L'épidémiologiste Catherine Hill dénonce : «On a fait des millions de tests inutiles»
L’épidémiologiste Catherine Hill montre, avec son confrère Jean-François Rupprecht, chargé de recherche au CNRS, l’inefficacité de la stratégie gouvernementale contre le coronavirus. Elle propose une alternative concrète de dépistage par les tests antigéniques et groupés pour endiguer les contaminations. Entretien.
Comment jugez-vous la stratégie du gouvernement français pour lutter contre le virus, depuis mars et jusqu’à présent, avec l’annonce d’un couvre-feu nocturne dans les grandes métropoles ?
Catherine Hill Cette stratégie est tout sauf estimable ! Le dépistage actuel correspond en partie à une instruction du 6 mai : « La mise en œuvre d’un dépistage offensif repose sur les principes suivants : le dépistage de toute personne présentant des symptômes du Covid-19. Le dépistage de toute personne identifiée comme ayant été en contact à risque élevé de transmission avec une personne testée positivement. » Une autre partie du « système » de dépistage a consisté à rendre le dépistage accessible à qui voulait, sans ordonnance et sans frais. La première partie du système est inefficace à cause des porteurs de virus asymptomatiques. Ces principes ignorent le fait qu’au moins la moitié des contaminations proviennent de porteurs sans symptômes, soit parce qu’ils ne seront jamais symptomatiques, soit parce qu’ils ne sont pas encore symptomatiques. L’ensemble est inefficace à cause des délais dans la réalisation et dans le rendu des résultats des tests.
Une personne contaminée est symptomatique en moyenne au bout de cinq jours mais commence à être contagieuse peu après la contamination. Si on la teste deux jours après les symptômes (le temps de voir un médecin et d’accéder au test) et si on lui rend les résultats trois jours après, on lui annonce sa contagiosité le plus souvent quand elle n’est plus contagieuse. Les contacts qu’elle a commencé à contaminer neuf jours avant ont déjà eu le temps de contaminer autour d’eux.
En conséquence, les cas identifiés par les tests ne correspondent qu’à une petite fraction de l’ensemble des cas (10 % des cas entre le 13 mai et le 28 juin, d’après une étude de l’équipe de Vittoria Colizza). Du 9 mai au 12 octobre, les foyers repérés ne contiennent que 8 % des cas. Dans la semaine du 5 au 11 octobre, un cas sur 4 est un contact d’un cas connu.
Aussi, la population testée est un mélange de cas symptomatiques, de cas contacts, de personnes ayant une raison professionnelle pour se faire tester et de personnes souhaitant un test et capables de faire des heures de queue debout dans la rue. Ce n’est donc en aucun cas un échantillon représentatif de la population. On a fait des millions de tests inutiles car leurs résultats sont arrivés beaucoup trop tard, gaspillant ainsi beaucoup d’argent.
Depuis des semaines, vous préconisez l’utilisation régulière de tests pour dépister massivement la population. Quelle stratégie proposez-vous concrètement ?
Catherine Hill On pourrait commencer en testant par RT-qPCR un échantillon représentatif de la population. Cela a été fait cinq fois en Angleterre, du 1 er mai au 1 er juin pour le premier épisode et du 18 au 25 septembre pour le cinquième : 680 000 Anglais âgés de 5 ans ou plus ont ainsi été testés par PCR à partir d’un autoprélèvement nasopharyngé à partir de 13 ans et d’un prélèvement fait par les parents entre 5 et 12 ans. Cette étude permet d’estimer que, fin septembre, 5,5 Anglais sur 1 000 étaient positifs. Une fois mesurée l’étendue du problème, il faudra cibler les populations prioritaires pour des campagnes massives combinant tests RT-qPCR individuels (utilisés actuellement), tests RT-qPCR groupés (en pool) et tests antigéniques. En cassant le coût du dépistage, tests groupés et tests antigéniques permettent de tester régulièrement des populations pour y détecter le plus tôt possible l’arrivée du virus avant qu’il ne se propage.
On peut cibler les populations à fort risque de transmission interne (équipes sportives, travailleurs en dortoirs) ou au contact de personnes vulnérables (personnel d’Ehpad ou hospitalier). Des tests groupés réguliers sont ainsi menés dans plus d’une centaine de maisons de retraite en Allemagne depuis la mi-mars 2020. Il faudra alors choisir entre prélèvements nasopharyngés et salivaires, ces derniers étant plus faciles et au moins aussi efficaces pour les tests RT-qPCR, d’après une série d’études publiées récemment. Les étudiants sont à risque de contaminer leur famille, surtout pendant les vacances.
On peut envisager des campagnes de dépistage globales et répétées dans les résidences universitaires, comme cela se fait aux États-Unis, en Belgique (Liège) ou encore au Royaume-Uni (Cambridge). Pour simplifier le déploiement des tests RT-qPCR groupés, on peut envisager, comme à Cambridge, de renoncer dans un premier temps à l’identification des individus à l’origine d’un résultat positif dans le mélange. Regroupés par dortoirs, les membres d’un groupe positif sont préventivement isolés ; un second test individuel permet alors d’identifier le ou les individus positifs. Déjà accrédités pour suppléer aux besoins des laboratoires de ville, les laboratoires de recherche pourraient être sollicités pour mener les opérations de dépistage dans les structures universitaires ou hospitalières qui les hébergent.
Selon vous, pourquoi cette stratégie de dépistage massive n’est-elle pas « suivie » par les pouvoirs politiques ?
Catherine Hill Je n’en ai aucune idée, mais je constate que la stratégie est tournée vers la fin du processus : les lits de réanimation, au lieu de s’intéresser au début du processus, à savoir la contamination dans la population. Or, le meilleur moyen d’éviter d’engorger les réanimations est de réduire la contamination.
À l’heure actuelle, est-il encore possible de redresser la situation sanitaire en France ?
Catherine Hill Il n’est jamais trop tard pour bien faire. On entend dire qu’il serait trop tard pour faire des tests groupés, le taux de positivité dépassant les 10 %, groupés par 10, les tests seraient tous positifs. C’est confondre diagnostic et dépistage : il y a aujourd’hui 16 % de positifs parmi les personnes testées parce que les symptomatiques et leurs contacts sont bien plus nombreux parmi les personnes testées que dans la population générale.
La priorité actuelle doit être de maintenir une éradication virale partout où c’est possible, surtout dans les populations à risques ; le taux de positivité doit y rester quasi nul et les tests groupés y seront alors efficaces pour prévenir les clusters.
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