centres-villes et les quartiers habités par ce qu’on nomme souvent
les « bobos ». A l’inverse, ils sont souvent insignifiants dans les
quartiers populaires.
La redistribution des cartes au sein de
ce qui se nomme encore la « gauche » (mais qui ne met plus depuis
longtemps en cause la domination de la société par les propriétaires du
capital) intéresse certainement les tacticiens et stratèges désormais
occupés à préparer la prochaine élection présidentielle, au printemps
2022.
Ce rééquilibrage ne signifie en aucune manière la montée d’une puissante aspiration environnementale
Mais cela ne signifie en aucune manière
la montée d’une puissante aspiration environnementale au sein de la
population toute entière, et des classes exploitées en particulier.
Celles-ci sont confrontées, et le seront encore plus brutalement dans
les mois qui viennent, à un choc social brutal en termes d’emploi en
particulier. Les plans de suppressions d’emploi chez Air France, Airbus,
Renault ne sont que de premières manifestations des restructurations
prévues, dont la plupart étaient prévues dès avant l’épidémie.
A un titre ou à un autre, elles se
réclament de la « préservation du climat » : il faut moins prendre
l’avion, donc moins construire d’appareils, et limiter la circulation
automobile. De fil en aiguille, c’est toute l’économie qui risque de
subir cette onde de choc, des télécommunications (Nokia ex-Alcatel) aux
médicaments et à la chimie (Sanofi). Onze millions d’emplois directs
sont menacés par le Pacte Vert (« green Deal »), priorité absolue de la
Commission européenne.
La « sobriété » et la « frugalité », pour mieux « sauver la planète », sont les nouveaux habits de l’austérité salariale
De même, la « sobriété » et la
« frugalité », pour mieux « sauver la planète », sont les nouveaux
habits de l’austérité salariale. Il faudrait ainsi « consommer moins, produire moins et donc travailler moins », selon la formule initiale de
ladite Convention citoyenne – 150 citoyens tirés au sort et devenus
miraculeusement unanimes sur la protection de la planète, en fait un des
plus abominables exemples dans l’histoire des manipulations
idéologiques d’Etat.
La « vague verte » est en réalité une
construction idéologique qui vise à soutenir les politiques « toujours
plus vertes » qu’Emmanuel Macron annonce depuis des mois, désormais
soutenu activement par Bruxelles… et les patrons du CAC 40.
Depuis des mois ? Plus précisément
depuis l’automne 2018, quand il avait voulu imposer une « taxe carbone »
sur l’essence et le diesel afin – c’était dit ouvertement – de « faire
changer les comportements ». La suite, ce fut le mouvement des Gilets jaunes… et le retrait précipité de cette taxe.
Si certains croient réellement avoir
convaincu le pays d’opérer une « conversion écologique », et se fondent
sur le résultat des municipales pour estimer que le moment est venu, ils
se préparent peut-être de nouvelles et douloureuses surprises…
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