vendredi 13 août 2021

« La Chine sans œillères » : recension

Maxime Vivas et Jean-Pierre Page ont réussi ce tour de force de réunir dix-sept intellectuel(le)s majoritairement chinois et français, mais aussi du Luxembourg, d’Australie, du Sri-Lanka, du Canada et de Cuba, pour nous offrir, à l’occasion du centenaire du Parti communiste chinois, une vision de la Chine réelle, loin des préjugés antichinois (1) sans pour autant verser dans une admiration béate (2). Le titre est clair : "La Chine sans œillères". Le sous-titre également : "Tout ce que vous avez toujours voulu savoir…" Il suffit de lire le sommaire pour comprendre que nous sommes en présence d’une petite encyclopédie à entrées multiples.

Les articles sont de longueur variable : de 4 à 20 pages. Mais ce qui ne varie pas, c’est leur valeur et leur intérêt.

La Préface sous la plume de Mobo Gao, professeur de civilisation chinoise en Australie donne le ton de l’ouvrage : ce n’est pas un panégyrique de la Chine dont à plusieurs reprises l’auteur reconnaît que tout n’y est pas parfait ; on est en droit de critiquer la Chine, à condition toutefois que l’on fasse preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle et qu’on n’oublie pas la parabole de la paille et de la poutre.

Il y a d’abord les sujets d’actualité assez généralement présentés en Occident comme autant d’actes d’accusation à l’encontre de la Chine.

Pour parler en connaissance de cause du coronavirus, les directeurs de l’ouvrage ont eu la bonne idée de demander l’avis de Badia Benjelloun, une allergologue réputée. Elle démontre clairement que les accusations de retard à informer l’OMS, de virus échappé d’un laboratoire, voire de virus fabriqué, ne tiennent pas la route et qu’il y aurait même lieu d’enquêter en dehors de la Chine sur l’origine de la pandémie.

Il faut lire l’article de l’Algéro-Canadien Ahmed Bensaada sur Hong Kong. Pour ceux qui l’ignoraient encore, la « révolution des parapluies » est une variante des « révolutions oranges » : l’implication des États-Unis dans le financement et le déclenchement des troubles « démocratiques » y est minutieusement établie et mise en lumière : nombre de meneurs de la révolution des parapluies avaient leurs entrées au Congrès de Washington et même à la Maison Blanche. Plutôt que de réprimer brutalement les émeutes, la Chine a réagi calmement et a promulgué en juin 2020 la « loi sur la sécurité nationale de Hong Kong », interdisant l’ingérence étrangère sur son sol, comme l’avaient fait ... les États-Unis en 1938 en adoptant le « Foreign Agents Registration Act ».

Sur ce même sujet, il faut aussi lire l’article particulièrement dérangeant de Jean-Pierre Page. On y apprend que, pour les Démocrates revenus au pouvoir aux États-Unis, il ne s’agit même plus de contenir l’influence de la Chine, mais d’en finir avec le Parti communiste chinois. Pour eux, Trump a fait preuve de mollesse ; Biden et Blinken pensent que ce sont les Chinois qui bloquent l’économie états-unienne. Pour Susan Rice, la nouvelle conseillère de la Présidence, la politique intérieure se confond désormais avec la politique étrangère ! Avec de telles visions, Washington se croit autorisé à créer des troubles à Hong Kong (et ailleurs). En bon syndicaliste, Page n’oublie toutefois pas que Hong Kong est une des villes les plus inégalitaires du monde et il fait remarquer que ceux qui se présentent comme des « pro-démocratie » sont aussi ceux qui ont le plus à craindre de réformes « communistes » destinées à réduire les tensions sociales.

Sur les Ouïghours, Maxime Vivas, avec la plume qu’on lui connaît, réussit à condenser sur 11 pages son maître-livre Ouïghours, pour en finir avec les fake news, en précisant que certains journalistes, incapables d’y trouver une information fausse, se sont essayés à de minables arguments ad hominem. Il égratigne en passant Antoine Bondaz, un « chercheur » très médiatisé, qui s’était même permis de nier l’existence d’une journaliste dont le reportage sur le Xinjiang ne collait pas avec ses a priori.


À propos des Tibétains, le chercheur luxembourgeois Albert Ettinger démonte, témoignages à l’appui, les mensonges d’un ancien Tibet, qui aurait vécu « dans la paix et l’harmonie » alors qu’en fait y régnaient la misère, le servage, l’analphabétisme, les meurtres politiques, le brigandage et la corruption. Mensonges aussi sur le Tibet moderne, fabriqués à Washington ou Dharamsala (comme le canular d’ « un million deux cent mille morts ») et parfois repris dans des publications prestigieuses du style Encyclopédie Larousse pour qui les Tibétains seraient devenus minoritaires sans leur propres pays (alors qu’ils constituent 92,8 % de la population de la Région autonome du Tibet).

Plus encore que par le passé, la Chine, (re)devenue une puissance mondiale, suscite la méfiance et on l’accuse de visées impérialistes, à commencer en Mer de Chine où elle menacerait la liberté de navigation. En réalité, comme les autres États côtiers, elle se borne, écrit l’économiste et ancienne diplomate Tamara Kunayakam, à exiger, comme les autres États riverains, une autorisation préalable au passage de navires de guerre dans ses eaux territoriales. Mais c’en est trop pour les États-Unis, qui ne reculent devant aucun moyen, y compris la provocation et l’intimidation. Pour Biden et son Administration, il s’agit d’isoler la Chine, même au risque d’une « nouvelle guerre froide », voire d’un véritable affrontement armé.

Il va sans dire pourtant que les accords gagnant-gagnant entre la Chine et l’Amérique latine, le jardin traditionnel de l’Oncle Sam, sont en plein essor et ouvrent de larges perspectives. Comme le note Romain Migus, fondateur du site « Les 2 rives », la Chine possède un avantage important sur les États-Unis : ces derniers ont l’habitude de s’ingérer dans la vie politique des pays latino en conditionnant leur prêts à des mesures d’austérité, destructrices des États et aux conséquences dramatiques pour les peuples. La Chine, elle, s’accommode avec des gouvernements de passage, même des adversaires idéologiques, comme le Brésil de Bolsonaro (3).

Le cas de Cuba est particulier. Pendant la « période spéciale » qui a résulté de la disparition de l’URSS, l’île a pu compter sur le soutien sans réserve de la Chine. Une solidarité manifestée par les visites des Présidents Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping. Pour sa part, Fidel Castro s’était rendu en Chine en 1995 et 2003. Et Cuba, en 1960 avait été le premier pays d’Amérique latine et de l’hémisphère occidental à établir des relations diplomatiques avec la RPC. Les liens historiques qui unissent ces deux pays sont à découvrir dans l’intéressante contribution du chercheur Eduardo Regalado Florido.

Le livre fait la part belle à la politique étrangère de la Chine : plusieurs chercheurs s’emploient à démontrer que la peur du « péril jaune » n’a aucun sens.

Le professeur émérite Tony Andréani fait remarquer que la perspective d’une hégémonie chinoise sur le monde relève du fantasme. C’est exactement le contraire : en signant des accords commerciaux avec 124 pays – dont onze membres de l’Union européenne – la Chine va les aider à se développer à leur rythme et ainsi contribuer à la démondialisation de l’économie.

La Chine est un partisan et un acteur du multilatéralisme dans la gouvernance mondiale, comme le montre Ding Yifan, directeur adjoint du centre de recherche du développement de la Chine. Il rappelle opportunément le rôle capital joué par la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment par son aide financière substantielle aux agences onusiennes actives dans la réduction de la pauvreté et le développement de l’éducation fondamentale.

De plus, comme le fait remarquer avec à-propos Bruno Guigue, observateur pointu de la vie internationale, dans sa contribution au titre éponyme du livre, les Chinois savent que leur système est unique : ils ne cherchent à convertir personne. Pour eux, les droits de l’homme, c’est de développer leur pays tout en laissant les autres choisir leur destin. Les Chinois n’ont-ils pas quelques raisons de trouver absurde l’indignation des médias occidentaux concernant le manque de liberté d’expression en Chine alors que dix milliardaires leur dictent une ligne éditoriale monolithique ? La dictature du parti les offusque, mais celle du capital leur convient...

En quoi consiste précisément le caractère unique du système chinois ?

Pour foudroyants qu’ils soient, les succès économiques de la Chine ne sont pas ... tombés du ciel et avaient commencé avant Deng Xiaoping, comme le mettent en lumière deux économistes, le Français Rémy Herrera et le Chinois Zhiming Long, dans une analyse qui en étonnera plus d’un. S’il est vrai que la croissance économique de la Chine s’est accélérée à partir des années 1980, on ignore généralement que, de 1963 à 1978, le taux de croissance annuel moyen du PIB chinois était de 8,2 %, ce qui reflète une croissance très rapide, alors que cette période comprend pourtant la Révolution culturelle.

De son côté, le chercheur à l’INALCO Bruno Drweski remonte plus haut encore dans l’histoire révolutionnaire de la Chine qui a commencé avec l’insurrection des Taïpings sous la dynastie Qing, avec ses ruptures et ses continuités, jusqu’à l’établissement d’un compromis entre les objectifs communistes à long terme et les nécessités d’un développement économique laissant une place au marché d’un type nouveau, une « économie de marché socialiste ». Un système pluraliste construit à partir de l’héritage de l’antique patrimoine chinois et de l’apport critique de la Révolution soviétique.

Le professeur honoraire vivant en Chine, Jean-Claude Delaunay montre bien que, si en Chine le marché est important pour le développement du pays, le marché n’y est qu’un moyen pour produire des services collectifs puissants, ce qui le distingue radicalement d’une économie de marché capitaliste. Ce faisant, le socialisme chinois n’est pas seulement une façon de développer la Chine ; c’est aussi une façon de comprendre le monde et d’agir sur lui pour le transformer.

Si, comme toute institution humaine, l’État chinois n’est pas sans tache, que dire alors des sept péchés capitaux américains contre la Chine que le journaliste chinois Jiaqi Hou a beau jeu de dénoncer : calomnies, ingérences, unilatéralisme, provocations, inefficacité, double standard, violation du droit international ? Juste une phrase pour donner envie d’en lire plus : « Lorsque l’épidémie de coronavirus a commencé en Chine, le pays s’est installé dans sa chaise de spectateur, mangeant du pop-corn, pour mieux assister à la débâche de l’économie chinoise. »

Moins polémique, mais peut-être plus parlant encore, le Chinois Ruolin Zheng qui a vécu une vingtaine d’années en France, se demande comment il se fait que les lecteurs occidentaux, dont la plupart n’ont jamais mis les pieds en Chine, s’imaginent mieux connaître la Chine que lui et que les Chinois eux-mêmes.


La faute en incombe aux médias français et surtout à certains « sinologues » comme Valérie Niquet, Claire Holzman et beaucoup d’autres qui font flèche de tout bois pour créer volontairement une image imaginaire de la Chine dans la tête des français, en racontant n’importe quoi. Exemples de ces fantasmes : le nombre de victimes chinoises du Covid-19 serait bien plus important que le chiffre officiel, les Chinois ne bénéficieraient d’aucun régime de retraite, la lutte contre la corruption ne serait qu’un camouflage de disputes internes au sein du PCC, la pollution à Pékin serait telle qu’il y règne une « airpocalypse », l’économie chinoise serait minée par la bureaucratie et l’immobilisme, etc.

Ruolin Zheng le constate : comprendre la Chine, c’est vrai, n’est pas chose facile. Bien que respectant les cultes divers (avec 14 millions de chrétiens et 18 millions de musulmans), la civilisation chinoise millénaire est clairement athée et tranche avec les trois monothéismes (juif, chrétien et musulman) dominant plus de la moitié de l’humanité. Le peuple chinois a une façon de penser, de vivre, de s’organiser différente. Raison de plus pour essayer de le connaître au lieu de le condamner sur base de préjugés.

Pour terminer cette recension de La Chine sans œillères, je ne pourrais pas mieux faire que de reproduire ... l’introduction rédigée par les deux initiateurs du projet, Maxime Vivas et Jean-Pierre Page :

« Ce livre vise un public que nos médias maintiennent dans une grave ignorance de la Chine.


Ce que beaucoup de Français croient, c’est que le ‘régime’ communiste chinois, dont LA langue est le mandarin, fait travailler les enfants, opprime les minorités, éradique les cultures, persécute les croyants. Sur fond d’un racisme implicite s’est construite une image négative de ce pays et d’un peuple qui font peur (‘le péril jaune’), alors même que la politique étrangère de la Chine, telle que la définit le président Xi Jinping n’est pas basée sur une volonté de domination du monde (contrairement à celle affichée par les États-Unis d’Amérique), mais sur la notion de ‘communauté de destins’.


Il ne s’agit pas ici de faire un éloge béat de la Chine, de suggérer que la France ferait bien de s’inspirer de son système politique, économique, médiatique, policier, militaire, juridique, syndical. Nous avons notre propre système, perfectible. La Chine a le sien, sur lequel nous avons peu de prises, dirigé par un parti communiste désormais centenaire (né le 23 juillet 1921) et fort de 90 millions d’adhérents. Il ne s’agit donc pas de se positionner en ‘pro-chinois’, mais en ‘pro-vérité’ en invalidant des mensonges, en apportant des informations sur ce qui se passe en Chine et qui explique son dynamisme. »

André LACROIX0. Blog Le Grand Soir

 

Aucun commentaire: