jeudi 15 octobre 2020

Rouge vif. L’idéal communiste chinois

PAR FERNANDEZ JUSTINE

7 OCT. 2020

 
EKMAN Alice , « Rouge vif. L’idéal communiste chinois », Éditions de l’Observatoire, 2020.

Selon Alice Ekman, il n’y a aucun doute : la Chine est encore communiste et tout concourt à le démontrer. Responsable de la Chine et de l’Asie à l’European Union Institute for Security Studies, la chercheuse a recueilli pendant sept ans la matière de son ouvrage : plus de 400 entretiens avec des acteurs chinois et étrangers très divers, l’étude minutieuse des paroles des dirigeants chinois, l’observation de l’atmosphère lors des rencontres et séminaires. Son diagnostic est sans appel et déconstruit l’idée trop répandue selon laquelle la Chine ne serait plus communiste.

De manière très pédagogique, l’auteur débute son ouvrage par une succession de constats. La double inspiration marxiste et maoïste du régime n’a jamais été reniée. Elle est même revendiquée par Xi Jinping dont les discours évoquent la « Campagne des 100 fleurs », la « Longue Marche », ou encore la « dictature démocratique du peuple ». Le parti communiste reste le fondement du système de gouvernance, et assure la supervision des ministères et administrations, entreprises, écoles et universités, médias. Son rôle s’est même renforcé avec l’augmentation du nombre de cellules au sein de ces institutions et la mise en place progressive d’une surveillance technologique des individus, avec l’expérimentation du système de crédit social.

En outre, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, le régime s’est durci et le parti fait lui-même l’objet d’une centralisation et d’un « recadrage disciplinaire et idéologique » : vaste « mouvement » anticorruption qui aurait sanctionné plus d’un million de fonctionnaires entre 2013 et 2017 ; campagne d’éducation sur « la pensée de Xi et le socialisme à caractéristique chinoise pour une nouvelle ère », dont les cadres doivent apprendre certains passages par cœur ; enfin, concentration du pouvoir aux mains de son dirigeant, dont le mandat présidentiel est devenu illimité suite à un amendement de la Constitution en 2018.

Selon Alice Ekman, la personnalité de Xi Jinping, sa ferveur marxiste et nationaliste, mais aussi la confiance que suscite l’accession du pays au rang de deuxième puissance économique mondiale, expliqueraient cette évolution. Mais une fois le diagnostic posé, quels enseignements en tirer pour les années à venir, du point de vue de la politique intérieure chinoise, mais aussi du point de vue des relations internationales ?

En matière de politique intérieure, l’auteur insiste sur le caractère pérenne du parti communiste chinois (PCC), véritable appareil politique qui est loin d’être une coquille vide. La capacité d’adaptation dont il a témoigné en recrutant des profils jusque-là honnis — entrepreneurs, « bourgeois »… —, combinée à des règles de recrutement sévères et des formations idéologiques soutenues, constituerait une des clefs de sa résilience. Dès lors, la probabilité qu’il soit délogé par des forces d’opposition semble extrêmement réduite. Mais sa force est aussi source de faiblesse, car la lourdeur bureaucratique, la « peur paralysante » liée à la campagne anticorruption, et la multiplication des séances d’études et de critiques génèrent l’immobilisme des cadres et la pauvreté des débats. À cet égard, l’auteur souligne que son emprise sur les think-tanks limite fortement leurs capacités d’analyse et de prospective.

Sur le plan international, la Chine n’est plus un acteur de second rang. Elle veut être reconnue à sa juste valeur pour effacer les « humiliations passées ». À cet égard, l’auteur précise que la confiance — dans sa « voie, ses théories, son système et sa culture » — a été érigée en orientation politique par Xi Jinping dans un discours de 2016. Depuis, le pays n’hésite plus à revendiquer la supériorité de son modèle politique et économique. Son ton est devenu virulent et sa posture offensive, avec le rejet explicite des valeurs occidentales et la mise en œuvre d’une stratégie de riposte systématique. Ainsi, la politique étrangère de Pékin marche incontestablement sur deux jambes (conformément au slogan de Mao) : l’idéologie dans la motivation des orientions, le pragmatisme dans leur application !

Plus qu’un « prédateur » — comme la qualifie François Heisbourg dans son dernier ouvrage [1] — la Chine serait donc un pays qui cherche à promouvoir son système comme une alternative au libéralisme. Pour cela, tous les moyens sont bons : formations destinées aux fonctionnaires, diplomates ou journalistes étrangers, organisation de forums multilatéraux, création d’infrastructures (projet des nouvelles routes de la soie) qui lui permettent d’imposer progressivement ses propres normes techniques, investissement dans la gouvernance mondiale afin de peser sur la teneur des débats ou remettre en cause certains grands principes de politique étrangère tel le droit d’ingérence…

Pour cela, elle s’appuie sur un « cercle d’amis » dans le but de constituer un réseau de partenaires économiques, technologiques, et possiblement militaires et sécuritaires. Au premier plan, la Russie avec qui elle n’a cessé de renforcer sa coopération militaire, technologique — contrat entre Huawei et MTS (Mobiles TéléSystèmes) pour le développement du réseau 5G — et ses échanges commerciaux. Par leurs positions souvent communes dans les instances internationales, les deux pays constituent en outre un contrepoids sérieux au pôle occidental. Viennent ensuite les pays en développement, dont elle se considère le porte-voix au titre d’une solidarité Sud-Sud héritée de la conférence de Bandung. Enfin, Pékin reste proche des régimes autoritaires asiatiques, dont elle partage l’héritage idéologique. Selon Alice Ekman, la détermination du PCC à promouvoir « le grand renouveau chinois » est inébranlable. En allouant à sa politique étrangère un budget deux fois plus élevé qu’il y a cinq ans, elle mène une stratégie cohérente et intégrée pour être à terme numéro un dans les secteurs d’avenir — 5G, intelligence artificielle, big data — où le jeu reste ouvert.

La Chine sera-t-elle la référence du XXIe siècle, comme les États-Unis l’ont été pour le XXe siècle ? Selon Alice Ekman, il est encore trop tôt pour évaluer l’attractivité de son modèle. Néanmoins, la réduction progressive de l’interdépendance économique ouvre la voie vers une bipolarisation du monde, qui oppose non seulement deux systèmes politiques, mais aussi deux conceptions de l’individu dans la société. Et de conclure : « de nouvelles questions fondamentales se posent alors pour l’avenir des relations internationales mais aussi des hommes — de l’usage des nouvelles technologies à l’évolution des organisations multilatérales ».


[1] Heisbourg François, Le Temps des prédateurs. La Chine, les États-Unis, la Russie et nous, Paris : Odile Jacob, 2020.

 

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