Ukraine : la face cachée des choses (Première partie)
jeudi 17 mars 2022 par Vladimir Caller
À la rentrée 2017, le président Macron chargeait son ministre de l’Intérieur Gérard Collomb de lancer un programme de collaboration entre les forces policières françaises et ukrainiennes. C’est ainsi que fut signé, fin novembre, un accord de collaboration entre le ministre français et son homologue ukrainien Arsen Avakov, visant le renforcement de la gendarmerie ukrainienne. Emmanuel Macron a participé pendant trois ans aux réunions autour du dossier ukrainien dans le cadre des accords de Minsk et connaissait donc bien la situation de détresse générale du pays, mais il fit néanmoins le curieux choix de privilégier le domaine sécuritaire de ce pays pour témoigner de l’aide française [1].
Monsieur Avakov n’était en rien un novice. Plusieurs fois millionnaire, recherché par Interpol pour de grosses affaires de corruption et de violences, il fut arrêté en Italie et a dû sa libération à son élection au parlement ukrainien, habilement combinée par ses affidés. Bien blanchi par la « révolution » de Maïdan, il fut immédiatement nommé ministre de l’intérieur et, à ce titre, il décida d’attribuer aux mouvement néo-nazis Pravy Sektor et Azov la responsabilité de combattre les « ennemis de l’Ukraine », c’est-à-dire les organisations de gauche, syndicales, antifascistes [2].
On peut supposer que les autorités françaises, très au courant de la situation ukrainienne, n’ignoraient pas avec qui ils engageaient la gendarmerie nationale et ce, d’autant plus que le quotidien Le Figaro avait publié, bien avant la signature de l’accord, un article intitulé « Un ancien néonazi est nommé à la tête de la police ukrainienne ». Le « nommé » était Vadim Troyan, un ancien commandant du bataillon Azov, dont nous parlerons plus loin. Nommé bien entendu par monsieur le ministre Avakov [3].
La notoriété des méfaits de ce ministre était telle que Tranparency International avait soulevé son cas et condamné sa désignation à un poste si important ; condamnation à laquelle s’était joint le grand rabbin d’Ukraine Yaakov Bleick, l’antisémitisme de Pravy Sektor et Azov étant bien connus. Tous ces remous ne suffirent pas à dissuader le président Zelensky de le confirmer comme son ministre de l’Intérieur ; Avakov put ainsi rester en charge de la gouvernance du pays pendant 8 ans, jusqu’à juillet 2021. [4]
Les mots pour le dire
Vladimir Poutine ne semble pas familier de la notion de nuance. Il parle sans cesse du génocide des populations du Donbass et de la nazification du pays. Ceux qui disent que l’on ne peut pas réduire Zelensky et son administration au format nazi ont raison. Le problème est que ce n’est pas cette administration qui gère le dossier des républiques rebelles, ni le président du pays, mais bien l’armée nationale. Et là, il n’est aucunement exagéré de dire que l’armée ukrainienne est sous la domination du mouvement Azov, ouvertement néonazi.
Andriy Biletsky, son fondateur, n’est pas un casseur improvisé ; universitaire, historien de formation, il se veut doctrinaire et combattant pour la préservation de la pureté de la race blanche. Il considère les Juifs et les autres minorités raciales ou ethniques comme des sous-hommes et appelle à une croisade chrétienne pour les repousser.
Une enquête sur le terrain du quotidien anglais The Daily Telegraph rapportait que ses partisans « sont admirateurs d’Hitler et doutent de la réalité de l’Holocauste » et citait une déclaration de Biletsky : « La
mission historique de notre nation dans ce moment critique, consiste à
conduire les races blanches du monde entier vers la croisade finale pour
survivre. Une croisade contre les sémites et les untermenschen ».
Le journaliste concluait : « ce mouvement a joué un rôle très important en 2014 contre le président élu Ianoukovitch [5]. »
Inutile de dire que son rôle est encore plus important dans la répression des populations donbassiennes qui n’ont pas voulu se soumettre aux diktats des nostalgiques du IIIème Reich installés au pouvoir à Kiev.
Et leurs politiques répressives sont si extrêmes et violentes que la chancelière Merkel elle-même a dû s’adresser aux autorités de Kiev en leur demandant de la retenue lorsqu’en juin 2014, le bataillon Azov appuyé par l’aviation et l’artillerie ukrainiennes, a lancé une offensive à Slaviansk, causant environ trois cents morts en vingt-quatre heures, pour la plupart des civils [6]. Pourtant, la population sut résister victorieusement, malgré la férocité de l’attaque. Le journal Le Monde a repris les explications du commandant d’Azov : « (...) la trahison de la police et l’opposition de la population (...) [7]. »
De son côté, la BBC ne put que confirmer le constat, ajoutant que les combattants d’Azov portent des symboles SS nazis de la division Waffen SS comme emblèmes [8]. Cela dit, les sympathies nazies et l’antisémitisme d’Azov étaient visiblement moins fortes que l’anticommunisme de son financier, le milliardaire ukraino-israélien Ihor Kolomoïsky qui déboursait « 1.500 dollars pour un fusil d’assaut AK-47 ; 10.000 pour la capture d’un pro-russe ; 200.000 pour la reprise d’un bâtiment occupé par les séparatistes et un million de dollars à celui qui assassinerait le candidat à la présidentielle de 2014, Oleg Tsarev, partisan du rapprochement avec la Russie [9]. »
Les délires de cette organisation sont tels qu’en 2015, ils créent des camps d’entraînement militaire pour enfants, dits « Azovets », à partir de l’âge de six ans de sorte qu’une fois adultes, ils puissent s’habituer à l’insupportable [10].
Cette fois, c’est Newsweek qui rapporte que « Les volontaires nationalistes ukrainiens perpétuent des crimes de guerre semblables à ceux de l’État islamique », citant des témoignages de décapitations et d’une mère qui aurait reçu à la maison un colis contenant la tête de son fils, combattant du Donbass.
Et ce n’est pas le Drapeau Rouge mais Newsweek qui conclut : « Les
pro-Russes disent qu’ils combattent contre des nationalistes et des
fascistes ; en ce qui concerne Azov et autres bataillons, ces
allégations sont fondamentalement vraies [11]. »
Et la revue Foreign Policy de fermer le ban ironisant sur « ces fascistes ukrainiens qui se battent pour la liberté [12]. »
Cachez cet Azov que je ne saurais voir
La chose devenait trop grotesque. Même le Human Rights Watch, plus enclin à s’occuper de la Russie, alerte sur les pratiques azoviennes dans son rapport de 2014 intitulé « Roquettes non guidées tuant des civils », en précisant « qu’elles viennent particulièrement des forces du gouvernement. » En effet, si même dans les médias dominants on arrivait à avoir mauvaise presse, il devenait urgent de résoudre le paradoxe.
Azov était devenu à la fois indispensable et imprésentable.
Sa dimension et sa (mauvaise) réputation croissaient exponentiellement.
Comprenant quelques dizaines d’hommes au départ, il en comptait
plusieurs milliers lorsque le ministre Avakov trouva la solution, en
septembre 2014 : intégrer officiellement Azov dans l’armée régulière
avec, vu sa dimension, le statut de régiment. Ce, avec le double
avantage de pouvoir couvrir ses agissements et, surtout, diffuser et
instiller l’esprit néofasciste dans l’ensemble de l’armée nationale.
Pour bien réussir ce camouflage lui donnant une façade de
respectabilité, le ministre ne trouve rien de mieux que d’associer la
diplomatie étasunienne. C’est ainsi que l’administration d’Obama décide
l’envoi de 300 consultants militaires pour assurer la formation du,
désormais, régiment Azov [13].
Ainsi, ces milices pourraient continuer leur sale boulot, pilonner
quotidiennement les populations du Donbass plus discrètement, au sein
même de l’armée, tout en ayant assuré une pédagogie efficace en dehors,
visant l’agression de toute minorité indigne de côtoyer la race blanche.
C’est entre autres le cas avec les roms dont, selon L’Obs, les précaires campements sont fréquemment détruits à la hache [14].
Cherchant la sortie de l’enfer...
Lorsque les populations russophones commencent à résister par les armes aux agressions de Pravy Sektor et d’Azov et qu’un début de guerre civile s’installe, la diplomatie russe s’emploie à suggérer aux parties d’ouvrir des négociations de paix. Celles-ci commencent par des réunions informelles engageant uniquement les Ukrainiens et incluront ensuite, comme observateurs, des représentants de l’OSCE (Organisation pour la sécurité en Europe) et les diplomaties françaises, allemande et russe.
Ces négociations vont aboutir à la signature de deux documents dont il faut saisir la portée pour comprendre la crise en cours : le protocole de Minsk et sa prolongation, l’accord de Minsk II. Il n’y a pas de différence essentielle entre ces deux documents, le deuxième est plus précis, actualisé et contraignant que le premier.
Tous les deux concernent l’instauration d’un cessez-le-feu, l’échange
de prisonniers, la gestion de l’usage des armes lourdes et la
protection des populations.
L’essentiel se résume à deux clauses :
- - l’intégrité territoriale de l’Ukraine
- - et la reconnaissance et l’attribution d’une large autonomie à la région du Donbass.
Cette autonomie devait être garantie par une révision de la Constitution du pays. Les accords furent conclus dans un contexte politique assez troublé en Ukraine, avec un président Porochenko très affaibli suite à des affaires de corruption et la forte dégradation des conditions de vie de la population.
C’est ainsi que ni son gouvernement, ni les suivants n’ont jamais respecté ces accords. L’autonomie du Donbass n’a pas été considérée sérieusement, et encore moins la révision de la Constitution. Preuve éclatante de sa mauvaise foi, Porochenko coupa le transfert des pensions aux ayants droit des populations de Lougansk et Donetsk (qui faisaient pourtant explicitement partie de l’accord, au point 8).
Il l’avait annoncé, crûment, dans une déclaration remplie de haine et de mépris devant le parlement : « Nous aurons du travail, eux non ! Nous aurons des retraites, eux non ! Nos enfants iront à l’école, les leurs resteront dans les caves ! C’est comme ça que nous gagnerons cette guerre [15]. » Pour conclure en affirmant le lendemain que « l’Ukraine devra rester unie, et rejeter le fédéralisme ».
Difficile de ne pas comprendre, qu’avec un gouvernement pareil il ne restait à ces populations que la désobéissance. A noter, détail soigneusement oublié par nos médias, que, dès leur déclaration d’indépendance (avril 2014), les républiques populaires de Lougansk et Donetsk n’ont pas cessé de demander reconnaissance à Poutine et que ce dernier a attendu jusqu’au 21 février de cette année pour accéder à leur demande.
A noter également que les politiques de non-respect de l’accord de
Minsk par Kiev (pourtant validé par le Conseil de sécurité de l’ONU,
résolution 2202) ont été soigneusement cautionnées et protégées par ses
garants occidentaux, en particulier les Français François Hollande et
Emmanuel Macron.
Elles furent justifiées à posteriori par le secrétaire général du
conseil de la sécurité nationale et de la défense d’Ukraine, Oleksiy
Danilov, lorsqu’il a déclaré ce 31 janvier : « L’observance des
accords de Minsk II, équivalait à la destruction du pays. Ils furent
signés sous un canon de fusil russe (pendant que les Français et les
Allemands regardaient) [16]. »
Le procès-verbal du grand piège
Volodymyr Zelensky, largement élu à la présidence de la République en mai 2019 sur un programme qui était aux antipodes de celui des ultranationalistes héritiers de Maïdan, s’est retrouvé confronté à une responsabilité qui dépassait clairement ses compétences. Oubliant ses promesses, il se lance dans des mesures particulièrement impopulaires, en bénéfice de ses oligarques comme la privatisation des terres agricoles, ce qui se traduit par une chute spectaculaire de sa popularité (élu avec plus de 70 % des voix il se retrouve avec une popularité réduite à 20 %).
Plus inquiétant encore, la russophobie déferle aussi, ce qui le
conduit à fermer manu militari trois stations de TV. Un peu perdu, il se
décide, bien conseillé par les services de renseignement occidentaux,
et surprenant tout le monde, à revenir au mantra du nationalisme
extrême.
Dans cette perspective, l’opération « Sea Breeze », la plus grande
opération jamais menée par l’OTAN en mer Noire, avec la participation de
trente-deux pays en juillet 2020, ne pouvait pas être plus opportune.
Une opération dont la Russie, arguant des raisons de sécurité et de bon
voisinage, avait demandé, sans succès l’annulation.
Par contre, l’OTAN eut la délicatesse d’annoncer son opération en dénonçant « l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014 [17]. » Une annonce que le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba rappelle début mars 2021 : « Le signal est clair : nous appelons le monde à nous aider à récupérer la Crimée [18]. »
Tout le monde, en effet. D’où la convocation d’une initiative « plateforme de Crimée », lancée urbi et orbi, qui reçoit le soutien immédiat de l’Alliance atlantique, de l’UE et de la « communauté internationale ».
Quelques jours plus tard, a lieu l’acte qui précipite de la crise en cours. C’est un fait qui n’a pratiquement jamais été commenté par les médias mainstream : le 24 mars 2021, par décret n°117/2021 du Conseil de la sécurité nationale et de la défense, l’Ukraine s’engage à envisager toutes les options, y compris la guerre, pour reprendre la Crimée [19].
Entretemps, l’initiative « plateforme de Crimée » a remporté un beau
succès à son premier sommet, réuni le 23 août 2021, avec la
participation de quarante-six pays et de l’Union européenne et de
l’OTAN.
Prémonitoire, Zelensky y déclara que : « (...) l’Ukraine ne libérerait pas la Crimée toute seule, sans le soutien international ».
Par ailleurs, Mircea Geoana, secrétaire général adjoint de l’OTAN, a
rappelé qu’au sommet de juin à Bruxelles les membres de l’organisation
ont « (...) réaffirmé la décision du sommet de Bucarest que l’Ukraine et
la Géorgie deviendraient membres de l’Alliance [20]. »
On dirait que quelque chose se trame. Le journal Libération, peu connu pour sa russophilie, commente : « (...) Zelensky l’a voulue, la ‘Plateforme de Crimée’ s’est finalement tenue (...) alors que sous Porochenko, cette question avait été mise à l’arrière-plan et se limitait au registre déclaratif et émotionnel [21]. »
Logique avec lui-même, le président déclare devant le parlement ukrainien, le 24 novembre 2021, que la « libération » de la Crimée était un « objectif » et une « philosophie » nationale. Un message que Le Figaro, très lucide, considère comme étant une « menace directe pour la Russie [22]. »
Il y a trois mois, le plateau portant le piège en direction de Moscou, était servi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire