mercredi 15 décembre 2021



A propos du marxisme et de son rapport aux partis communistes,

 par Jean-Claude Delaunay

Bien sûr tout à fait d’accord sur cette contribution à l’analyse de la relation entre marxisme et parti, ce qui est embryonnaire chez Marx et se développe chez Lénine et bien d’autres théoriciens qui apportent au léninisme ce que tu mets en évidence. Encore faut-il préciser ce qu’on entend par économie et le marxisme est justement une critique de l’économie en tant qu’elle serait gestion des choses, y compris des êtres humains transformés en choses ce qui s’accompagne immanquablement d’une vision de leurs relations politiques en terme d’idées. Le capital ce n’est pas de l’argent et même s’il apparait en tant que phénomène comme une accumulation de marchandises, c’est un rapport social, un double rapport contradictoire à la nature et aux hommes entre eux en coopération et exploitation. Le marxisme est à la fois la science de ce dont on ne peut faire abstraction qu’en imagination, la nécessité de produire les conditions matérielles d’existence dans des rapports sociaux déterminés et le dépassement de cette science par l’intervention consciente, et c’est pour cela qu’un parti est indispensable. Tout à fait d’accord avec ce qu’avait déjà mis en évidence Marx sur la manière dont le marxisme rencontre d’autres formations sociales, civilisations et en particulier ce qu’il voit dans la Russie et le mir villageois, comme dans la Chine et qu’on a un peu limité au mode de production asiatique. MERCI JEAN CLAUDE, merci à tous ceux qui n’ont pas cédé et maintenant que les temps rejoignent leur exigence, disons-nous que nous tentons de rendre ce qui nous a été donné… Nous savons que nous sommes dans cette pratique de chercheur, les produits des luttes et il est évident que ce que nous a apporté ce parti communiste français demeure irremplaçable en tant qu’intellectuel collectif demeure irremplaçable pour éclairer l’avenir dans lequel nous sommes projetés. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

Je vais développer trois idées. La première est que le marxisme est une science de la société adaptée à notre temps. La deuxième est que cette science particulière nécessite l’existence d’un parti communiste pour qu’elle puisse exister et être accomplie. La troisième est que le rôle dirigeant d’un parti communiste diffère selon l’histoire du lieu où il intervient et selon le degré de développement économique de ce lieu.

I Le marxisme est la science sociale de notre temps

Le marxisme est le rationalisme de notre temps pour la raison que les hommes ont aujourd’hui la capacité de maîtriser la nature. Pour que cette maîtrise soit correctement conduite, il est de plus en plus clair qu’il leur revient aussi de maîtriser la société.

Le marxisme est, en effet, la science de la société. Il nous permet de comprendre notre passé, de comprendre la société dans laquelle nous vivons, ses luttes, ses difficultés, les dangers qu’elle court, ses espérances. C’est «une théorie sociale totale» de notre temps et de tous les temps.

Mais une science de la société ne peut en prédire l’avenir. Elle ne peut en prédire que le passé. Nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une époque nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Cette époque n’est pas encore là. Nous sentons qu’elle est proche. Et pourtant, bien des doutes pèsent encore sur son avenir. Ce n’est pas parce que le marxisme est rationnel qu’il est réel.

La vérité du marxisme ne peut être proclamée à l’avance. Il n’existe pas de vérité du marxisme sans pratique du marxisme, sans luttes concrètes pour que cette vérité aboutisse. C’est la pratique, c’est-à-dire la lutte, qui seule permet de faire que ce que nous pensons en tant que marxistes devienne vrai, ou ne le devienne pas, ou ne le devienne qu’en partie. Le marxisme, comme disait Gramsci, est «la théorie de la pratique».

Le marxisme est donc un processus social, que l’analyse permet de décomposer en éléments simples. On peut, dans ce processus, distinguer :

  1. la phase de l’observation de la société et de la théorisation qui s’en déduit. C’est la phase de la conception;
  2. la phase de l’application de cette conception. C’est la phase de la pratique et de la lutte;
  3. la phase de l’interprétation des résultats et de la reformulation éventuelle de la conception initiale.

En cela, le marxisme rejoint ce que nous savons de la démarche expérimentale et scientifique telle qu’elle fut formulée par Claude Bernard au milieu du 19è siècle[1]. Bien que le marxisme soit une science de la société et non une science de la nature, c’est une théorie expérimentale et scientifique de la pratique sociale, une théorie adaptée à la société contemporaine, ainsi qu’aux formes particulières non seulement d’observation mais d’expérimentation que sa transformation nécessite.

II Le marxisme nécessite la présence active d’un parti communiste

La célébration du 100ème anniversaire de la naissance du Parti communiste de Chine a notamment permis, entre autres thèmes abordés, d’insister sur la liaison intime devant exister entre marxisme et partis communistes, pour que le socialisme et le communisme progressent.

Tout parti communiste se doit de faire que le marxisme irrigue en permanence sa réflexion et son action. Le marxisme n’est pas une théorie comme les autres. C’est la théorie du communisme et des communistes. De manière complémentaire, le marxisme ne peut atteindre son efficacité maximale que s’il est mis en œuvre par les partis communistes dont il est et doit être la théorie de référence. Le marxisme est une théorie de la pratique, et les partis communistes sont les agents nécessaires de cette pratique. Ce sont non seulement des observateurs et des interprètes des faits sociaux. Ce sont les expérimentateurs collectifs du marxisme théorique.

Cela ne veut pas dire que les partis communistes en soient les agents exclusifs. Il n’existe pas de monopole sur le marxisme, notamment pour ce qui concerne l’observation et l’interprétation des faits sociaux. Cela dit, je peux affirmer, en tant que communiste français, que lorsque le PCF s’est éloigné du marxisme, et de son prolongement, le léninisme, ce parti a progressivement perdu le sens du combat pour lequel il avait été créé, et que, en complément, le marxisme n’a survécu, en France, que dans quelques camps retranchés.

Il existe de nombreux obstacles au renversement de cette situation, et le premier de tous ces obstacles, c’est nous-mêmes, communistes français. Nous avons été victimes d’un grave accident cérébral. Nous devons comprendre nos erreurs et réapprendre à marcher. Mais il existe d’autres obstacles que nous-mêmes. Les grandes bourgeoisies monopolistes luttent de toutes leurs forces pour empêcher que le marxisme devienne la conscience des masses populaires. Nous devons, sans esprit de servitude mais aussi sans hésitation, faire nôtre tout ce que le marxisme et les partis communistes dans le monde produisent de meilleur.

III Les rapports du Parti communiste et du marxisme selon le niveau de développement et l’histoire

Si tous les peuples du monde doivent être aujourd’hui mis sur le même plan, parce qu’ils font partie d’une commune humanité, les partis communistes dont ils sont dotés ont toutes les chances d’être différents. La forme prise par ce que les communistes appellent «le rôle dirigeant du parti» est différente. Il me semble que les deux facteurs majeurs de cette différenciation sont : 1) l’histoire de la lutte des classes et tout ce qu’on appréhende comme étant la culture; 2) le niveau actuellement atteint de développement économique et ses prolongements intellectuels et institutionnels. Derrière ces deux facteurs, ce sont les places et les rôles respectifs des individus, de la société considérée comme un tout, et des institutions intermédiaires, qui sont en cause.

Dans les pays qualifiés d’occidentaux, l’histoire des rapports sociaux est l’histoire de l’alternance entre les individus et l’Etat pour l’appropriation du produit. Les bourgeoisies, industrielle et commerçante, qui ont pris le pouvoir dès le 17e siècle en Grande-Bretagne, ont affirmé avec force la primauté, contre l’Etat, de la place et du rôle des individus dans la société. Cette structure relationnelle et mentale a été reprise et aménagée par la bourgeoisie française puis diffusée dans toute l’Europe.

Dans ce contexte, le marxisme fut d’abord une affaire individuelle issues de pensées contestataires, à commencer par Marx et Engels. Le moment de l’observation et de la théorisation y fut primordial. C’est progressivement que la pratique des luttes a montré, et montre encore, la nécessité, dans chaque société, d’un parti ouvrier, qui soit en même temps un parti communiste et un parti marxiste, pour que les sociétés en question puissent être transformées et mises au service du peuple. Si les partis communistes prétendent jouer un rôle en matière de théorie, et même de pratique et d’expérimentation, ce ne peut être qu’un rôle intellectuellement hégémonique. Ce n’en est pas moins un rôle dirigeant.

Dans les pays que la géographie désigne comme asiatiques, le marxisme fut un produit d’importation, mais sur le fondement de rapports sociaux très différents de ceux des pays occidentaux. Leur histoire n’est pas celle, en effet, de l’alternance entre les individus et l’Etat pour l’appropriation du produit. C’est celle de l’alternance des dynasties, et donc des formes de l’Etat, pour une même structure de partage de la rente agricole. Les proportions de ce partage ont varié dans le temps. Elles ont toujours été inégalitaires, au détriment des paysans. Mais la formation d’une bourgeoisie, sans doute parce qu’elle aurait pu dynamiser et bouleverser cet ensemble, n’y fut jamais admise. La propriété publique y fut toujours importante et cette état des choses a sans doute obtenu l’accord implicite des paysans car c’est la propriété publique et impériale des terres qui en permettaient l’usage privé par les travailleurs. Il s’en est suivi que les luttes sociales ont toujours été politiques et centrales avant d’être économiques et de finalité individuelle. Le marxisme y fut introduit par les dirigeants de ces partis. Il y existe une grande intimité organique entre marxisme et partis communistes. Le rôle dirigeant du parti en matière de marxisme s’y affirme surtout par les succès pratiques que l’on peut associer à cette théorie.

Pour conclure ce texte, je dirai que, selon moi, nous devons réaffirmer, en tant que parti communiste français, notre attachement profond au marxisme. Nous devons en diffuser la connaissance auprès des membres de cette organisation. Nous devons saluer les efforts des membres de la section économique, mais aussi de toutes les sections concernées de travail et de recherche, pour leur attachement au marxisme. Nous devons collectivement, améliorer cet ensemble.

Je crois que, simultanément, nous pouvons, en tant que communistes, rassurer si nécessaire les intellectuels de France sur notre ambition d’assumer un rôle dirigeant dans ce domaine. Ce que nous revendiquons est un rôle dirigeant par l’hégémonie intellectuelle, absolument pas par la force. Nous sommes au contraire ouverts à toutes les recherches, ce qui ne veut pas dire que nous les partagerons inévitablement. De même, nous ne méprisons aucunement la façon dont d’autres partis communistes procèdent. Nous cherchons au contraire à en tirer leçon. Les voies sont diverses pour des tas de raisons, et celle de l’histoire des rapports sociaux est la meilleure qui puisse être. Il faut être con comme un balai, ou comme un membre de la grande bourgeoisie nord-américaine, pour ne pas comprendre cela.   


[1] Claude Bernard, Principes de Médecine Expérimentale (Fragments rédigés entre 1858 et 1877), Presses Universitaires de France, Paris, 1947. En 1865, Claude Bernard publia une Introduction à l’étude de la Médecine Expérimentale. Le Marxisme peut être compris comme une théorie de la politique expérimentale adaptée à la société.

 

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