Troisième partie de l'article
LE SOCIALISME CHINOIS ET LE MYTHE....
C’est pourquoi l’ouverture de la Chine aux flux internationaux fut massive, mais rigoureusement contrôlée. Le meilleur exemple en est fourni par les zones d’exportation spéciales (ZES). «Les réformateurs chinois voulaient que le commerce renforce la croissance de l’économie nationale, et non qu’il la détruise», notent Michel Aglietta et Guo Bai. Dans les ZES, un système contractuel lie les entreprises chinoises et les entreprises étrangères. La Chine y importe les ingrédients de la fabrication de biens de consommation industriels (électronique, textile, chimie). La main d’œuvre chinoise fait l’assemblage, puis les marchandises sont vendues sur les marchés occidentaux.
C’est ce partage des tâches qui est à l’origine d’un double phénomène qui n’a cessé de s’accentuer depuis trente ans : la croissance économique de la Chine et la désindustrialisation de l’Occident. Cent cinquante ans après les «guerres de l’opium» (1840-1860) qui virent les puissances occidentales dépecer la Chine, l’Empire du Milieu a pris sa revanche. Car les Chinois ont tiré les leçons d’une histoire douloureuse. «Cette fois, la libéralisation du commerce et de l’investissement relevait de la souveraineté de la Chine et elle était contrôlée par l’État. Loin d’être des enclaves ne profitant qu’à une poignée de "compradors", la nouvelle libéralisation du commerce fut un des principaux mécanismes qui ont permis de libérer l’énorme potentiel de la population» notent encore Michel Aglietta et Guo Bai.
Une autre caractéristique de cette ouverture, souvent méconnue, est qu’elle bénéficia essentiellement à la diaspora chinoise. Entre 1985 et 2005, elle détient 60 % des investissements cumulés, contre 25 % pour les pays occidentaux et 15 % pour Singapour et la Corée du Sud. L’ouverture au capital «étranger» fut d’abord une affaire chinoise. Mobilisant les capitaux disponibles, l’ouverture économique a créé les conditions d’une intégration économique asiatique dont la Chine populaire est la locomotive industrielle.
Qu’il y ait des capitalistes en Chine ne fait pas de ce pays un "pays capitaliste" Dire que la Chine est devenue «capitaliste» après avoir été «communiste» relève donc d’une vision naïve du processus historique. Qu’il y ait des capitalistes en Chine ne fait pas de ce pays un «pays capitaliste», si l’on entend par cette expression un pays où les détenteurs privés de capitaux contrôlent l’économie et la politique nationales. En Chine, c’est un parti communiste de 90 millions d’adhérents, irrigant l’ensemble de la société, qui détient le pouvoir politique. Faut-il parler de système mixte, de capitalisme d’Etat ? C’est davantage conforme à la réalité, mais encore insuffisant. Dès qu’il s’agit de qualifier le système chinois, l’embarras des observateurs occidentaux est patent. Les libéraux se répartissent entre deux catégories : ceux qui reprochent à la Chine d’être toujours communiste, et ceux qui se réjouissent qu’elle soit devenue capitaliste. Les uns n’y voient qu’un «régime communiste et léniniste» bon teint, même s’il a fait des concessions au capitalisme ambiant. Pour les autres, la Chine est devenue «capitaliste» par la force des choses et cette transformation est irréversible. Lire aussi La ville de Qingdao en Chine, où se tiendra le sommet de l'OCS des 9 et 10 juin
L'Organisation de coopération de Shanghai en cinq chiffres clés Certains observateurs occidentaux, toutefois, essaient de saisir le réel avec davantage de subtilité. C’est ainsi que Jean-Louis Beffa, dans un mensuel économique libéral, affirme carrément que la Chine représente «la seule alternative crédible au capitalisme occidental». «Après plus de trente ans d’un développement inédit, n’est-il pas temps de conclure que la Chine a trouvé la recette d’un contre-modèle efficace au capitalisme à l’occidentale ? Jusque-là, aucune solution de rechange n’était parvenue à s’imposer, et l’effondrement du système communiste autour de la Russie en 1989 avait consacré la réussite du modèle capitaliste. Or la Chine d’aujourd’hui n’y a pas souscrit. Son modèle économique, hybride, combine deux dimensions qui puisent à des sources opposées. La première emprunte au marxisme-léninisme ; elle est marquée par un puissant contrôle du parti et un système de planification vigoureusement appliqué. La seconde se réfère davantage aux pratiques occidentales qui donnent la part belle à l’initiative individuelle et à l’esprit d’entreprendre. Cohabitent ainsi la mainmise du PCC sur les affaires et un secteur privé foisonnant» écrit Jean-Louis Beffa. Dirigé par un puissant parti communiste, l'Etat chinois [...] maîtrise la monnaie nationale [...] Il contrôle la quasi-totalité du système bancaire.
Cette analyse est intéressante, mais elle renvoie dos-à-dos les deux dimensions — publique et privée — du régime chinois. Or c’est la sphère publique, manifestement, qui est aux commandes. Dirigé par un puissant parti communiste, l’Etat chinois est un Etat fort. Il maîtrise la monnaie nationale, quitte à la laisser filer pour stimuler les exportations, ce que Washington lui reproche de façon récurrente. Il contrôle la quasi-totalité du système bancaire.
Surveillés de près par l’État, les marchés financiers ne jouent pas le rôle exorbitant qu’ils s’arrogent en Occident. Leur ouverture aux capitaux étrangers est d’ailleurs soumise à des conditions draconiennes fixées par le gouvernement. Bref, le pilotage de l’économie chinoise est confié à la main de fer d’un Etat souverain, et non à la «main invisible du marché» chère aux libéraux. Certains s’en affligent. Libéral bon teint, un banquier international qui enseigne à Paris I, Dominique de Rambures relève que «l’économie chinoise n’est ni une économie de marché, ni une économie capitaliste. Pas même un capitalisme d’État, car en Chine c’est le marché lui-même qui est contrôlé par l’Etat» ; c'est ce qu'il écrit dans son livre : La Chine, une transition à haut risque.
Mais si le régime chinois n’est même pas un capitalisme d’État, est-ce à dire qu’il est «socialiste», c’est-à-dire que l’État y détient la propriété des moyens de production, ou y exerce du moins le contrôle de l’économie ?
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